BELLEROPHON Tragédie Lyrique en cinq actes avec un prologue. Acteurs de la création ou des premières reprises. Prologue Bacchus (haute-contre) Pan (basse) Apollon (basse) Les neuf muses Choeurs d'Aegipans, de Ménadesn de Bergers et de Bergères. Tragédie Philonoe, fille de jobate, roy de Lycie Stenobée, veuve de Prétus, roy d'Argos Argie, sa confidente Pallas Bellérophon Jobate, roy de Lycie Amisodar, prince lycien, savant en magie et amoureux de Sténobée La Pythie (haute-contre) Sacrificateurs, Amazones, Solymes, troupe de Magiciens, Choeur de Peuples. PROLOGUE Le théâtre représente le Mont Parnasse; Apollon y est assis accompagné de neuf Muses qui sont aussi assises des deux côtés. Apollon Muses, préparons nos concerts; Le plus grand roy de l'univers Vient d'assurer le repos de la terre, Sur cet heureux vallon Il répand ses bienfaits. Après avoir chanté les fureurs de la guerre, Chantons les douceurs de la paix. Les Muses Après avoir chanté les fureurs de la guerre, Chantons les douceurs de la paix. Apollon Par cet auguste roy la discorde est bannie; pour tous les Dieux sa gloire a tant d'appas Que Pan luy-même, oubliant nos débats, Vient icy de nos chants augmenter l'harmonie; Bacchus ainsi que luy va se joindre avec nous Pour rendre nos accords plus charmants et plus doux. Bacchus entre icy d'un côté accompagné d'Oegipans et de Ménades, et Pan entre de l'autre côté, suivy de Bergers et de Bergères. Bacchus Du fameux bord de l'Inde où toujours la victoire Rangea les peuples sous ma loy, Je viens prendre part à la gloire D'un vainqueur aussi grand que moy. Pan J'ay quitté les forêts où je tiens mon empire Pour venir comme vous Admirer ce héros. Nos plaines et nos bois luy doivent leur repos; C'est par luy seul que tout respire. Choeur d'Apollon et des Muses qui chantent avec le choeur de Bacchus et de Pan. Chantons, chantons le plus grand des mortels. Chantons, chantons un roy digne de nos autels. Par luy tous nos champs refleurissent, Les tranquilles plaisirs Par luy sont de retour. De son nom seul nos échos retentissent. Si l'on soupire encor ce n'est plus que d'amour. Tout rit dans nos douces retraites, Rien ne vient plus troubler le son de nos musettes. Un Berger chante ce menuet alternativement après les instruments. Un berger Pourquoy n'avoir pas le coeur tendre? Rien n'est si doux que d'aimer; Peut-on aisément s'en défendre? Non, non, non, l'amour doit tout charmer. Que sert la fierté dans les belles. Tout aime enfin à son tour, Veut-on des rigueurs éternelles? Non, non, non, rien n'échappe à l'amour. Entrée des Aegipans et des Ménades. Pan Tout est paisible qur la terre Voicy l'heureus temps des Amours Bacchus Ils n'ont plus à craindre la guerre Qui des amants troublait les plus beaux jours. Pan Aymez, Bergers, Aymez, Bergères, Suivez suivez vos plus tendres désirs. Bacchus Si l'amour a des maux, il a mille plaisirs Qui rendent ses peines légères. Pan et Bacchus Si l'amour a des maux, il a mille plaisirs Qui rendent ses peines légères. Apollon Quittez, quittez de si vaines chansons, Il faut par de plus nobles sons Honorer en ce jour le héros de la France. Transformons-nous en ce moment Et dans un spectacle charmant, Célébrons à ses yeux l'heureux évènement Qui jadis au Parnasse a donné la naissance. Allons, pour ce grand Roy redoublez vos efforts; Préparez vos plus doux accords. Choeur d'Apollon, des Muses, de Bacchus et de Pan Pour ce grand Roy redoublons nos efforts; Préparons nos plus doux accords. ACTE I Le Théâtre représente la ville de Patare, Capitale du Royaume de Lycie. Scène Première Sténobée, Argie Sténobée Non, les soulèvements d'une ville rebelle Ne m'ont point fait quitter Argos, C'est l'Amour seul fatal à mon repos, C'est le cruel Amour qui dans ceslieux m'appelle. Prétus n'est plus et désormais sa mort me rend maîtresse de mon sort, Je puis donner un diadème Et viens en cette cour faire un dernier effort Sur le coeur d'un ingrat que j'ayme. Argie Quoy! de Bellérophon l'outrageante froideur Ne peut de cet amour dégager votre coeur? Sténobée Hélas! à quel excès je portay ma vengeance Je l'accusay malgré son innocence De vouloir m'inspirer une coupable ardeur. Ce fut pour luy ravir et l'honneur et la vie Que Prétus l'envoya chez le Roy de Lycie Et quels troubles alors ne sentit point mon coeur! En vain quand l'Amour est extrême On veut perdre uningrat qui nous ose outrager On prend dans ses malheurs plus de part que luy-même Hélas hélas quand il se faut venger de ce qu'on aime Qu'il en coûte, qu'il en coûte de se venger. Argie Ne redoutez plus rien ce héros invincible Aux plus affreux périls tant de fois exposé, A sa valeur a trouvé tout possible, Quel triomphe pour vous s'il vous était aisé de rendre enfin son coeur sensible! Sténobée Du moins Bellérophon n'a jamais rien aimé, C'est à la gloire qu'il se donne Et son coeur peut être charmé par les offres de ma couronne. Espoir qui séduisez les amants malheureux Pourquoy pourquoi suspendre ma vengeance? Je scay je scay combien vous êtes dangeureux, Je scay que vous allez entretenir mes feux Et redoubler leur violence, Cependant vous rentrez dans mon coeur amoureux Et je sens qu'avec nous il est d'intelligence. Espoir qui séduisez les amants malheureux Pourquoy pourquoi suspendre ma vengeance? Scène 2 Sténobée, Philonoë, Argie Philonoë Reine, vous scavez qu'en ce jour Je reçois un époux de la main de mon père; J'attends le choix qu'il doit faire Entre tous ces amants Qui remplissent sa cour, Obtenez qu'il n'en délibère Que de concert avec l'Amour. Qu'il est doux de trouver Dans un amant qu'on aime Un époux que l'on doit aimer; Sténobée Quoy! Princesse, à l'Amour vous auriez pu vous rendre? Philonoë En vain, j'ai voulu m'en défendre. Sténobée Et qui donc aimez-vous? Philonoë Un héros que les Dieux Ont fait des conquérants l'exemple glorieux, Estimé dans la paix redouté dans la guerre, Il est et la terreur et l'Amour de la terre. Qui pour chercher à vaincre il court dans les hasards, A ses premiers efforts ses ennemis se rendent Et s'il aime, il n'est point de coeurs qui se défendent De ses premiers regards. Sténobée ah! c'est Bellérophon! Philonoë C'est lui, je le confesse, Ne condamnez point ma tendresse, Quand mille exploirs fameux parlent pour un amant, Peut-on résister un moment? Après avoir vaincu deux nations guerrières, Bellérophon a même en ces lieux fortunés Les Amazones prisonnières Et les Solymes enchainés? Il possède mon coeur, il peut tout sur mon âme; Reine, favorisez une si belle flamme. Scène 3 Sténobée, Argie Sténobée C'en est fait! l'outrage est trop grand, Si ses cruels refus faisaient tort à ma gloire, Du moins il m'était doux de croire Que mon coeur soupirait pour un indifférent, Mais il aime, et c'est là ce qui me désespère. Une autre a fait ce que je n'ay pu faire Venez! haine, vengeance et versez dans mon coeur Votre poison le plus funeste Vous ne sauriez m'inspirer trop d'horreur Pour un ingrat que je déteste Suivons, suivons ce désespoir Il faut pour venger mon outrage Qu'Amisodar serve ma rage, Son art dans les Enfers luy donne tout pouvoir, Il en peut évoquer quelques monstre effroyable Qui porte le ravage et la flamme en ces lieux. Il m'aime et si sur luy je veux jeter les yeux... Argie Le roy vient, contraignez l'ennui qui vous accable. Scène 4 Le Roy, Sténobée, Argie, suite du Roy Le Roy Contre Béellérophon j'ai fait jusq'uaà ce jour Ce que Prétus devait attendre De l'aveugle zèle d'un gendre Vous vouliez comme luy qu'il périt de ma cour; D'abord sans connaître son crime J'abandonnay sa tête aux rigueurs de son sort; Prétus croyant sa perte légitime, C'était assez pour répondre sa mort Mais enfein il est temps de vous ouvrir mon âme. Après qu'il s'est rendu l'appuy de mes Etats, Je veux me conserver son bras, Ma fille est l'objet de sa flamme, Aujourd'hui de ma main elle attend un époux, C'est luy que je choisis? Sténobée Ciel! que me dites-vous? Choisir Bellérophon Eh! qui l'aurait pu croire! Le Roy Ses exploits l'ont rendu digne de cette gloire. Sténobée Songez que Prétus vous demande sa mort! Le Roy Les Dieux ne m'ont point fait arbitre de son sort. Sténobée Quoy! vous soutenez une coupable. Le Roy Quoy! votre haine est implacable! Sténobée Ah! cessez de vous obstiner Le Roy Malgré votre jalouse envie Sténobée Malgré vos soins pour lui sauver la vie Le Roy Il mérite le prix que je veux lui donner Sténobée Il mérite la mort que je veux lui donner A ce bruit éclatant, je connais qu'il s'avance; Je ne vous dis plus rien, mais vous devez songer Que si vous négliger le soin de ma vengeance Je suis reine, Et puis me venger. Scène 5 Le Roy, Bellérophon, troupe d'Amazones et de Solymes. Le Roy Venez, venez goûter les doux fruits de la gloire Qui dans tout l'univers vous fait tant de jaloux. Bellérophon Seigneur, quand on combat pour vous, N'est-on pas sûr de la victoire! Le Roy Après avoir rangé deux peuples sous mes lois; Prince, votre rare vaillance Demeurerait sans récompense Si ma fille n'était le prix de vos exploits; Vous l'aimez, elle vous aime, Soyez heureus, j'y consens. Bellérophon Ah! Seigneir, puis-je encore me connaître moi-même! Le Roy La valeur obtient tout des coeurs reconnaissants: Un héros que la gloire élève N'est qu'à lui demi récompensé, Et c'est peu si l'Amour n'achève Ce que la gloire a commencé Bellérophon Sur pris de tant d'honneurs, Je ne puis que me taire; Quel service assez grand pouvait les mériter! J'eusse été trop téméraire Si j'eusse osé m'en flatter, Moy, qu'un fère a chassé d'Epire Où mon père Glaucus avait donné la loy. Le Roy Etre l'appuy de mon empire; C'est mériter assez d'y régner après moy. Qu'aucun ne garde icy des sujets de tristesse, A vos captifs je rends la liberté. Bellérophon Faites tous voir allégresse En sortant de captivité. Le Roy et Bellérophon étant sortis, ceux qui ont conduit les Amazones et les Solymes leur otent les fers et rendent l'épée aux unes et la lance aux autres. Choeur Quand un vainqueur est tout brillant de gloire Qu'il est doux de porter ses fers Celuy qui nous soumet Commande à la victoire, Il soumettra tout l'univers Disons cent fois ce qu'on ne peut trop dire: Heureux qui vit sous son empire. Faisons cesser nos alarmes, Goutons les biens que rend la liberté Celuy dont chacun craint les armes A fait finir notre captivité Un sort si plein de charmes Met notre gloire enfin en sureté, Rompons le cours de nos larmes Nos déplaisirs ont assez éclaté ACTE II Le théâtre représente un jardin délicieux, au milieu duquel paraît un berceau en forme de dôme, soutenu à l'entour de plusieurs Termes; Autravers de ce berceau, on découvre trois allées, dont celle du milieu est terminée par un superbe palais, en éloignement. Les deux autres finissent à perte de vue. Scène 1 Philonoë, deux Amazones Philonoë Amour, mes voeux sont satisfaits Il m'est doux de porter tes chaînes Et j'oublie aujourd'huy les peines Qui de mon coeur avaient troublé la paix. Cruelles inquiétudes, Soupirs languissants, Si j'ay souffert vos tourments les plus rudes, Je n'ay pas trop payé les douceurs que je sens. Première Amazone Les douceurs Que l'Amour fait trouver dans les chaines Aux plus heures amants ont coûté des soupirs. Deuxième Amazone Les palisirs qui n'ont point commencé par les peines, Ne sont jamais de vrais plaisirs. Philonoë Chantez chantez la valeur éclatante Du plus grand héros. Si la Lycie est triomphante, C'est à luy qu'elle doit sa gloire et son repos. Première Amazone Que de lauriers sur une seule tête, Avec luy la victoire à peine à respirer! Deuxième Amazone De l'univers entier il eut fait la conquête, Si son grand coeur n'eut su se modérer Les deux Amazones Chantons, chantons la valeur éclatante Du plus grand des héros. Si la Lycie est triomphante, C'est à luy qu'elle doit sa gloire et son repos. Scène 2 Philonoë, Bellérophon, Amazones Bellérophon Princesse, tout conspire à couronner ma flamme, Tout s'apprête pour mon bonheur; Sentez-vous les plaisirs qui règnent dans mon âme? Et les mêmes transports charment-ils votre coeur? Philonoë L'Amour qui nous unit par de si douces chaînes Adès longtemps uny tous nos désirs, A vos soupirs cent fois j'ai mélé mes soupirs; Et si j'ay partagé vos peines, Je dois partager vos plaisirs Bellérophon Qu'un si doux aveu doit me palire Qu'il rend mon destin glorieux! Philonoë Quand ma bouche pourrait se taire L'Amour ferait parler mes yeux. Philonoë et Bellérophon Que tout parle à l'envy de notre amour extrême. A ses transports abandonnons nos coeurs. Et pour goûter toujours de nouvelles douceurs, Disons-nous cent fois: Je vous ayme, je vous ayme. Philonoë Prince, adieu. Mon devoir m'appelle auprès du Roy, Je vous laisse le soin d'entretenir la Reyne. Scène 3 Sténobée, Bellérophon Bellérophon Quel cruel supplice pour moy! Sténobée Ma présence ici te fait peine? Bellérophon Il est vrai, je frémis lorsque je vous revoy. Quel destin ennemy vous amène en Lycie? Y venez vous chercher à troubler mon repos? Vous m'avez fait bannir d'Argos, Ne verrai-je jamais votre haine adoucie? Sténobée S'il te souvient des maux que je t'ay faits, Qu'il te souvienne aussi de ma tendresse extrême, Ne me reproche point, ingrat, que je te hais, Ou reproche-moy que je t'aime. J'ay tâché de te perdre, et j'ai cru le pouvoir, J'ai suivy les transports d'une aveugle vengeance; Mais plus à mon amour j'ai fait de violence, Plus sur mon coeur il a pris de pouvoir. Si l'amour quelque fois s'abandonne à la rage Il est toujours amour quand bien même il outrage; Mais vous, toujours constante à me persécuter Vous n'avez épargné ma gloire ni ma vie, Et je ne dois rien écouter De ma plus mortelle ennemie Scène 4 Sténobée, Argie Sténobée Tu me quittes, cruels, arrête! il fuit hélas! Mon amour voit sa honte et n'en profite pas. Vous ne sauriez guérir le mal qui me tourmente, Faibles retours d'un impuissant dépit, des mépris d'un ingrat ma flamme se nourrit, Elle devrait s'éteindre et devient plus ardente. L'amour trop heureux s'affaiblit, Mais l'amour malheureux s'augmente. Argie Quoi! vous pourriez toujours souffrif Qu'il vous brave qu'il vous dédaigne Non, il faut dans son sang que mon amour s'éteigne; Perdons tout, faisons tout périr. Scène 5 Sténobée, Amisodar Sténobée Vous me juriez sans cesse une amour éternelle Croirai-je Amisodar, croirai-je vos serments? Me seriez-vous assez fidèle Pour ne refuser rien à mes resentiments? Amisodar Lorsque l'amour vous asservit mon âme, Votre insensible coeur devait se contenter De ne pas répondre à ma flamme, Pourquoy me faire encor l'outrage d'en douter? Vos mépris, votre indifférence Me touchent moins que cette offense; Je meurs pour vos divins appas Et viens vous demander pour toute récompense Que vous n'en doutiez pas. Sténobée Bellérophon m'a fait une mortelle injure, Le Roy la connaît et l'endure Il le choisitpour gendre au lieu de le punir Troublons l'hymen qui se prépare Par une vengeance barbare Dont le seul souvenir Fasse trembler tout l'avenir. Amisodar Je puis de la nuit infernale Faire sortir un monstre furieux; Mais vous-même tremblez d'exercer en ces lieux Une vengeance si fatale, Préparez-vous à voir nos peuples alarmés Et nos villes tremblantes, Le monstre couvrira de torrents enflammés Nos campagnes fumantes, Et nos champs ne seront semés Que des restes affreux de victimes sanglantes. Sténobée Que ce spectacle sera doux A la fureur qui me transporte! Hâtez-vous, hâtez-vous De servir mon courroux Faites ouvrir la terre et que le monstre en sorte. Amisodar Jusqu'au fond des anfers je vais me faire entendre! Fuyez, Reine, fuyez Vos yeux seraient trop effrayés De l'horreur qu'en ces lieux mes charmes vont répandre. Scène 6 Amisodar, seul Que ce jardin se change en un désert affreux. (Le jardin disparaît et l'on voit à sa place une espèce de prison horrible, taillée dans les rochers et percée à perte de vue, avec plusieurs chaînes, cordages et grilles de fer qui la remplissent de toutes parts.) Noirs habitants du séjour ténébreux, Pour mécouter dans vos demeures sombres, Redoublez s'il se peut le silence des Ombres; Et vous, à me servir employés de fois, Ministres de mon art, accourez à ma voix. Et vous, à me servir employés tant de fois. (Quatre magiciens et quatre magiciennes paraissent et témoignent, en dansant, l'ardeur avec laquelle ils se préparent à servir Amisodar. Scène 7 Amisodar, Magiciens. Magiciens Parle, nous voilà prêts, tout nous sera possible. Amisodar Faisons sortir un monstre horrible Pour l'évoquer employez l'Achéron Le Cocyte, le Phlégéton, Faites que votre voix dans tout l'enfer résonne; C'est moi qui vous l'ordonne. (Les magiciens se jettent icy contre terre pour l'évocation). Magiciens Par ce pressant commandement Promptement que le Ténare s'ouvre, Que l'enfer se découvre. Cocyte! Phlégéton! Il nous faut du secours, Pour nous entendre arrêtez votre cours. Amisodar Poursuivez que pour moy votre pouvoir éclate. Par Cerbère et la triple Hécate Parlez, pressez, appelez à grand bruit Et la mort et la nuit. Magiciens Nuit! mort! Cerbère! Hécate! Erèbe! Averne! Noires filles du Styx que la fureur gouverne, Entendez nos cris servez-nous, Nous travaillons pour vous. Amisodar Le charme est fait, les monstres vont paraître; La terre s'ouvre et me le fait connaître Rendons aux sombres Déités Les honneurs que de nous elles ont mérités. La terre s'ouvre et on en voit sortir trois monstres qui s'élèvent au dessus de trois bûchers, l'un en forme de dragons, l'autre de lion et le dernier de boue. Trois des magiciens montent dessus? Après quoy les quatre, qui ont déjà dansé, font une nouvelle entrée avec les quatre magiciennes, pour marquer leur joye de ce que le charme a réussi. Leur danse estant finie, les trois magiciens, qui sont sur les monstres, chantent alternativement les paroles suivantes avec les autres magiciens. Tous La terre nous ouvre Ses gouffres profonds L'Enfer se découvre Chantons triomphons. On voit l'onde noire Pour nous s'arrêter. Victoire! Victoire! Victoire! Nous avons la gloire De tout surmonter Triomphe! Victoire! Triomphe! Victoire! Nous avons la gloire De tout surmonter Non non rien ne peut nous résister Amisodar Un monstre seul causerait plus d'effroy; Il faut unir ces trois monstres ensemble. Par un charme plus fort et plus digne de moy, Faisons qu'un seul les assemble; Pour venir en à bout descendons aux Enfers, Les gouffres nous en sont ouverts. Acte III Scène 1 Sténobée, Argie Argie Que vous faites couler et de sang et de larmes! dans ces tristes climats Tout tremble, tout est en alarmes; on voit régner partout l'image du trépas, Et le monstre animé par la force des charmes Marque de mille morts la trace de ses pas. Sténobée Lieux désolés et remplis de carnage, Campagnes où le monstre a semé tant d'horreur, Ne me reprochez point ma jalouse fureur, Dont votre embrasement est le fatal ouvrage. L'amour désespéré qui règne dans mon coeur Vous venge assez de ce ravage. Argie Quoy! vous ne goûtez point la secrète douceur D'avoir troublé l'hymen qui vous outrage! Sténobée Impuissante vengeance inutile secours! De quoy peux-tu servir, quand on aime toujours! Les plus cruels transports que la fureur inspire Consolent mal un Amour outragé. Ce malheureux Amour, après s'être vengé, N'en fait pas moins sentir son tyrannique empire. Scène 2 Sténobée, Le Roy Le Roy Que de malheurs accablent la Lycie! Si le ciel luy gardait de si funeste coups, Avant qu'il fit sur elle éclater son courroux; Que ne m'a-t-il ôté la vie! Je ne vois en tous que des marques d'effroy, Que des objets qui m'épouvantent; Et je partage comme roy Les maux que sujets ressentent. Sténobée Quand vous voyez vos peuples abattus, Reconnaissez du Ciel la justice suprême; vous n'avez pas vengé l'injure de Rétus, Il la venge luy-même. Bellérophon victorieux Cause tous les malheurs dont votre coeur soupire; C'est contre luy seul que les Dieux Ont envoyé le monstre furieux Qui désole tout votre empire, Que sa valeur en délivre ces lieux Puisque son crime vous l'attire. Scène 3 Bellérophon, Le Roy Bellérophon Vous venez consulter l'oracle d'Apollon! Le Roy Je viens luy demander ce qu'il faut que j'espère; De mes états c'est le Dieu tutélaire; Il écoute ma voix, Quand j'implore son nom. Bellérophon Ce Dieu qui chérit la Lycie Dans se smalheurs voudra la secourir Et l'encens qu'en ce lieu vous luy venez offrir Rendra du Ciel la colère adoucie. Mais, quand le monstre immole à sa fureur Tout le sang qu'il trouve à répandre, Verrai-je sans rien entreprendre, Que par luy dans ces lieux tout soit remply d'horreur. Le Roy Ah! Prince, songez-vous que trois monstres ensemble Sont unis dans ce monstre affreux! A son aspect il n'est rien qui ne tremble; De sa brûlante haleine il pousse mille feux. Bellérophon Ces trois monstres unis n'ont rien qui m'épouvante, Plus le combat coûte au vainqueur, Plus la victoire est éclatante Et c'est ce qui flatte un grand coeur. Scène 4 Philonoë, Bellérophon, Le Roy Philonoë Seigneur, à votre voix je viens joindre la mienne, Aux voeux que vous offrez je viens mêler mes pleurs Et demander au Ciel que la Lycie obtienne La fin de ses malheurs. Le Roy Contre le monstre qui les cause Bellérophon veut employer son bras: Consentirez-vous qu'il s'expose? Philonoë Ah! vous-même, Seigneur, vous n'y consentez pas; Souffrirez-vous qu'il coure où la mort est certaine? Bellérophon On court à la victoire en s'exposant pour vous, Croyez-en l'ardeur qui m'entraîne. Hélas! sans les frayeurs dont la Lycie est pleine Je serais déjà votre époux? Philonoë Espérons tout des Dieux un violent orage Amène quelquefois le calme le plus doux. Le Roy Le temple s'ouvre, Entrons et par un juste hommage Méritons que le Ciel apaise son courroux. Scène 5 Philonoë, Bellérophon, Le Roy, Le sacrificateur, Minsitre du temple, Choeur de peuple. Choeur Le malheur qui nous accable Demande un Dieu favorable Entends-nous grand Apollon. Par la défaite du serpent Python, Par l'éclat de la gloire Qui suivit ta victoire, Viens nous secourir, Hâte-toi sauve-nous, ou bien nous allons périr. Le sacrificateur Reçois, grand Apollon, Reçois ce sacrifice, Fais que le Ciel nous soit propice! Choeur de peuple D'un coeur soumis nous t'adressons nos voeux; Ecoute écoute un peuple malheureux! Le sacrificateur Par ce vin répandu fais cesser nos alarmes, Arrête le cours de nos larmes; Tu vois quel triste sort nous accable aujourd'huy, Prête-nous ton appuy. Vous, qu'à me seconder, un zèle ardent anime, Avancez, il est temps d'immoler la victime. Choeur de peuple Dieux, qui connaissaiez nos malheurs, Laissez vous toucher de nos pleurs! Sacrificateur Espérons, respérons, Je ne voy que signes favorables; Nous veoux au ciel doivent être agréables? Choeur de peuple Après un augure si doux, Tâchons de mériter que les Dieux soient pour nous. (Le peuple donne icy à l'entour du feu et chante ensuite ce premier complot.) Montrons notre allégresse Ne parlons plus de chagrin Renonçons à la tristesse, Nos malheurs sont prendre fin Quand le ciel est proprice à nos voeux. Bannissons l'ennuy qui nous presse. Nous allons être heureux Le Ciel veut qu'on espère Ne parlons plus de chagrin Notre hommage a su luy plaire, Tout s'est déclaré pour nous. Bannissons les soupirs de ces lieux. Ne craignons plus rien de contraire, Nos maux ont touché les Dieux. Le Sacrificateur Tout m'apprend qu'Apollon Dans nos voeux s'intéresse; Redoublez à l'envy vos marques d'allégresse. Choeur de peuple Assez de pleurs ont suivy nos malheurs De notre zèle vois l'ardeur fidèle, C'est en toy seul que notre espoir est mis, Viens de nos maux adoucir les atteintes, Finis nos plaintes, Calme nos craintes, Fléchis pour nous les Destins ennemis. L'Amour languit troublé de nos alarmes; Rappelle icy tous ses charmes Toy que ses traits ont tant defois soumis. Un monstre affreux nous rend tous malheureux; Fais de sa rage cesser le ravage, C'est en toy seul que notre espoir est mis. Viens de nos maux adoucir les attenites, Finis nos plaintes... Le sacrificateur Digne fils de la terre et du plus grand des Dieux, Parle et daigne régler le destin de ces lieux. L'autel qui a paru s'enfonce et la Pythie sort de son antre, les cheveux épars. En même temps, on entend de grands éclats de tonnerre: le Temple tremble et on le voit tout brillant d'éclairs. La Pythie Gardez tous un silence extrême, Apollon vous entend et va parler luy-même. Son approche déjà fait briller les éclairs; Entendez résonner les sifflements des airs. Ecoutez le bruit du tonnerre! Voyez trembler et le temple et la terre; IL va paraître, je le voy A son aspect frémissez comme moy. La Pythie se penche vers la terre, tandis qu'Apollon paraît en statue d'or et prononce l'oracle qui suit. Apollon Que votre crainte cesse? Un des fils de Neptune apaisera pour vous le céleste courroux. Pour l'en récompenser il faut que la Princesse le prenne pour époux. (La Pythie s'enfonce dans l'antre d'où elle est sortie. Apollon disparaît et le peuple se retire.) Apollon Vous l'avez entendu, Je n'ay rien à vous dire; Je plains vos déplaisirs, Comme vous j'en souire; Mais rien n'est préférable au repos de ces lieux; Soumettons-nous aux Dieux. Scène 7 Philonoë, Bellérophon Bellérophon Dans quel accablement cet oracle me laisse! Philonoë Ah! cruelle surprise! Bellérophon O funeste revers! Quoi! je vous perds belle preincesse! Philonoë Quoi! Bellérophon je vous perds! Bellérophon et Philonoë Hélas! n'avons-nous eu le destin favorable Que pour mieux ressentir le coup qui nous accable Bellérophon Mes voeux allaient être contents Philonoë Jamais sort n'eût été plus heureux que le nôtre. Bellérophon et Philonoë Qui croirait que deux coeurs si tendres si constants Ne fussent pas destinés l'un pour l'autre Bellérophon Vous ne serez donc point à moy, Quel prix d'un ardeur si fidèle! Philonoë N'y pensons plus! Bellérophon Quoy! vous pouvez, cruelle, Engager ailleurs votre foy? Philonoë Brisez, brisez une fatale chaîne. Quand j'ay reçu l'hommage de vos voeux Je croyais que le ciel consentirait sans peine Que l'hymen nous rendrait herueux; Et je n'attendais pas l'oracle rigoureux Qui nous sacrifie à sa haîne. Bellérophon Non, non, quoiqu'il ait ordonné On ne verra jamais que ma flamme s'éteigne. Je n'examine point ce qu'il faut que je craigne De l'oracle fatal qui vient d'être donné, Que le destin jaloux d'une flamme si belle Ma porte encor des coups plus rigoureux; Au moins je puis être fidèle Si je ne saurais être heureux! Philonoë Se peut-il que le ciel contre un amour si tendre Exerce toutes ses rigueurs Bellérophon De ses ordres cruels l'amour doit-il dépendre Philonoë Aimons-nous malgré nos malheurs Ce n'est pas au destin à séparer les coeurs. Acte IV Des rochers fort hauts et fort escarpés, couverts de sapins et d'autres solitaires, font la décoration de cet acte. Au fond du théâtre parait un rocher de la même haureur et garny des mêmes arbres. Il est percé par trois grottes au travers desquelles on découvre un paysage à perte de vue. Scène 1 Amisodar Quel spectacle charmant pour mon coeur amoureux! Ces morts de tous côtés étendus dans les plaines, Me sont de sûrs garants de la fin de mes peines; Tout périt pour me rendre heureux. Fontaines tarissez; Embrasez-vous montagnes, Brûlez forêts, séchez campagnes! Toutes les horreurs que je voy Sont autant de sujets de triomphe pour moy. Quand on obtient ce qu'on aime, Qu'importe à quel prix! Que tout l'univers surpris condamne l'amour extrême Que coûte tant de sang de larmes et de cris Scène 2 Argie, Amisodar Argie Il faut pour contenter la Reine Rendre le monstre à l'éternelle nuit; Bellérophon au désespoir réduit, S'apprête à combattre et sa perte est certaine; Mais cette prompte mort finit trop tôt sa peine Quand un fatal oracle est contraire à ses voeux, S'il ne souffre longtemps il n'est point malheureux, Puisqu'un fils de Neptune épouse la Princesse; Laissez vivre l'ingrat dans ses jaloux transports, Voir aux mains d'un rival l'objet de sa tendresse C'est tous les jours endurer mille morts. Amisodar Le laisser vivre, ha! Dieux! que faut-il que je pense! Je voy pour luy la Reine s'alarmer Lorsque sa mort est prête à remplir sa vengeance, Est-ce la hair ou l'aimer; Argie Montrez que votre coeur ne cherche qu'à luy plaire Pourquoy pénétrer dans le sien! Quand l'objet aimé parle, un amant doit tout faire Et n'examiner rien Amisodar Non, non, que mon rival périsse! Est-ce à moy d'empêcher qu'il ne perde le jour? Argie Il faut faire à la Reyne encor ce sacrifice, Ou renoncer à son amour. Choeur, derrière le théâtre. Tout est perdu, le monstre avance Sauvons-nous, sauvons-nous, sauvons-nous! Amisodar La monstre approche, éloignez vous. Argie Ciel! Ciel! contre sa fureur embrasse ma défense! Scène 3 Une napée et une Dryade Plaignons plaignons les maux qui désolent ces lieux. Les pleurs qu'ils font couler devraient toucher les Dieux. Il n'est plus d'herbe dans les plaines, Il n'est plus d'eau dans les fontaines, Tout périt. Tout tarit. Quel excès d'ennuis! Quelles peines! Plaignons plaignons les maux qui désolent ces lieux. Les pleurs qu'ils font couler devraient toucher les Dieux. Scène 4 Une napée, une dryade, Dieux des bois Dieux des bois Les forêts sont en feu, le ravage s'augmente, Ce n'est partout qu'épouvante et qu'horreur! Napée et Dryade Du monstre comme vous nous sentons la fureur; Voyez cette plaine brûlante! Dieux des bois Hélas! hélas! que sont-ils devenus Ces bois dont nous faisons nos retraites tranquilles! Napée et Dryade Ces eaux qui sortaient dans nos plaines fertiles Ces eaux hélas! ce coulent plus! Dieux des bois Que de tristes alarmes! Que de sujets de larmes! Tous Pour adoucir le Ciel, qui voit tant de malheurs, Joignons nos soupirs et nos pleurs. Scène 5 Bellérophon, Le Roy Le Roy Ah! Prince, où vous emporte une ardeur trop guerrière! En vain à cent périls on vous a vu courir; En vain votre grand nom remplit la terre entière, Vous cherchez un combat où vous allez périr. Bellérophon Je ne vais point combattre un monstre redoutable Pour remplir de mon nom l'univers étonné; Je vais, amant infortuné, Finir un sort trop déplorable. Cent fois, jusqu'à ce triste jour, J'ay hazardé ma vie en cherchant la victoire; Ce que j'ay fait, animé par la gloire, Ne le pourray-je faire animé par l'Amour. Le Roy Suivre un amour trop téméraire C'est vous livrer vous-même au plus funeste sort. Bellérophon Accablé de malheurs, puis-je craindre la mort! Le Roy Ménagez votre vie, elle m'est toujours chère; Par ces aimables noeuds Que je vous destinais avec mon diadème, Par la princesse même Accordez quelque chose à mes voeux. Je vais faire à Neptune offrir un sacrifice; Allons, allons savoir ses volontés, Peut-être il nous sera propice. Bellérophon En vain, Seigneur, vous me flattez Puisqu'à son fils vous devez la Princesse, Au moins en combattant laissez-moy faire voir Que mon amour méritait sa tendresse. Le Roy Ah! que je crains pour vous ce fatal désespoir! Adieu, quand le péril ne vous peut émouvoir Je dois vous cacher ma faiblesse. Scène 6 On commence à voir icy tout le paysage de l'enfoncement du théâtre remply de feu et de fumée (pour marquer le dégast que fait la chimère dans le pays). Bellérophon, seul Heureuse mort, tu vas me secourir, Dans mon malheur extrême Je cours m'offrir au monstre, assuré de périr; Mais je m'en fais un bien suprême; Quand on a perdu ce qu'on aime Il ne reste plus qu'à mourir. Scène 7 Pallas, Bellérophon, Choeur de peuple derrière le théâtre. (On voit icy Pallas dans un char de nuages, du côté droit, et en même temps paraît un autre char vide qui descend jusques sur le théâtre, du côté gauche.) Pallas Espère en ta valeur, Bellérophon, espère; Pallas descend du Ciel pour t'offrir son secours. Bellérophon Déesse, en vain tu prends soin de mes jours, Quand la mort seule peut me plaire. Pallas Ton sort est marqué dans les cieux; Viens, monte dans ce char et t'abandonne aux Dieux. (Bellérophon monte dans le char et est enlevé sur le cintre, avec Pallas. Cependant, on entend le peuple qui exprime sa désolation par les vers suivants.) (Pendant qu'on entend les cris des peuples épouvantés, la Chimère paraît au fond du théâtre et en même temps Bellérophon, monté sur Pégase, fond du haut de l'air; après un premier combat avec la Chimère, Il se sauve dans les airs et traverse tout le théâtre.) Choeur de peuple Quelle horreur! quel affreux carnage! Le monstre redouble sa rage! Un héros s'expose pour nous; Dieux! soutenez son bras et conduisez ses coups! (Bellérophon fond une seconde fois sur la Chimère, au milieu du théâtre et après qu'il a disparu un moment en s'élevant sur le cintre, il paraît pour la troisième fois et attaque de nouveau la Chimère, la blesse à mort et se sauve en l'air, faisant son vol en rond et après trois tours, on le voit se perdre dans les nues. Cependant la Chimère tombe morte entre les rochers, ce qui donne lieu à la joye que marque le peuple. Choeur de peuple Le monstre est défait, quelle gloire! Bellérophon remporte la victoire. Acte V Le théâtre représente une avant-cour d'un Palais qui paraît être élevé dans la Gloire. On y monte par deux grands degrés qui forment les deux côtés de cette décoration en ovale et qui sont enfermés par deux grands bâtiments d'architecture d'une hauteur extraordinaire. Les deux degrés et les galeries qui les environnent sont remplis de peuples de la Lycie, assemblés en ce lieu pour y recevoir Bellérophon que Pallas doit ramener, après la défaite de la Chimère. Scène 1 Philonoë, Le Roy, Choeur de peuple Le Roy Préparez vos chants d'allégresse, Peuples, c'est en ce jour que pour notre bonheur, Pallas doit ramener un illustre vainqueur Que le Ciel pour époux destine à la princesse. Enfin nos voeux ont réussi, Un oracle confus faisait notre infortune, Mais cet oracle esst éclaircy; Bellérophon est le fils de Neptune. Pour nous le déclarer, dans son temple, à nos yeux, Ce Dieu des mers vient de paraître, Luy-même pour son sang a daigné reconnaître Ce héros glorieux; D'une nymphe jalouse il craignait la colère Et quand Bellérophon reçut de luy le jour, Il voulut que Glaucus faignit d'être son père. Il revient triomphant, célébrez son retour . Choeur de peuple Viens, digne sang des Dieux, jouir de la victoire; Chacun est charmé de ta gloire. Et pour chanter res grands exploits Nous allons tous unir nos voix. Le Roy Et toi, ma fille, abandonne ton âme Aux transports de la flamme, Bellérophon t'est donné pour époux. Philonoë Après tant de rudes alarmes Pouvons-nous trop goûter les charmes D'un changement si doux! Le Roy Qu'il est grand ce héros qui ne voit point d'obstacles Que le sort contre luy ne forme vainement! Philonoë Pour tout vaincre il suffit qu'un héros soit amant; La Valeur et l'Amour font toujours des miracles. O jour! o jour pour la Lycie à jamais glorieux Où le sang de nos roys s'unit au sang des Dieux! Scène 2 Philonoë, Sténobée, Argie, Le Roy, Choeur de peuple Le Roy Venez-vous partager l'allégresse publique? Enfin pour nous l Ciel s'explique; Neptune a reconnu Bellérophon pour fils. Sténobée Je sais tout, Dieux cruels! vous l'avez donc permis! Le Roy Bellérophon cause-t-il cette plainte? Sténobée C'est luy seul, il est vray, qui fait mon désespoir! Du plus brûlant amour j'eus pour luy l'âme atteinte, Et pour toucher son coeur j'ai manqué de pouvoir, Toujours l'ingrat dédaigna ma tendresse, Prête à luy voir enfin épouser la Princesse, J'ai voulu reverser vos odieux projets; Amisodar m'aimait, j'ay fait agir des charmes, Et le monstre par luy remplissant tout d'alarmes, N'a versé que pour moy le sang de vos sujets. Le Roy Le traître! qu'on l'arrête... Sténobée Il s'est mis par la fuite A l'abri de votre poursuite; Mais il traine avec lui son crime et son amour. Le Roy Quoy! le Ciel souffre encor que vous voyiez le jour! Sténobée J'ai prévenu tout ce que peut sa haine... La justice que je me rends M'a fait par le poison mettre fin à ma peine. Je le sens qui déjà coule de veine en veine. Déjà le jour se cache à mes regards mourants. Vous, de qui la rigueur m'a toujours poursuivie; Avec ses plus funestes traits; Dieux inhumains, j'abandonne la vie; Etes-vous satisfaits? Et toy, cruel amour, reçois une victime Que tu cherchais à t'immoler; Je meurs pour expier le crime Des feux dont tu m'as fait bruler. Je n'ai pu m'affranchir de ton barbare empire Qu'en renonçant au jour. Vois mes derniers soupirs Impitoyable amour! j'expire... Philonoë Quel excès de fureur! Le Roy Sa mort en est le prix. Mais oublions et son crime et sa peine; Voicy Bellérophon que Pallas nous ramène; Son triomphe doit seul occuper nos esprits. Scène 3 Philonoë, Pallas, Bellérophon, Le Roy, Choeur de peuple. (On voit Pallas dans un char et Bellérophon avec elle.) Pallas Connaissez le fils de Neptune Dans ce jeune héros; A sa seule valeur vous devez le repos Qui succède à votre infortune. Pallas le ramène en ces lieux, C'est luy qui doit épouser la princesse: Faites en tous paraître une entière allégresse Et rendez grâces aux Dieux. (Bellérophon descend du char et Pallas est enlevée sur le cintre) Bellérophon Enfin je vous revoy, Princesse incomparable. Philonoë O changement à mes voeux favorable! Bellérophon et Philonoë Quel plaisir de voir en ce jour Le Destin céder à l'Amour! Le Roy Jouissez des douceurs que l'hymen vous prépare; Vivez heureux, vivez toujours amants, Que tous vos moments Soient doux et charmants Et qu'un bonheur sans fin répare Ce qu'un sort rigoureux vous causa de tourments Et qu'un honneur sans fin répare Choeur de peuple Le plus grand des héros rend le calme à la terre Il fait cesser les horreurs de la guerre. Jouissons à jamais des douceurs de la paix. Les plaisirs pous préparent leurs charmes, Ne songeons plus qu'à passer de beaux jours. Si le Ciel nous fit verser des larmes Un heureux sort en arrête le cours. Puisqu'un héros fait cesser nos alarmes. Cherchons les ris, les jeux et les Amours. Que la paix qui succède à la peine Fait aisément oublier les soupirs Si le Ciel nous soumit à sa haine Un heureux sort satisfait nos désirs Dans les beaux jours qu'un héros nous ramène. Cherchons les ris, les jeux et les Amours. |