CADMUS & HERMIONE

PROLOGUE

Palès, Melisse, Troupe de Nymphes, Troupe de Pasteurs.

Palès
Hatez-vous, Pasteurs, accourez.

Melisse
La voix des Oiseaux nous appelle.

Palès
Nos coteaux sont dorés.

Palès
Tout brille de l'éclat de la clarté nouvelle.

Melisse
Mille fleurs naissent dans nos prez:

Palès et Melisse
Que l'Astre qui nous luit rend la nature belle!
Ne perdons pas un seul moment
D'un jour si doux et si charmant.

Le choeur repete les deux derniers Vers. 

Le choeur continue à chanter.
Admirons, admirons l'Astre qui nous éclaire,
Chantons la gloire de son cours;
Que tout le Monde revère
Le Dieu qui fait nos beaux jours.

Pan, Dieu des Bergers paroit accompagné de Joueurs d'Instrumens 
Champêtres, et de Danseurs Rustiques, qui viennent prendre part à la 
réjouissance des Nymphes et des Pasteurs, et tous sensemble commencent
à former une manière de fête à l'honneur du Dieu qui donne le jour.

Pan 
Que chacun se ressente
De la douceur charmante,
Que le Soleil répand sur ces heureux Climats.
Il n'est rien qui n'enchante
Dans ces lieux pleins d'appas,
Tout y rit, tout y chante,
Hé pourquoi ne rirons-nous pas?

Les danseurs Rustiques qui ont suivi le Dieu Pan, commencent une fête 
qui est interrompue par des bruits souterrains, et par une espèce de 
Nuit qui obscurcit le théâtre entièrement, et tout à coup; ce qui de 
frayeur qui sont une manière de concert affreux, avec les bruits 
souterrains.

Choeurs
Quel désordre soudain! quel bruit affreux redoutable!
Que épouvantable fracas!
Quels gouffres s'ouvrent sous nos pas!
Le jour palît, le Ciel se trouble;
La Terre va vomir tout l'Enfer en courroux:
Fuions, fuions, sauvons-nous, sauvons-nous.

Dans cette obscurité soudaine, l'Envie sort de son Antre qui s'ouvre 
au milieu du Théâtre: elle évoque le monstrueux Serpent Python, qui 
paroit dans son Marais bourbeux, jettant des feux par la gueule et par 
les yeux, qui sont la seule lumière qui éclaire le théâtre: elle 
appelle les Vents les plus impétueux pour seconder sa fureur, elle en
fait sortir quatre de ceux qui sont renfermez dans les cavernes 
souterrianes, et elle en fait descendre quatre autres de ceux qui 
forment les orages, qui tous après avoir volé et s'être croisés dans 
l'air, viennent se ranger autour d'elle, pour l'aider à troubler les 
beaux jours que le Soleil donne au monde.

L'Envie
C'est trop voir le Soleil briller dans sa Carrière,
Les Rayons qu'il lance en tous lieux,
Ont trop blessé mes yeux;
Venez, noirs ennemis de sa vive lumière,
Joignons nos transports furieux.
Que chacun me seconde:
Paroissez, Monstre affreux.
Sortez? VEnts souterrains, des Antres les plus creux,
Volez, Tirans des airs, troublez la Terre et l'Onde,
Répandons la terreur;
Qu'avec nous le Ciel gronde:
Que l'Enfer nous réponde;
Remplissons la Terre d'horreur:
Que la Nature se confonde:
Jetons dans tous les coeurs du monde
La jalouse fureur
Qui déchire mon coeur.

L'Envie distribue des Serpents aux Vents, qui forment autour d'elle 
de manières de tourbillons. 

L'envie continue à chanter.
Et vous Monstre, armez-vous pour nuire
A cet astre puissant qui vous a sçeu produire:
Il répand trop bien, il reçoit trop de voeux.
Agitez vos marais bourbeux:
Excitez contre lui mille vapeurs mortelles:
Déployez, étendez vos ailes,
Que tous les Vents impétueux(...)

Ces vents forment de nouveaux tourbillons, tandis que le serpent Python 
l'élève en l'air, par un rond qu'il fait en volant. 

L'Envie continue.
Osons tous obscurcir ses clartés les plus belles,
Osons nous opposer à son cours trop heureux:
Quels traits ont crevé le Nuage?
Quel Torrent enflammé s'ouvre un brillant passage!
Tu triomphes,Soleil? tout cède à ton pouvoir?
Que d'honneurs tu vas recevoir!
Ah quelle rage! Ah quelle rage!
Quel désespoir! quel désespoir!

Des traits enflammés percent l'épaisseur des Nuages, et fondent sur le 
Serpent Python, qui après s'être débattu quelque temps en l'Air, 
tombe enfin tout embrasé dans Marais bourbeux; une pluie de feu se 
répand sur toute la scène, et contraint l'EZnvies de s'abîmer avec 
les quatre Vents souterrains, tandis que les Vents de l'Air s'envolent,
et dans le même instant les Nuages se dissipent et le Théâtre devient 
entièrement éclairé. L'Assemblée champêtre que la fraieur avoit 
chassée revient, pour celebrer la Victoire du Soleil, et pour lui 
préparer des Trophées, et des Sacrifices.

Palès
Chassons la crainte qui nous presse.

Melisse
Rien ne doit plus faire peur.

Pan
Le Monstre est mort, l'orage cesse,
Le soleil est vainqueur.

Le Choeur répète.
Le monstre est mort, l'orage cesse,
Le soleil est vainqueur.

Palès
Qu'on lui prépare
De superbes Autels.

Melisse
Que l'on pare
D'ornements immortels.

Le Choeur
Conservons la mémoire
De sa victoire.
Par mille honneurs divers,
Répandons le bruit de sa gloire
Jusqu'au bout de l'univers.

Palès
Mais le soleil s'avance,
Il se découvre aux yeux de tous.

Le Choeur
Respectons sa présence
Par un profond silence,
Ecoutons, taisons-nous.

Le soleil, sur son char.
Ce n'est point par l'éclat d'un pompeux sacrifice,
Que je me plais à voir mes soins recompensez;
Pour prix de mes Travaux ce me doit être assez,
Que chacun en jouisse;
Je fais les plus doux de mes voeux
De rendre tout le monde heureux.
Dans ces lieux fortunez, les Muses vont descendre,
Les jeux galants suivront leurs pas;
J'inspire les chants plein d'appas
Que vous allez entendre:
Tandis que je suivrai mon cours,
Profitez des beaux jours.

Le soleil s'élève dans les Cieux, et toute l'Assemblée champêtre forme 
des jeux, où les chansons sont mêlées avec les danses.

Le choeur
Profitons des beaux jours.

Palès
Suivons tous la même envie.

Le choeur
Profitons des beaux jours.

Melisse
Aimons, tout nous y convie.

Le Choeur
Profitons des beaux jours.

Palès
Les plus beaux jours de la vie
Sont perdus sans les Amours.

Le Choeur
Profitons des beaux jours.

Tandis que les Nymphes et les Dieux champêtres dansent avec les bergers
et les bergères, Palès, Melisse et Pan, mêlent leurs voix avec les 
instruments rustiques.

Palès, Melisse et Pan (ensemble)
Heureux qui peut plaire!
Heureux les amants!
Leurs jours sont charmants:
L'Amour sçait leur faire
Mille doux moments.
Que sert la jeunesse
Aux coeurs sans tendresse?
Qui n'a point d'amour
N'a pas un beau jour.

Second couplet
En vain l'Hiver passe,
En vain dans les champs
Tout charme nos sens,
Une âme de glace
N'a point de Printemps.
Il faut se défaire
d'un coeur trop sévère,
Qui n'a point d'Amour
N'a pas un beau jour.

Archas un des Dieux des Forêts chante, et tous les instruments et 
toutes les voix lui répondent, tandis que l'Asseemblée champêtre danse,
et se joue avec des branches de chêne, dont elle forme plusieurs 
figures agréables.

Archas
Peut-on mieux faire,
Quand on sçait plaire,
Peut-on mieux faire
Que d'aimer bien;
Quelque embarras que l'Amour fasse
C'est toujours un charmant lien;
Trop de repos bien souvent embarrasse,
Que fait-on d'un coeur qui n'aime rien?
Second couplet
L'Amour contente,
Sa peine enchante,
L'Amour contente,
Tout en est bon.
dans les beaux jours de notre vie
Les plaisirs sont dans leur saison,
Et quelque peur d'amoureuse folie
Vaut souvent mieux que trop de raison.

ACTE I
Scène 1
Cadmus, deux princes Tiriens, un page.
Le théâtre change et représente un jardin.

Premier Prince Tirien
Quoi, cadmus, fils d'un roi qui tient sous sa puissance
Les bords féconds du Nil et les Climats brûlez;
Cadmus, après deux ans loin de Tir écoulez,
Etranger chez les grecs, n'a point d'impatience
De revoir un Pays dont il est l'espérance?
Et laisse sans regrets tant de coeurs désolez?

Les deux princes tiriens (ensemble)
Nous suivons vos destins par tout sans résistance:
Faudra-t-il que toujours nous soyons exilés?

Cadmus
J'aimerois à revoir les lieux de ma naissance;
Mais avant que je puisse en goûter la douceur,
J'ai juré d'achever une juste vengeance.

Premier Prince Tirien
Et cependant, Seigneur,
Vous laissez en ces lieux languir vôtre grand coeur.

Cadmus
Après avoir erré sur la Terre et sur l'Onde
Sans trouver Europe ma Soeur;
Après avoir en vain cherché son ravisseur,
Le ciel termine ici ma course vagabonde;
Et c'est pour obéir aux oracles des Dieux
Qu'il faut m'arrêter en ces lieux.

Premier Prince Tirien
Si vous trouvez des Dieux dont l'ordre vous engage
A choisir ce séjour;
Le dieu que votre coeur consulte davantage
Est peut-être l'Amour.

Deuxième Prince Tirien
Seroit-il possible
Qu'un héros invincible
Eût un coeur qu'Amour sçut charmer?

cadmus
Quel coeur n'est pas fait pour aimer?
Et pour être un héros doit-on être insensible?
Que sert contre Hermione un courage indompté?
Qui peut n'en pas être enchanté?
Le Dieu Mars est son père,
Elle en a la noble fierté;
La mère d'Amour est sa mère,
Elle en a la beauté.

Premier prince tirien
A quoi sert un amour qui n'a point d'espérance;
Hermione est sous la puissance.

Cadmus
C'est un affreux géant, c'est un monstre odieux.

Deuxième prince tirien
Il est du sang de Mars, ce Dieu le favorise,
Et c'est enfin à lui qu'Hermione est promise:
Nul autre des mortels n'en doit être l'époux;
Et si vous en tentez la fatale entreprise,
La Terre avec le Ciel s'armera contre vous.
Cadmus
Hé bien je périrai si le destin l'ordonne,
Je veux délivrer Hermione:
Et si je l'entreprends en vain,
Je ne saurois périr pour un plus beau dessein.

Scène 2
Cadmus, Arbas, les deux Princes, le Page

Cadmus
Où sont nos afriquains? que leur troupe s'avance:
La Princesse veut voir leur plus galante danse.
D'où vient qu'aucun d'eux ne paroit?

Arbas
Vos ordres sont suivis, seigneur, et tout est prêt!
Mais le Tiran s'est mis en tête
Qu'il faut que ses géans dansent dans cette fête.

Cadmus
Comment faire mouvoir les colosses affreux!

Arbas
Quand on lui dit, Comment? Il répond, je le veux,
Ces grands Hommes pleins de chimeres
Sont d'un raisonnement fâcheux,
Et fiers d'être au dessus des Hommes ordinaires
Pensent que la raison doit être au dessous d'eux;
Je n'ai pû garder des mesures,
J'ai pesté contre lui, j'ai vomi des injures,
Je l'ai nommé Tiran, cent fois.

Cadmus
On doit toujours respect aux rois.

Arbas
Eut-il dû m'étrangler, je n'aurois pû me taire:
J'étois trop en colère;
Si je n'avois rien dit,
J'aurois étouffé de dépit.

Cadmus
Contentons le Géant, il est ici le maître;
Hermione est soumise à son cruel pouvoir:
Ce divertissement, tel enfin qu'il puisse être,
Me vaudra quelque temps le plaisir de la voir.
S'il ne m'est pas permis de lui parler moi-même
Et d'oser lui dire que je l'aime;
Du moins nos Afriquains, par leurs chants les plus doux
Pourront l'entretenir de mon amour extrême,
En dépit d'un Rival jaloux.
Préparons tout en diligence,
Hâtons-nous , la princesse avance.

Arbas
Allons.

Cadmus
Toi ne suis point mes pas,
Je vais voit le géant, il faut que tu l'évites.

Arbas
Non, non, nous n'aurons point de bruit si d'embarras
Pour les injures quej'ai dites,
Je les disois si bas
Qu'il ne m'entendoit pas.

Scène 3
Hermione, Charite, Aglante, La Nourrice d'Hermione, un page.

Hermione
Cet aimable séjour
Si paisible et si sombre,
Offre du silence et de l'ombre
A qui veut éviter le bruit, et le grand jour.
Ah! que n'est-il aussi facile
De trouver un asile
Pour éviter l'Amour!
L'Impitoyable Tyrannie,
Dont je suis les barbares Loix,
Ne défend pas d'aimer le chant et l'harmonie:
Vous qui me faites compagnie
Répondez à ma voix.

Agalante
On a beau fuir l'Amour, on ne peut l'éviter,
On n'oppose à ses traits qu'une défense vaine,
On s'épargne bien de la peine,
Quand on se rend sans résister.

Charite
La peine d'aimer est charmante,
Il n'est point de coeur qui s'exempte
De payer ce tribut fatal.
Si l'Amour épouvante
Il fait plus de peur que de mal.

La Nourrice
Quel choix est en vostre puissance?
Songez à quel époux le Ciel vous veut unir.

Hermione
Je frémis quand j'y pense,
Pourquoi m'en fais-tu souvenir?

La Nourrice
Vous êtes sans espoir du côté de la Terre:
Le roi qui vous retient dans ce charmant séjour,
A pour lui le Dieu de la Guerre;
Il a rassemblé dans sa Cour
Les restes des Géants échappés du Tonnerre.
Gardez-vous pour Cadmus d'un malheureux amour,
Le don de votre coeuur lui coûteroit le jour.

Hermione
Ah! Quelle cruauté de vouloir me contraindre
A ce choix odieux que je ne puis souffrir!

La Nourrice
Tout le monde vous trouve à plaindre,
Personne cependant n'ose vous secourir.

Aglante
Voici les Afriquains, mais les géants les suivent;

Hermione
Quoi par tous les Géants? Quoi toujours nous troubler?

Charite
C'est d'ordinaire ainsi que les plaisirs arrivent;
Quelque chagrin fâcheux s'y vient toujours mêler.

Scène 4
Hermione, Charite, Aglante, Le Nourrice, Cadmus, deux princes tiriens,
treize Afriquains dansants et jouants de la guitare.

Messieurs Beauchamps seul, Favier l'aîné, Lestang, Faüre, Magny,
Favier Cadet, Joubent, noblet, Foignac cadet.
Afriquains joüans de la guitare: Messieurs Mayeux, Chicanneau, Peyan,
Bonard.
Deux autres Afriquains chantant: Arbas, le géant, Quatre autres géants,
trois pages.
Un des Afriquains plante un grand Palmier au milieu du Théâtre: cet 
arbre est orné de plusieurs festons et guirlandes: les quatres géants 
se mêlent avec les Afriquains, et forment ensemble une danse mêlée de 
chansons.

Arbas (chante avec les deux Afriquains)
Suivons, suivons l'Amour, laissons-nous enflammer,
Ah! Ah! Ah! qu'il est doux d'aimer!

Premier Afriquain
Quand l'Amour vous l'ordonne,
Souffrons les rigueurs,
Chérissons les langueurs,
Il n'exempte personne
De ses traits vainqueurs;
Quel péril nous étonne?
Laissons trembler les faibles coeurs.

Arbas et les deux Afriquains
suivons, suivons l'Amour, laissons-nous enflammer,
Ah! Ah! Ah! qu'il est doux d'aimer!

Deuxième Afriquains chantans
Deux Amants peuvent feindre
Quand ils sont d'accord;
Plus l'Amour trouve à craindre,
Plus il fait d'effort;
On a beau le contraindre,
Il en est le plus fort.

Arbas et deux Afriquains
Suivons, suivons l'Amour, laissons-nous enflammer,
Ah! Ah! Ah! qu'il est doux d'aimer!

Tous trois ensemble
On n'a rien de charmant
Aisément,
Et sans alarmes:
Mais tout plaît, en aimant,
il n'est point de tourment
Qui n'ai des charmes:
Suivons, suivons l'Amour, laissons-nous enflammer,
Ah! Ah! Ah! qu'il est doux d'aimer!

Après l'entrée, Hermione se lève de la place où elle étoit assise près
du géant, qui la suit et l'arrête dans le temps qu'elle se veut retirer.

Le géant
Il est temps de finir ma peine
Après tant d'injustes refus.
Où voulez-vous aller? vous fuyez, inhumaine?

Hermione
J'étois pour voir ici quelques danses Afriquaines,
Les Afriquains ne dansent plus?

Le géant
Rien ne doit plus m'être contraire:
Mars est pour moi, c'est votre Père,
C'est lui qui veut unir votre coeur et le mien.

Hermione
Je suis soeur de l'Amour, et Vénus est ma mère,
S'ils ne sont pas pour vous, les contez-vous pour rien?

Le géant
Il faut que votre destinée
Suive l'ordre du Dieu dont vous tenez le jour;
Et toujours l'hyménée
Ne prends pas l'avis de l'Amour.
Vous craignez les raisons dont je puis vous confondre?
Vous ne m'écoutez pas? voulez-vous m'éviter?

Hermione
Quand on n'a rien à répondre,
A quoi sert-il d'écouter?

Le géant
Je vous suivrai partout malgré votre colère,
sans cesse à vos regards je veux me présenter;
Et si ce n'est pas pour vous plaire,
Ce sera pour vous tourmenter.

Scène 5
Cadmus, deux princes tiriens, un page

Cadmus
C'est trop l'abandonner à ce cruel supplice:
Il est temps d'éclater,
Et d'oser tout tenter
Contre tant d'injustice.

Premier prince tirien
C'est exposer vos jours à d'horribles hasards,
Vous aurez à dompter l'affreux dragons de Mars.

Deuxième prince tirien
Il faut semer ses dents, et voir soudain la Terre
En former des soldats pour vous faire la guerre.

Les deux princes tiriens (ensemble)
Voyez à quels dangers vous allez vous offrir.

Cadmus
Je ne vois qu'Hermione, et je la vois souffirf:
Tout cède à cette horreur extrême;
Il est moins affreux de mourir
Que de voir souffrir ce qu'on aime.
Rien ne me peut épouvanter:
Malgré tant de périls, l'Amour veut que j'espère.

Scène 6
Junon, Pallas, cadmus, les deux princes.

Junon (sur son char)
Où cours-tu te précipiter?
C'est l'épouse et la soeur du maître du tonerre,
La mère du Dieu de la guerre,
C'est Junon qui vient t'arrêter.

Pallas (sur son char)
Va, Cadmus, que rien ne t'étonne,
Va, ne crains ni Junon, ni le Dieu des Combats:
Ose secourir Hermione,
Tu vois dans ton parti la guerrière Pallas,
Cours aux plus grands dangers, je vais suivre tes pas,
C'est Jupiter qui me l'ordonne.

Junon
Pallas pour les amants ne déclare en ce jour;
Qui l'auroit jamais osé croire?

Pallas
Qui peut être contre l'Amour
Quand il s'accorde avec la gloire?

Junon 
Evite un courroux dangereux.

Pallas
Profite d'un avis fidèle.

Junon
Fuis un trépas affreux.

Pallas
Cherche dans les périls une gloire immortelle.

Cadmus
Entre deux déïtés qui suspendent mes voeux,
Je n'ose résister à pas une des deux,
Mais je suis l'Amour qui m'appelle.

Junon
Je poursuivrai tes jours.

Pallas
Je vole à ton secours.

Junon et Pallas sont enlevées sur leurs chars.

Acte II

Scène 1
Arbas, Charite.
Le théâtre change, et représente un Palais.

Arbas
Il est trop vrai, Cadmus veut entreprendre
De remettre Hermione en pleine liberté:
Il l'a dit au tiran, et je viens de l'entendre!

Charité
Et que dit le géant? n'est-il point irrité?

Arbas
il rit de sa témérité,
Mon maître doit voir la Princesse
Avant d'attaquer le dragon furieux
qui veille pour garder ces lieux;
Et l'Amour qui pour toi me presse
Veut que je vienne aussi te faire mes adieux.
En te voyant, belle Charite,
J'avois cru que l'Amour fût un plaisir charmant;
Mais lors qu'il faut que je te quitte,
J'éprouve qu'il n'est point un plus cruel tourment.
La douleur me saisit, je ne puis plus rien dire;
Quand je pleure, quand je soupire,
Tu ris, et rien n'émeut ton coeur indifférent?

Charite
Tu fais la grimace en pleurant,
Je ne puis m'empêcher de rire.

Arbas
La pitié, tout au moins, devroit bien t'engager
A prendre quelque part à mes ennuis extrêmes.

Charite
S'il est bien vrai que tu m'aimes,
Pourquoi veux-tu m'affliger?

Arbas
Pour soulager mon coeur du chagrin qui le presse,
Te coûteroit-il tant de l'affliger un peu?

Charite
C'est un poison que la tristesse,
L'Amour n'est plus plaisant dès qu'il n'est plus un jeu.

Arbas
On console un Amant des rigueurs de l'absence
Par des tendres adieux.

Charite
Quand il faut se quitter, un peu d'indifférence
Console encore mieux.

Arbas
Tu me l'avois bien dit, qu'il étoit impossible
Que ton barbare coeur perdit sa dureté.

Charite
Au moins si tu te plains de me voir insensible,
Tu dois être content de ma sincérité;
Puisqu'enfin pour te satisfaire
Je ne puis pleurer avec toi;
Si tu voulois me plaire
Tu rirois avec moi.

Arbas
C'est trop railler de mon martire,
Le dépit m'en doit délivrer;
N'est-on pas bien fou de pleurer
Pour qui n'en fait que rire?

Charite
Guéris-toi, si tu peux,
J'approuve ta colère;
Quand on désespère
Un coeur amoureux;
C'est par un dépit heureux
Qu'il faut se tirer d'affaire.

Chartie et Arbas ensemble
Quand on désespère
un coeur amoureux;
C'est pas un dépit heureux
Qu'il faut se tirer d'affaire.

Arbas
Mais la nourrice vient, il me faut éloigner.

Charite
Tu sais que tu lui plais, la veux-tu dédaigner?
C'est une conquête assez belle.

Arbas
Si je lui plais, tant pis pour elle.

Scène 2
La nourrice, Arbas, Charite

La Nourrice
Quoi! dès que je parois, tu fuis au même instant?
Lorsqu'on a des amis, est-ce ainsi qu'on les quitte?

Arbas
Le temps presse, et Cadmus m'attends.

La Nourrice
Quand tu parlois seul à Charite,
Le temps ne te pressoit pas tant:
Quel charme a-t-elle qui t'attire?
Qu'ai-je qui te fait en aller?

Arbas
J'avois à lui parler,
Je n'ai rien à te dire.
Je dois suivre Cadmus, nous partons de ce lieu.

La Nourrice
Me dire adieu, du moins, est une bienséance
Dont rien ne te dispense.

Arbas
Je te dis donc adieu.

Scène 3
La Nourrice, Charite

La Nourrice
Il me quitte, l'ingrat, il me fuit, l'infidèle!
Ne crains pas que te rappelle!
Va, cours, je te laisse partir:
Va, je n'ai plus pour toi qu'une haine mortelle:
Puisses-tu rencontrer la mort la plus cruelle,
Puisse le dragon t'engloutir.

Charite
Crois-moi, modère
L'éclat de ta colère;
Un dépit qui fait tant de bruit
Fait trop d'honneur à qui nous fuit.

La Nourrice
Ah! vraiment je vous trouve bonne?
est-ce à vous, peite Mignonne,
De reprendre ce que je dis?
Attendez l'âge
Où l'on est sage,
Pour donner des avis.

Charite
Je suis jeune, je le confesse,
trouves-tu ce défaut si digne de mérpis?
N'a-t-on point de bons sens qu'en perdant la jeunesse?
Il seroit bien cher à ce prix.

La Nourrice
Le temps doit mûrir les esprits,
Et c'est le fruit de la vieillesse.

Charite
il n'est pas sûr que la sagesse
Suive toujours les cheveux gris.

La Nourrice
Je souffre peu que l'on me blesse:
Par des discours piquants
Prétends-tu m'insulter sans cesse?

Charite
Je respecte trop tes vieux ans. 
Mais Cadmus, et la Princesse,
Viennent dans ces lieux;
Ne troublons pas leurs adieux.

Scène 4
Cadmus, Hermione

cadmus
Je vais partir, belle Hermione,
Je vais exécuter ce que l'Amour m'ordonne,
Malgré le péril qui m'attend:
Je veux vous délivrer, ou me perdre moi-même;
Je vous vois, je vous dit enfin que je vous aime,
C'est assez pour mourir content.

Hermione
Pourquoi vouloir chercher une mort trop certaine?
Eh! que peut la valeur humaine
Contre le dieu Mars en courroux?
Voyez en quels périls vostre Amour nous entraîne!
J'aurois mieux aimer vostre haine:
Ah! Cadmus; pourquoi m'aimez-vous?

Cadmus
Vous m'aimez, il suffit, ne soyez point en peine?
Mon destin, tel qu'il soit ne peut être que doux.

Hermione
Vivons pour nous aimer, et cesser de poursuivre
Le funeste dessein que vous avez formé:
il doit être bien doux de vivre,
Lorsqu'on aime, et qu'on est aimé.

Cadmus
Sous une injuste loi je vous voie asservie,
Seroit-ce vous aimre que le pouvoir souffrir?
Lorsque pour ce qu'on aime on s'expose à périr,
La plus affreuse mort a de quoi faire envie.

Hermione
Mais vous ne songez pas qu'il y va de la vie:
Faut-il que pour mes jours vous soyez sans effroi:
Je vivrais sous l'injuste loi
où mon cruel destin me livre.
Mais si vous périssez pour moi,
Je ne pourrai pas vous suivre.

Cadmus
J'ai besoin de secours, voulez-vous m'accabler?
Ah! Princesse, est-il temps de me faire trembler?

Hermione
Soyez sensible à mes alarmes!

Cadmus
Je ne sens que trop vos douleurs.

Hermione
Partirez-vous malgré mes pleurs?

Cadmus
Il faut aller tarir la source de vos larmes.

Hermione
Quoi, vous m'allez quitter?

Cadmus
Je vais vous secourir.

Hermione
Ah! vous allez périr!
Vous cherchez une mort horrible;
mon amour me dit trop que vous perdez le jour.

cadmus
L'Amour que j'ai pour vous ne croit rien d'impossible:
Il me flatte en partant d'un bienheureux retour.

Hermione et Cadmus (ensemble)
Croyez en mon amour,
Vous n'écoutez point ma tendresse,
Rien ne vous retient?

Cadmus
Le temps presse.

Ensemble
Au nom des plus beaux noeuds que l'Amour ait formés,
Vivez, si vous m'aimez.

Cadmus
Espérons.

Hermione
tout me désespère.
Que je me veux de mal d'avoir trop sçû vous plaire!

Ensemble
Qu'un tendre amour coûte d'ennuis!

Hermione
Vous fuyez?

Cadmus
Il le faut.

Hermione
Demeurez?

Cadmus
Je ne puis,
Je m'affaiblis plus je diffère;
Il faut m'arracher de ce lieu.

Hermione
Ah! Cadmus!

Cadmus et Hermione (ensemble)
Adieu.

Scène 5

Hermione
Amour, vois quels maux tu nous fais,
Où sont les biens que tu promets;
N'as-tu point pitié de nos peines?
Tes rigueurs les plus inhumaines
Seront-elles toujours pour les plus te,dres coeurs?
pour qui, cruel Amour, gardes-tu tes douceurs?

Scène 6
L'Amour, Hermione

L'Amour (sur un nuage)
Calme tes déplaisirs, dissipe tes alarmes,
L'Amour vient essuyer tes larmes,
Il n'abandonne pas ceux qui suivent ses loix.
Souviens-toi que tout m'est possible:
Que rien à mon abord ne demeure insensible,
Que pour la divertir tout s'anime à ma voix.

Des statues d'or sont animées par l'Amour et sautent de 
leur pié-d'estaux pour danser.

L'Amour
Cessez de vous plaindre
Amants, vous devez ne rien craindre,
Si vous souffrez, vostre prix est charmant.
Après des rigueurs inhumaines
On aime sans peines
On rit des jaloux;
Un bien plein de charmes
Qui coûte des larmes,
En devient plus doux.
Tout doit rendre hommage
A l'Empire amoureux;
Il faut tôt ou tard qu'on s'engage,
Sans rien aimer on ne peut être heureux,
Après des rigueurs inhumaines, etc...
L'amour reprend sa place sur le nuage qui l'a apporté. Les statues
se remettent sur leurs Pié-d'estaux, tandis que dix petits amours
d'or, qui tiennent des corbeilles pleines de fleurs, sont à leur tour
animés par l'Amour, et viennent par son ordre jeter des fleurs en
volant autour d'Hermione.

L'Amour
Amours, venez semer mille fleurs sous ses pas.

Hermione
Laissez-moi ma douleur, j'y trouve des appas.
Dans l'horreur d'un péril extrême,
Est-ce là le secours que l'on me doit offrir?
Peut-être ce que j'aime
Est tout prêt de périr.

L'Amour s'envole au milieu des dix Amours.
Je vais le secourir.

Acte III

Scène 1
Les deux Princes tiriens, Arbas, deux Afriquains.
Le théâtre change et représente un désert et une grotte.

Premier prince tirien
Tu détournes bien tes regards?

deuxième prince tirien
As-tu peur du dragon de Mars?

Arbas
La défiance est nécessaire,
Il est bon de prévoir un facheux accident,
On ne doit point marcher ici en téméraire.

Premier prince tirien
C'est très bien fait d'être prudent.

Arbas
Je suis hardi quand il faut l'être;
Si quelqu'un en doutoit, il pourroit le connoitre.

Deuxième prince tirien
Qui voudroit s'attaquer à toi?

Premier prince tirien
On te croit vaillant sur ta foi.
Mais la couleur de ton visage
Répond mal à ta valeur!

Arbas
Est-ce par la couleur
Que l'on doit juger du courage?

Deuxième prince tirien
Que tes sens paroissent troublés!
Tu trembles?

Arbas
C'est qu'il vous le semble:
Chacun croit que l'on lui ressemble,
C'est peut-être vous qui tremblez?
Que maudit soit l'Amour funeste
Qui nous fait tant souffrir dans ce malheureux jour!
On se soulage quand on peste,
Et l'on ne sçauroit trop pester contrez l'Amour.

Les deux princes et Arbas, ensemble. 
Gardons-nous bien d'avoir envie
D'être jamais amoureux:
De tous les maux de la vie
L'Amour est le plus dangereux.

Premier prince tirien
Cadmus veut essayer de rendre Mars propice,
C'est ici qu'il prétend offrir un sacrifice.

Deuxième prince tirien
Pour de soins différents il faut nnous séparer.

Les princes (ensemble)
Allons nous préparer.

Scène 2
Arbas, deux Afriquains

Arbas
Acquittons-nous des soins où Cadmus nous engage.
Quel bruit! non, ce n'est rien, courage amis, courage!
Qu'on a peine à donner du courage en tremblant
Il ne tient pas à moi que je ne sois vaillant,
Je tâche au moins de le paroitre;
Je ne suis pas le seul qui se pique de l'être,
Et qui n'en fait que le semblant.
Il faut puiser de l'eau pour la cérémonie;
Avancez, je vous suis. Quel dragon furieux!

Les deux Afriquains
O Dieux! O Dieux!

Dans le temps que les deux Afriqauins veulent puiser de l'eau, 
le Dragon s'élance sur eux, et les entraîne.

Arbas
Ah! c'est fait de ma vie.
N'est-il point d'arbres, ou de Rocher,
Qui s'entrouve pour me cacher?

Scène 3
Cadmus, Arbas

Cadmus
Où vas-tu?

Arbas
Le Dragon.

Cadmus
Hé bien?

Arbas
Ah! mon cher maître...

Cadmus
Parle donc?

Arbas
Le Dragon...

Cadmus
Où le vois-tu paroître
Je regarde partout, et je n'aperçois rien.

Arbas
Quoi le dragon nous suit? mais regardez bien?

Cadmus
Où sont les compagnons? qui t'oblige à te taire?
Tu parois interdit d'effroi?

Arbas
Seigneur, vous jugez mal de moi,
Si je suis interdit, ce n'est que de colère.
Mes pauvres compagnons! hélas!
Le dragon n'en a fait qu'un fort léger repas.

Cadmus
Allons il faut que je les venge.

Arbas
Quelle hâte avez-vous que le Dragon vous mange?
Laissez-le se cacher. Ah! le voilà qui sort!
Au secours! Au secours! je suis mort! je suis mort!
O ciel! Où sera mon asile?
La frayeur me rend immobile;
Je ne sçaurois plus faire un pas:
Ah! cachons-nous, ne soufflons pas.
Arbas se cache et Cadmus combat contre le dragon.

Cadmus (après avoir tué le dragon)
Il ne faut plus que je diffère
D'engager le Dieu Mars à calmer sa colère;
Si je puis l'adoucir, rien ne peut me troubler.
Mes gens sont écartés, il faut les rassembler.

Scène 4

Arbas, sortant de l'endroit où il étoit caché.
Le Dragon assouvi de sang et de carnage,
S'est enfin retiré dans quelque Antre sauvage:
Tout est calme en ces lieux, et je n'entends plus rien.
Je sens revenir mon courage,
Allons conter partout le trépas de mon maître
Que je plains son funeste sort!
Allons, mais que vois-je paraître!
Le Dragon étendu! ne fait-il point le mort?
Non, je le vois percé, son sang coule, ah! le traître!
Je ne puis sontre lui retenir mon courroux,
Et je lui veux donner au moins les derniers coups.
Arbas met l"p"e à la main et va percer le Dragon, qui fait encore
quelque mouvement qui oblige Arbas de retourner sur le devant 
du théâtre.

Scène 5
Les deux princes tiriens, Arbas

Premier prince tirien
Quoi l'épée à la main! que faut-il entreprendre?

Deuxième prince tirien
De quel péril es-tu pressé?
Les deux princes ensemble.
Nous aurons soin de te défendre.

Arbas
Vous venez un peu part, le péril est passé.

Les deux princes
Que voyons nous! qui l'eût pû croire?
Quoi le Dragon est abbattu!

Arbas
Nous en avons sans vous remporter la victoire.

Premier prince tirien
As-tu part à sa gloire?

Arbas
Eh, nous n'étions pas loin quand il a combattu.

Les deux princes
Conte-nous ce combat.

Arbas
J'en suis si hors d'haleine.
Que je ne puis encore m'exprimer qu'avec peine.
Il est bon d'essuyer ce fer ensanglanté,
De crainte qu'il ne soit gâté.

Les deux princes
Ah! quels chagrins pour nous de manquer l'avantage
De signaler notre courage!

Arbas
Tous ces chagrins, et ces regrets
Sont des soins qui ne coûtent guère,
Quand on ne voit plus rien à faire
On fait le brave à peu de frais.

Premier prince tirien
On prend peu garde à toi; Cadmus nous rend justice,
Mais il vient, rangeons-nous pour voir le sacrifice.

Scène 6
Cadmus, les deux princes tiriens, Arbas, le Grand Sacrificateur, seize
sacrificateurs chantants.

Le grand sacrificateur
Mars! ô toi qui peux
Déchaîner quand tu veux
Les fureurs de la guerre,
O mars! reçois nos voeux.

Le grand Sacrificateur.
Ton funeste courroux n'est pas moins dangereux
Que l'éclat fatal du tonnerre:
O Mars! reçois nos voeux.

Le choeur des sacrificateurs
O Mars! reçois nos voeux.

Le Grand sacrificateur
Les combats sanglants sont tes jeux;
Tu sçais, quand il te plaît, remplir toute la Terre
De ravages affreux.
O Mars reçois nos voeux.

Le Choeurs
O Mars! reçois nos voeux.

Les sacrificateurs chantants demeurent prosternés, les sacrificateurs
dansants font cependant une entrée au son des timbales et au bruit
des Armes, après quoi les sacrificateurs chantants se relèvent et
chantent.

Le Grand sacrificateur
Mars redoutable!
Mars indomptable!
O Mars! ô Mars! ô Mars!

Le choeur
Mars redoutable!
Mars indomptable!
O Mars! ô Mars! ô Mars!

Le grand sacrificateur
O Mars impitoyable:
Est-il révocable
Que ta haine implacable
Accable
Une âme inébralable
Au milieu des hasards.

Le choeur
O Mars! ô Mars! ô Mars!
Mars redoutable!
Mars indomptable!
O Mars! ô Mars! ô Mars!

Le grand sacrificateur
Que les tumultes des alarmes,
Que le bruit, que le choc, que le fracas des Armes,
Retentisse de toutes parts.

Le choeur
O Mars! ô Mars! ô Mars!
Mars redoutable!
Mars indomptable!
O Mars! ô Mars! ô Mars!

Le grand sacrificateur
Qu'on fasse approcher la victime:
Puisse-t-elle calmer le courroux qui t'anime,
Et n'attirer sur nous que tes doux regards.

Le choeur
O Mars! ô Mars! ô Mars!
Mars redoutable!
Mars indomptable!
O Mars! ô Mars! ô Mars!

Scène 7
Mars paroit sur son char, et interrompt les sacrificateurs.

Mars 
C'est vainement que l'on espère
Que d'inutiles voeux apaisent ma colère;
Je ne révoque point mes loix.
Si Cadmus veut me satisfaire
Qu'il achève, s'il peut, de mériter mon choix!
Un vain respect ne peut me plaire,
On ne satisfait MArs que par de grands exploits.
Vous, que l'enfer a nourries
Venez, cruelles Furies,
Venez, brisez l'Autel en cent morceaux épars!

Le Choeur
O Mars! ô Mars! ô Mars!

Quatre Furies descendent qui brisent l'Autel, et s'envolent ensuite,
tenant chacune un tison du sacrifice à la main. Le char de Mars tourne
dans un même temps, et l'emporte au fonds du théâtre, où l'on le perd
de vue, et tous les sacrificateurs et les assistants se retirent, 
criant, ô Mars!

Acte IV

Scène 1
Cadmus, Arbas
Le théâtre change, et représente le Champ de Mars.

Cadmus
Voici le Champ de Mars, il faut que sans remise
J'achève ici mon entreprise;
J'ai les dents du dragonn et je vais les semer.

Arbas
Ce sont des ennemis que vous verrez former.
Tant de soldats armés vont naître,
Que vous serez d'abord accablé de leurs coups;
Et vous ne songez pas peut-être,
Que vous n'avez ici que moi seul avec vous.

cadmus
Je ne veux exposer personne
Au péril où je m'abandonne;
Je dois combattre seul, et ne retiens que toi:
Tu connais mon amour, je suis sûr de ta foi,
Je veux bien que tu sois le dernier qui me quitte.

Arbas
Seigneur, vous m'honnorez plus que je ne mérite:

Cadmus
Si je ne fais qu'un vain effort,
Accompli ce que je t'ordonne:
Sitôt que tu sçauras ma mort,
Hâtes-toi de voir Hermione:
Va, porte-lui mes derniers voeux.
Qu'elle vive, il suffit de plaindre un malheureux.
Qu'elle ait soin de garder le souvenir fidèle
D'une flamme si belle;
C'est l'unique prix que je veux
De ce que j'aurai fait pour elle.
Je ne prétends plus t'arrêter.
Laisse-moi.

Arbas
Faut-il vous quitter?

Cadmus
Je le veux: obéis.

Arbas
Ah! quelle violence,
Seigneur exigez-vous de mon obéissance.

Scène 2
L'Amour, Cadmus

L'Amour (sur un nuage brillant)
Cadmus reçoit le don que je viens t'apporter!
C'est l'ouvrage du Dieu qui forge le tonnerre;
Ne manque pas de le jeter;
Il faut faire voir en ce jour
Ce que peut un grand coeur secondé par l'Amour.
Achève le dessein où mon ardeur t'engage.

Cadmus
Je te vais obéir dans tarder davantage.

L'Amour et Cadmus (ensemble)
Il faut faire voir en ce jour
Ce que peut un grand coeur secondé par l'Amour.

L'Amour s'envole, et Cadmus sème les dents du Dragon, dont la terre 
produit des soldats armés qui se préparent d'abord à tourner leurs 
armes contre Cadmus, mais il jette au milieu d'eux une manière de 
grenade, que l'Amour lui a apporté, qui se brise en plusieurs éclats, 
et qui inspire aux combattants une fureur qui les oblige à combattre 
les uns contre les autres, et à s'entregorger eux-mêmes. Huit soldats 
armés nés de la Terre. Les cinq derniers qui demeurent vivants, 
viennent apporter leurs armes aux pieds de Cadmus. 

Scène 3
Cadmus, les combattants nés de la Terre

Echion, combattant
Arrêtons un transport funeste;
Pourquoi nous immoler en naissant dans ces lieux?
Réservons le sang qui nous reste,
Pour servir un héros favorisé des Dieux.

Cadmus
Allez: que dans ces murs chacun de vous s'empresse
De rendre hommage à la princesse
Qui doit donner ici des ordres absolus;
Vos premiers respects lui sont dûs,
Je vous suivrai de près, c'est ma plus douce envie.

Les combattants obéissent à cadmus qui demeure pour chercher et pour
rassembler les tiriens. Cherchons nos tiriens, ils tremblent pour ma
vie. Allons les rassurer, voyons de toutes parts.

Scène 4
Le géant, Cadmus

Le géant
Non, ce n'est point assez d'avoir satisfait Mars:
Tu vois un ennemi qu'il faut encore abbattre,
Au lieu de triompher recommence à combattre.

Cadmus
Combattons.

Le géant
J'ai pitié du péril que tu cours:
Il m'est honteux de vaincre avec tant d'avantage,
Va, fuir, et cède moi l'objet de nos amours.
Tu n'auras plus de Dieux qui défendent tes jours.

Cadmus
Les dieux m'ont donné du courgae,
Et c'est un assez grand secours.

Le géant
Voyons s'il n'est rien qui t'étonne.

Scène 5
Le géant, trois autres géants, Pallas, Cadmus.

Le géant
Qu'on vienne à moi, qu'on l'environne!
Qu'on le perce de tous côtés!

Pallas (assise sur un hibou volant)
Cadmus fermez les yeux. Perfides arrêtez.

Pallas découvre son bouclier et le présente aux yeux des quatre
géants, qui demeurent immobiles et deviennent dans un instant quatre
statues de pierre.

Pallas
Vois, Cadmus, vois quel supplice
A puni leur injustice.

Cadmus
Que vois-je! les géants armés
Ne sont plus de corps animés.

Pallas
Je t'ai promis mon assistance,
Je vais te préparer un superbe Palais:
Je veux joindre aux douceurs d'un hymen pelin d'attraits,
L'éclat, et la magnificence.
Goûte en paix un sort glorieux.
Va, n'écoute plus rien que l'amour qui t'anime;
Hermione vient dans ces lieux.

Cadmus
Par quel remerciement faut-il que je m'exprime?

Pallas (s'envolant)
Protéger la vertu d'un prince magnanime,
C'est le plus doux emploi des Dieux.

Scène 6
Cadmus, Hermione, Suite d'Hermione et de Cadmus

Cadmus
Ma princesse!

Hermione
Cadmus!

Cadmus
Quel bonheur!

Hermione
Quelle gloire!

Cadmus 
Je vous vois libre enfin!

HErmione
Je vous revois vainqueur?

Hermione
Quelle favorable victoire!

Hermione
Qu'elle a coûté cher à mon coeur!

Cadmus
Que c'est un charmant avantage
Que de pouvoir sauver d'un cruel esclavage
La beauté dont on est charmé.

Hermione
Que c'est un sort digne d'envie
Que de recevoir le bonheur de sa vie,
De la main d'un vainqueur aimé.

Cadmus et Hermione (ensemble)
Après des rigueurs inhumaines,
Le ciel favorise nos voeux;
Ah! que le souvenir des peines
Est doux quand on devient heureux.

Cadmus
Dieux! je ne vois plus Hermione,
Quel nuage épais l'environne!

Un nuage s'élève de la Terre qui enveloppe Hermione.

Scène 7
Junon, Camdus, Hermione: Suite

Junon (sur un paon)
Tu vois l'effet de mon courroux,
Il faut combattre encore Junon et sa puissance:
Le soin que prend pour toi mon infidèle époux
Attire sur tes feux l'éclat de ma vengeance.
Iris détruis l'espoir de cet Audacieux!
Enlève sur ton Arc Hermione à ses yeux.
Exécute à l'instant ce que Junon t'ordonne.

Hermione (enlevée sur l'Arc en Ciel)
O Ciel!

Tous ensemble
O Ciel, ô ciel! HErmione, Hermione.

Acte V
Scène 1
Le théâtre change, et représente le Palais que Pallas a préparé pour 
les noces de Cadmus et d'Hermione.

Cadmus (seul)
Belle Hermione, hélas, puis-je être heureux sans vous?
Que sert dans ce palais la pompe qu'on prépare?
Tout espoir est perdu pour nous?
Le bonheur d'un Amour si fièdle et si rare,
Jusques entre les Dieux a trouvé des jaloux.
Belle Hermione, hélas, puis-je être heureux sans vous?
Nous nous étions flattés que notre sort barbare
Avoit épuisé son courroux:
Quelle rigueur quand on sépare
Deux coeurs prêts d'être unis par des Liens si doux?
Belle Hermione, hélas, puis-je être heureux sans vous.

Scène 2
Pallas, Cadmus

Pallas (sur un nuage)
Tes voeux vont être satisfaits;
Jupiter et Junon ont fini leur querelle,
L'Amour lui-même a fait leur paix,
Ton Hermione enfin descend dans ce palais,
Des Dieux s'avancent avec elle;
Le Ciel veut que ce jour soit célébré à jamais.

Scène 3

Les cieux s'ouvrent, et tous les dieux paroissent et s'avancent pour
accompagner Hermione qui descen dans un trône à côté de Hyménée, qui
donne la place à Cadmus, et se met au milieu des deux époux.
La suite de cadmus et celle d'Hermione viennent prendre part à la
réjouissance des dieux, et Jupiter commence à inviter les Cieux et 
la Terre à contribuer au bonheur de ces deux Amants.

Jupiter
Que ce qui suit les Loix du Maître du tonnerre
Que les Cieux et la Terre
S'accordent pour combler vos voeux.
Après un sort si rigoureux,
Après tant de peines cruelles,
Amants fidèles,
Vivez heureux.

Tous les choeurs (répondent)
Après un sort si rigoureux,
Après tant de peines cruelles,
Amants fidèles,
Vivez heureux.
L'Hymen
L'Hymen veut vous offrir ses chaines les plus belles.

Junon
Junon en veut former les noeuds.

Les Choeurs 
Amants fidèles, 
Vivez Heureux.

Vénus 
Vénus vous donnera des douceurs éternelles.

MArs
J'écarterai de vous les fatales querelles,
Et les ennemis dangereux.

Les Choeurs 
Amants fidèles, 
Vivez Heureux.

Pallas
Attendez de Pallas mille faveurs nouvelles.

L'Amour
L'amour conservera toujours de si beaux feux.

Les Choeurs 
Après un sort si rigoureux,
Après tant de peines cruelles,
Amants fidèles, 
Vivez Heureux.

Juîter
Hymen, prend soin ici des Danses et des Jeux.

Les Choeurs 
Amants fidèles, 
Vivez Heureux.

L'Hymen
Venez, Dieu des festins, aimables jeux, venez
Comblez de vos douceurs ces époux fortunés
Tandis que tout le ciel prépare
Les dons qu'il leur a destinés,
La terre y doit méler ce qu'elle a de plus rare.
Venez, Dieu des festins, aimables jeux, venez
Comblez de vos douceurs ces époux fortunés.

Quatre Hamadriades sortent de la terre avec des corbeilles pleines
de fruit.

Arbas et la Nourrice (ensemble)
Serons-nous dans le silence
Quand on rit, et quand on danse:
Les chagrins ont eu leur temps,
Pour jamais le ciel les chasse,
Les plaisirs ont pris leur place;
Lorsque deux coeurs sont constants
Tôt ou tard ils sont contents.
Qu'il est doux quand on soupire,
De sortir d'un long martyre:
Les chagrins ont eu leur temps, 
Pour jamais le Ciel les chasse,
Les plaisirs ont pris leur place; 
Lorsque deux coeurs sont constants 
Tôt ou tard ils sont contents.

Des Amours font descendre du Ciel sous un espèce de petit pavillon, 
les présents des Dieux, attachés à des chaînes galantes. 
Les hamadriades et les suivants de Comus les portent aux deux époux,
et forment une danse, où Charite même une chanson.

Charite
Amants, aimez vos chaînes,
Vos soins et vos soupirs;
L'Amour suivant vos peines,
Mesure vos plaisirs;
Il cause des alarmes,
Il vend bien cher ses charmes;
Mais pour un si grand bien
Tous les maux ne sont rien.
Sans une aimable flamme
La vie est sans appas;
Qui peut toucher une âme
Qu'Amour ne touche pas?
Il cause des alarmes,
Il vend bien cher ses charmes;
Mais pour un si grand bien
Tous les maux ne sont rien.

Tous les Dieux du Ciel et de la Terre recommencent à chanter:
les Hamadriades et les suivants de Comus continuent à danser;
et ce mélangé de chants et de danses forme une réjouissance générale,
qui achève la fête des noces de Cadmus et Hermione.

Tous les choeurs
Après un sort si rigoureux,
Après tant de peines cruelles,
Amants fidèles,
Vivez heureux.
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