La face cachée du Roi-Soleil
La jeunesse de Louis XIV fut imprégnée de la forte personnalité de son parrain : Mazarin.
Passionné par les arts, le Cardinal fit venir en France nombre de ses compatriotes : l'architecte Le Bernin invité à remanier la façade du Louvre,
le compositeur Luigi Rossi, des chanteurs de grande renommée : Marc Antonio Pasqualini ou le castrat Pamfilo Miccinello ...
Le jeune Louis rit aux facéties de l'irrésistible Scaramouche, découvrit auprès de Marie Mancini les héros romanesques, et prit pour modèle le grand Alexandre. Tous ces personnages ont nourri son imaginaire et développé son sens artistique. ![]() Louis XIV en Jupiter - Charles Poerson - 1655. Sensibilisé à la peinture, l'architecture, la musique, il fut en outre un danseur émérite. La danse étant une composante essentielle de l'éducation d'un gentilhomme, son entraînement quotidien s'élevait à environ deux heures par jour! Dangeau raconte dans son journal qu'il s'entraînait "à s'en rendre malade". Il parut en tout dans 21 spectacles. La musique et la danse furent, pour Louis XIV, le moyen de façonner une image magnifiée de lui-même et d'asseoir son autorité. Dans les ballets de Cour, l'allégorie fut utilisée de façon explicite. Lully chercha à mettre la personne du roi en valeur au travers de sa musique et ses mises en scène. Le Ballet de Cour devint insensiblement le "Ballet du roi". Les rôles attribués au roi furent scrupuleusement choisis. Ainsi, Louis XIV incarna des dieux de l'Antiquité : Apollon dans les "Noces de Pélée et de Thétis" et "les Amants Magnifiques", Jupiter dans le "Ballet de l'Impatience" et le "Ballet des Muses", Pluton dans les intermèdes de l'"Ercole Amante", Neptune dans les "Amants Magnifiques". Il fut aussi des héros chevaleresques (un chevalier dans le "Ballet de Cassandre", Renaud dans la "Ballet des Amours déguisés", Alexandre dans le "Ballet de la naissance de Vénus"). Mais, son rôle de prédilection fut, bien sûr, celui du Soleil: "Ballet de la Nuit", "Ercole Amante", "Ballet de Flore". Dans le même esprit, il dansa le Feu, le Printemps, la Paix. ![]() Louis XIV en Ardent. Le duc de Bouillon aurait dit au futur Louis XIV, lorsque celui-ci
n'avait que trois ans : "Quand vous serez roi, vous serez un grand
roi, j'en ai le pressentiment : mais vous n'aurez que des sujets et
point d'amis, car l'amitié n'est que dans l'indépendance et une sorte
d'égalité qui naît de la force". ![]() Le Dauphin, futur Louis XIV,
vers 1641-1642. Les liens unissant Lully et Louis XIV étaient-ils amicaux ou simplement ceux d'un maître avec son serviteur? Louis XIV dansa aux côtés du baladin, dans sa jeunesse. Il suivit ensuite de près l'élaboration des comédies-ballets, puis celles des opéras de Lully, dont il choisissait les sujets des livrets et assistait aux répétitions. On le surprit même à chantonner un air d'Atys en en détournant les paroles avec humour! Un matin, le temps était si agréable qu'il décida de ne pas assister au conseil et de partir à la chasse. Il fredonna alors: Le conseil à ses yeux A beau se présenter Si tôt qu'il voit sa chienne Il quitte tout pour elle Rien ne peut l'arrêter Quand le beau temps l'appelle. A la place des paroles de Quinault: Les plaisirs à ses yeux Ont beau se présenter Si tôt qu'il voit Bellone Il quitte tout pour elle. Rien ne peut l'arrêter Quand la gloire l'appelle. "La louange excessive et constante était chose si simple et si naturelle pour Louis XIV, qu'il chantait lui-même ces prologues "con gusto", répétait les passages les plus flatteurs pour son amour-propre, et ne chantait que cela quand il se permettait de faire entendre sa voix souveraine." Castil-Blaze, "L'Académie Royale de Musique,
première époque, de 1672 à 1697". Lors de la naissance de la tragédie lyrique, le Roi ne dansait plus. Mais la musique sut garder son rôle stratégique. Tout fut fait pour que, sous des apparences ludiques, la Cour et le peuple se voient délivrer un message politique. Non seulement, le prologue de chaque opéra était ouvertement une célébration de la gloire de Louis XIV, mais aussi l'identification aux personnages de la tragédie fut complète. Si Louis XIV aima tant Atys, c'est parce qu'il avouait se sentir proche du personnage principal. Les livrets, reflets de la Cour, créèrent parfois des incidents diplomatiques. Isis, dans lequel Junon, la femme délaissée fut comparée à Madame de Montespan, attristée par la faveur passagère dont jouissait Madame de Ludres, valut à Philippe Quinault une disgrâce passagère. De même, Phinée déclarant dans Persée : "J'ayme mieux voir un monstre affreux Dévorer l'ingrate Andromède, Que la voir dans les bras de mon rival heureux." fit sensation au coeur de l'affaire des poisons (1682). Surtout, lorsque l'on accusa Madame de Montespan d'avoir voulu empoisonner Louis XIV et sa rivale du moment : Madame de Fontange. L'identification induit une évolution dans le choix des sujets traités dans les livrets. Le jeune Louis XIV que Le Bernin ou Le Brun représentaient en Alexandre, put se reconnaître dans les combattants victorieux tels que Cadmus, Thésée. Les héros connaissent des amours tumultueuses, à l'image de leur modèle. Ils ne cessent d'être tiraillés entre la raison d'Etat et leur sentiments. Le triomphe de Lully est absolu : aussi bien dans le coeur du Roi que dans celui du peuple français. Ecoutons Titon du Tillet : "Rien n'égalera l'intimité, la connivence existant entre Louis XIV et Jean-Baptiste Lully, le baladin et le bouffon de ses jeunes années, le surintendant et le potentat de la plus belle période du règne (...) Lully divertissait infiniment le Roi par sa musique, par la manière dont il l'exécutait lui-même et par ses bons mots". En effet, Lully peut tout dire, tout se permettre. Ses humeurs, sa richesse insolente, ses incartades, tout lui était pardonné. ![]() Louis XIV protecteur des Arts. Mais à partir de 1684, le règne du Roi-Soleil connut une profonde mutation : la Reine Marie-Thérèse et Colbert moururent en 1683, Madame de Maintenon devint l'épouse secrète du monarque. La mythologie antique fut délaissée au profit des légendes moyenâgeuses dans les livrets des tragédies lyriques. Louis XIV fut alors comparé à des héros chevaleresques dont la gloire n'était plus à démontrer: Amadis, Roland et Renaud. Lorsque le monarque se tourna vers Dieu, la musique religieuse connut un regain d'intérêt au détriment de la musique profane. Monseigneur le Dauphin remplaça insensiblement son père dans le rôle de commanditaire des oeuvres musicales. Le scandale de l'Affaire Brunet en 1685 plongea Lully dans une semi-disgrâce qui lui sera fatale. |