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MASCARADE DE LA FOIRE
ST-GERMAIN
Représentée pour la première fois
aux Tuileries, le 7 mars 1652
Concert d'instruments, récit crotesque par le sieur Baptiste et Du
Moustier.
Lulli avait 19 ans lorsqu'il composa cette mascarade avec l'aide de
Jean du Moustier, pour le service de la Grande Mademoiselle.
Le ballet, constitué de neuf entrées, présente toutes les animations et
les personnages que l'on pouvait trouver à la foire de Saint-Germain,
lieu fréquenté par la famille de Gaston d'Orléans. Lulli interprétait
un crieur de ratons auprès de son collaborateur, lui-même travesti en
mercière. L'italien harranguait la foule pour vendre ses tartelettes au
fromage :
Je suis illustre en mon métier,
Et l'on me tient dans mon quartier
Pour un faiseur de tartelettes;
Belles, si vous voulez en achetez de moi,
Ma marchandise est belle et nette,
Et vous y trouverez de quoi.
Ce grand marché fut déjà l'objet d'un "Ballet de la Foire S. Germain"
sous le règne d'Henri IV en 1607.
Consultez le
livret
La Foire Saint-Germain
La grande foire annuelle de Saint-Germain fut créée en 1482 par le Roi
Louis XI, au profit de la puissante abbaye bénédictine de
St-Germain-des-Prés. Véritable pôle économique pour la capitale, elle
perdura jusqu'en 1790.
Le poème de Scarron dédié à Gaston
d'Orléans :
La Foire Saint-Germain (1643)
Sangle au dos, bâton à la main, Porte-chaise que l'on s'ajuste, C'est pour la Foire S. Germain, Prenez garde à marcher bien juste : N'oubliez rien, montrez-moi tout, Je la veux voir de bout en bout :
Car j'ai dessein de la décrire. Muse au ridicule museau, De qui si souvent le naseau Se fronce à force de trop rire, Muse qui regit la Satyre, Viens me réchauffer le cerveau.
Guide de mon esprit follet, Qui surtout cherit le burlesque, Soufle moi par un camouflet Un style qui soit bien grotesque, J'en veux avoir du plus plaisant, Et fût il un peu médisant,
J'emploirai tout vaille que vaille : Mais devant que de rimasser, Bannissons de notre penser Tout souvenir qui te travaille, Et commençons par la canaille Qui nous empêche de passer.
Que ces badauts sont étonnés De voir marcher sur des échasses! Que d'yeux, de bouches & de nez! Que de différentes grimaces! Que de ridicule Harlequin Est un grand amuse coquin!
Que l'on achève ici de bottes! Que de gens de toutes façons, Hommes, femmes, filles, garçons, Et que les culs à travers cottes Amasseront ici de crottes, S'ils ne portent des caleçons.
Ces cochers ont beau se baster, Ils ont beau crier gare, gare, Ils sont contraints de s'arrêter, Dans la presse rien ne démarre, Le bruit des pénétrants sifflets, Des flûtes, & des flageolets,
Des cornets, haut-bois, & musettes, Des vendeurs; & des acheteurs, Se mêle à celui des sauteurs Et des tambourins à sonnettes; Des joueurs de Marionnettes Que le peuple croit enchanteurs.
Mais je commence à me lasser D'être si longtemps dans la boue, Porteurs laissez un peu passer Ce carrosse qu'il ne vous roue : Et puis pour marcher sûrement, Appliquez-vous soudainement
A son damasquiné derrière Moins de monde vous poussera, Le chemin il vous frayera : Mais s'il reculait en arrière, De peur de briser notre bière, Faites de même qu'il fera.
Quelqu'un sans doute est attrapé, J'entens la trompette qui sonne. Biens souvent pour être duppé Ici tout son argent on donne. Ha! je le vois le maître sot Qui se gratte sans dire mot
En recevant la babiole, Qui de son argent est le prix. Dieux! de quelle joie est épris Le maudit blanqueur qui le vole, Et que la duppe qu'il console A peine à r'avoir ses esprits!
Mais qu'est ce que je viens de voir? Une Dame au milieu des crottes? Est-ce gageure ou désespoir? Mais peut être a-t-elle des bottes. Ha vraiment je n'en dis plus rien, En l'approchant je connais bien
Que c'est une belle homicide, Au nez de laquelle un beau fard Composé de craie et de lard, Déguise bien plus d'une ride, Et que le filou qui la guide Est son brave ou bien son cornart.
Que de peintures assiquets Dont les mères & les nourrices Régaleront leurs marmouzets! Que de gâteaux & pains d'épices! Ici maint laquais bigarré, Maint petit diable chamarré
Fait au Bourgeois guerre cruelle, Tandis que son Maître coquet Pousse maint amoureux hoquet Vis à vis de quelque Donzelle Qui l'amuse de sa prunelle Et de son affecté caquet.
Que ces souillons de gauffriers Font sentir l'odeur du fromage! Et que ces noirs chaudronniers Font un fâcheux carillonnage! Mais nous voilà quasi dedans, Bonjour la Foire, Dieu soit céans;
Je suis un pauvre cul de jatte, Qui vient tout expres de chez nous, Non pour acheter des bijoux, Mais pour au grand bien de ma ratte, Sur votre los qui tant éclate, Faire quelques Vers aigre & doux.
Prenez bien garde à ce soldat, Ou plutôt ce grand as de pique, De fine peur le coeur me bat Que contre nous il ne se pique. Porteurs marchez discrètement, Ne heurtez rien, mais posément Menez-moi par toute la Foire.
C'est ici, Monsieur mon cerveau, Qu'on verra si je suis un veau, Si je merite quelque gloire, Et si nostre docte écritoire Fera quelque chose de beau.
Petit Poète trop éventé, Gardez-vous bien de rien promettre ; Rengainez votre vanité, Où diable vous allez-vous mettre? Et quoi ne savez-vous pas bien Qu'un conte ne vaut jamais rien
Quand on dit je vous ferai rire Je crains pour vous quelque revers, Je crains que les Marchands divers Sur lesquels vous allez écrire, N'habillent au lieu de les lire Leur marchandise de vos Vers.
Arrêtez, certain jouvenceau Chez un confiturier se glisse, Son dessein n'est que bon & beau, Mais j'ai peur qu'il ne réussisse. Car je remarque à ses côtés De pages fort peu dégoutés
Une troupe bien arrangée Et malfaisant au dernier point Tenant à deux mains sa dragée Qui des Pages sera mangée, Et dont il ne mangera point. Il ne sait pas de quel Destin
Sa confiture est menacée, Et qu'elle sera le festin De la gent à grègue troussée, Ha! le voilà dévalisé, Dieux qu'il en est scandalisé!
Que son sucre qui se partage Parmi tous ces demi-filous, Lui cause un étrange courroux! Et qu'à ses yeux remplis de rage Un Ecuyer fouettant un Page Serait un spectacle bien doux!
Que ces Gentilshommes à pied Sont de nature peu courtoise! Que ces Damoiseaux sans pitié Pour peu de chose sont de noise! Qu'ils ont de succre répandu, Qui pourtant ne sera perdu:
Car de cette Irlandaise bande Il sera bientôt ramassé; Mais les lieux où l'on est pressé Ne sont pas ceux que is demande, Dégageons de foule si grande, Notre corps demi fracassé.
Allons faire de l'inconnu Au milieu de l'Orfèvrerie, Sans doute j'y serai tenu Entaché de bizarrerie. Vous en serez questionnés : Le désir de me voir au nez
S'emparera de quelques tête, Mais lorsque quelqu'un qui l'aura De mon nom vous enquestera Sans lui faire beaucoup de tête Dites lui que c'est un bête Qui peut-être le piquera.
Ici le bel art de piper Très-impunément se pratique : Ici tel se laisse attraper, Qui croit faire aux pipeurs la nique. Approchons ces gens assemblés, Hommes parmi femmes mêlés,
J'y vois ce me semble une dupe : Car ce beau porte-point-coupé D'un touffu panache huppé, Près de cette brillante jupe Qui bien plus que son ieu l'occupe Qu'est-ce qu'un Damoiseau duppé?
Qu'ils sont d'accord ces assassins Qui de paroles s'entremangent Qu'ils sont pour faire des larcins De leurs dés qu'à tous coups ils changent! Que ces deux Démons incarnés Sont sur ce pauvre homme acharnés
Qui perd tout en grattant la tête, Et sans dire le moindre mot, Ha qu'il a bien trouvé son sot Celui-là qui jure & tempête! Et que l'autre fait bien la bête Avec son serment de bigot!
Foire l'élément des coquets, Des filoux & des tire-laine, Foire où l'on vend moins d'affiquets Que l'on ne vend de chair humaine. Sous le prétexte de bijous, Que l'on fait de marchés chez vous
Qui ne se font bien qu'à la brune! Que chez vous de gens sont déçus! Que chez vous e perdent d'écus! Que chez vous c'est chose commune De voir conserver sans rancune Les galants avec les cocus!
Tout ce qui reluis n'est pas or En ce pays de piperie Mais ici la foule est encor Sans respect de la pierrerie. Menez-moi chez les Portugais, Nous y verrons à peu de frais
Des marchandises de la Chine : Nous y verrons de l'ambre-gris, De beuax ouvrages de vernis, Et de la porcelaine fine De cette contrée divine, Ou plutôt de ce Paradis.
Nous acheterons des bijous, Nous boirons de l'aigre de cèdre, Mais comment diable ferons-nous Pour trouver une rime en èdre? N'importe ne raboudons rien; Edre é cèdre riment fort bien;
N'en déplaise à la Poésie. La fabrique de tant de vers Sur tous ces objets si divers Dont j'ai l'âme toute farcie, M'a fatigué la fantaisie, Et mis l'esprit presque à l'envers.
Beau Portugais de Portugal Qu'un verre net on me délivre, Si l'aigre de cèdre est loyal J'en achte plus d'une livre. Courrez donc un peu vos esté, Un peu moins de civilité,
Et bon marché de marmelade. Sachez hommes au petit rabat Que je suis plus friand qu'un chat A cause que je suis malade. Ne nomtrez donc rien qui soit fade. Ou qui ne soit pas délicat.
Il est ma foi délicieux, Il est merveilleus ce breuvage, Et c'est muscat ni coindrieux Qui m'en fit mépriser l'usage : N'en déplaise aux buveurs de vins, Par mon chef il est tout divin.
Laquais tenez cette bouteille, Mais gardez bien de la casser, Et tachez de vous en passer, En ami je vous le conseille, Car je veux bien perdre l'oreille, Si vous ne vous faisiez chasser.
Adieu Seigneur Lopes, bon soir, Bon soir aussi Seigneur Rodrigue : Lorsque je viendra vous revoir, Vous me trouverez plus prodigue. Il est ce me semble saison De retourner à la maison.
Je vois déjà la chandelle, Et ne vois plus rien de nouveau Qui puisse porter mon cerveau A faire une Stance nouvelle: Puis j'en voudrais faire une belle, Et je ne vois plus rien de beau.
Tout beau petit Poète tout beau, Vous aller aprêter à rire : Vous ne voyez plus rien de beau, Certes, cela vous plaît à dire A cette heure de tous côtés Arrivent ici des beautés
Qui n'y viennent qu'à la nuit sombre. A cette heure quand pour Philis Poudrés, frisés, luisant, polis, Les appelant Soleils à l'ombre Leurs disent fleurettes sans nombre Sur leurs roses & sur leur lis.
Voyons un peu ces épiciers Chez lesquels tant de monde achète O poivre blanc que volontiers Pour vous je vide ma pochette! Sachons s'ils en pourront avoir : Mais je n'aperçois que du noir
Qui fort peu l'appétit réveille, Au lieu que ce poivre de prix Qui purifie les esprits, Est de l'Orient la merveilles, Préférable à la sans-pareille, Et comparable à l'ambre-gris.
Adieu Peintres, Adieu Lingers, Je laisse votre belle histoire, Et celle des autres merciers A quelque meilleure écritoire. Je vais non pas en parchemin,
Mais en papier blanc comme craie Travailler à votre tabelau. Mais de mon style un peu nouveau Avec raison qu'on ne me raye Comme un malheureux poétereau.
Ainsi chantait un malheureux, Quoiqu'il n'eut quasi point d'haleine, Et que son poumon catharreux Ne fit sortir sa voix qu'à peine. Il le faisait pourtant beau voir, Car justaucorps, de velours noir
Habillait sa carcasse tendre, Sa main un bâton soutenait, Qui partout allait & venait, Ou sa main ne voulait s'étendre, Exécutant sans se méprendre Ce que le malade ordonnait.
Quoique son chant fut enroué, Que ridicule fut sa Lyre, Si crût-il qu'il serait loué Si Gaston daignait en sourire : Car il n'a chanté seulement Que pour son divertissment :
Toute autre fin il désavoue ; Et quand quelqu'un s'en moquera, Et son carme méprisera, Il lui fera ma foi la moue : Et qu'on le blâme ou qu'on le loue, Au diable s'il s'en soucira.
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