BALLET DE LA NUIT



La Nuit


Quelques semaines après l'entrée solennelle de Louis XIV dans Paris (le 21 octobre 1652), l'intendant du duc de Nemours ordonna un spectacle qui restera longtemps gravé dans les mémoires. Face au succès rencontré, on décida de renouveler les représentations les 25, 27 février, 2, 4 et 16 mars. Benserade en fit les vers, Torelli les décors. L'identité du dessinateur des costumes si expressifs reste incertaine : Henry de Gissey ou Beaubrun.
La composition de la musique étant collective, il est bien difficile d'en connaître les auteurs : Cambefort, Boësset, Lambert, Mollier, Vertpré, Mazuel...
Aucune partie dudit ballet n'est attribuée à Lulli. Il semble qu'il n'ait eu à exercer uniquement ses talents de danseur et de comédien. Baptiste joua les rôles d'un berger, d'un soldat, une des grâces, un éclopé et Sosie.
Pourtant, six semaines plus tard, le 16 mars 1653, Lulli fut nommé compositeur de la musique instrumentale du roi, reprenant ainsi le poste laissé vacant par l'italien Lazzarini.

Le Ballet de la Nuit se compose de 45 entrées et de 4 parties ou veilles. Les fréquents changements de décors et l'alternance entre les atmosphères poétique et burlesque firent le succès du ballet.

1ère partie
(de 6 à 9 heures du soir)

La nuit tombe sur un paysage maritime. S'y croisent Protée, des néreïdes, des chasseurs, des bergers puis des bandits. Des boutiques viennent alors agrémenter la scène, des galants et coquettes y font leurs achats. Des Egyptiens et Egyptiennes proposent aux passants de leur dire la bonne aventure et en profitent pour leur voler leurs bourses. Les marchands et apprentis s'affairent. A la lumière des lanternes, les braves gens se font dérober leurs biens.
Les voleurs se réfugient dans la Cour des Miracles, où bien sûr estropiés et culs-de-jatte retrouvent l'usage de leurs membres.

2ème partie
(de 9 heures à minuit)

Vénus descend du Ciel et chasse les trois Parques, la Vieillesse et la Tristesse. La déesse est rejointe par les Jeux, les Ris, des héros légendaires. Ces derniers assistent alors à un spectacle sur le thème du mariage de Thétis et d'Amphytrion.

3ème partie
(de minuit à 3 heures du matin)

La Lune apparaît sur son char. Les Etoiles qui l'entourent se retirent pour qu'elle puisse admirer Endymion. Les deux amants sont emportés par une nuée. Les astrologues, les paysans et les corybantes s'inquiètent de l'absence de l'astre. Les habitants des Enfers se réveillent : ardents, démons, sorcières et monstres (dont des loups-garous). Le décor s'embrase et sème la panique parmi les paysans.

4ème partie
(de 3 à 6 heures du matin)

Le Sommeil et le Silence chantent, puis se couchent à l'entrée d'une grotte. Les quatre éléments sortent de l'antre. Ils représentent les quatre tempéraments du corps humain :

- le feu : le colérique fait des rêves de guerre : turcs et chrétiens s'y affrontent.
- l'air : le sanguin rêve d'Ixion
- l'eau : la nuit du flegmatique est peuplée d'un peureux tourmenté par des ombres.
- la terre : le mélancolique voit dans ses songes un philosophe et un poète bouffon observant la métempsycose d'une femme.

Le monde s'anime : des amoureux, des faux-monnayeurs, des forgerons sortent de la grotte. L'Aurore vient alors annoncer la venue du Soleil. Le tableau final présente le Soleil incarné par Louis XIV dans toute sa splendeur. Il est entouré de bons génies : l'Honneur, la Victoire, la Valeur, la Renommée...



"Ce jour-là, 23 (février), fut dansé dans le Petit-Bourbon, pour la première fois, en présence de la Reyne, de Son Eminence et de toute la Cour, le Grand Ballet royal de la Nuit..., composé de 43 entrées, toutes si riches, tant par la nouveauté de ce qui s'y représente que par la beauté des récits, la magnificence des machines, la pompe superbe des habits et la grace de tous les danseurs, que les spectateurs auroient difficilement discerné la plus charmante si celles où nostre jeune monarque ne se faisoit pas moins connoistre sous ses vestemens que le soleil se fait voir au travers des nuages qui voilent quelquefois sa kulière, n'en eussent receu un caractère particulier d'éclatante majesté, qui en marquoit la différence... Mais comme, sans contredit, il y surpassoit en grace tous ceux qui à l'envy y faisoient paroistre la leur, Monsieur, son frère unique, étoit aussi sans pareil en la sienne; et cet astre naissant ostoit si aisément la peine de le découvrir, par les gentillesses et les charmes qui luy sont naturels, qu'on ne pouvoit douter de son rang... Je laisse donc à juger... le contentement que put avoir l'assemblée, nonobstant la disgrace qui sembla le vouloir troubler par le feu qui prit à une toile, dès la première entrée, et à la première heure de cette belle Nuit qui étoit représentée par le Roy, mais ne servit néanmoins qu'à faire admirer la prudence et le courage de Sa Majesté, laquelle... ne rasseura pas moins l'assistance par sa fermeté qu'autrefois César fit le nautonnier qui le conduisoit... Tellement que ce feu s'étant heureusement éteint, laissa les esprits dans leur première tranquillité et fut mesme interprété favorablement."

La Gazette de 1653.



Le poème lyrique
M. Carnavalet sur la représentation du 6 mars :

Je vis à l'aise et sans obstacle
La fameuse Cour des Miracles,
Où grand nombre d'estropiés,
Tant des bras, des mains que des pieds,
Avec leur appareil crotesque,
Leur bal et musique burlesque,
Causoient un divertissement
Qui faisoit rire à tout moment.

O qu'elle valoit de pistoles
La danse des quatre Espagnoles;
Que leurs attraits, encor naissants,
Parurent doux et ravissants!...
Quand la Lune quitta son globe
(Mais non sa jupe ny sa robe)
Pour venir ses feux soulager
Entre les bras de son berger,
Le bruit, tintamarre ou folie,
Que les peuples de Thessalie
Firent avec des sons et cors
Qui formoient de plaisant accords,
(Comme l'on fait dans leur contrée)
Fut encore une rare entrée.

Mais nombrer je ne prétends pas
Les danses, les pas, les appas,
Les perspectives, les machines,
Les prestances, les bonnes mines,
Ny tout ce qu'on vit de galant
Dans ce lieu royal et brillant:
La tâche en seroit un peu forte;
Aux beaux esprits je m'en rapporte.

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