Amadis, tragédie en musique
Musique de Jean-Baptiste Lully - livret de Philippe Quinault

Relu et corrigé par Claire Guillemain


Acteurs du Prologue
URGANDE, célèbre enchanteresse, épouse d'Alquif
ALQUIF, célèbre enchanteur, époux d'Urgande
Suivantes d'Urgande
Suivants d'Alquif

PROLOGUE

Le théâtre représente les lieux qu'Urgande et Alquif ont 
choisis, pour y demeurer enchantés et assoupis avec 
leur suite. Un éclair et un coup de tonnerre commencent 
à dissiper l'assoupissement d'Urgand, d'Alquif et de leur suite.

OUVERTURE

URGANDE ET ALQUIF sous un riche pavillon
Ah j'entends un bruit qui nous presse
De nous rassembler tous,
Le charme cesse
Eveillons-nous.

CHŒUR
Le charme cesse…

Les suivants d'Alquif et les suivantes d'Urgande s'éveillent.

URGANDE ET ALQUIF 
Esprits, empressés à nous plaire,
Vous, qui veillez ici pour notre sûreté,
Votre soin n'est plus nécessaire, 
Vous pouvez désormais partir en liberté.
Que le ciel annonce à la Terre
La fin de cet enchantement,
Brillants éclairs, bruyant tonnerre,
Marquez avec éclat ce bienheureux moment.

CHŒUR
Que le ciel…

Les statues qui soutiennent le pavillon, l'emportent en volant 
au bruit du tonnerre, et à la lueur des éclairs. Les suivants 
d'Alquif et les suivantes d'urgande se réjouissent de n'être 
plus enchantés, et témoignent leur joie en dansant et en chantant.

PREMIER AIR

SECOND AIR (GIGUE)

UNE DES SUIVANTES D'URGANDE
Les plaisirs nous suivront désormais ;
Nous allons voir nos désirs satisfaits.
Vivons sans alarmes,
Vivons tous en paix.
Revenez, reprenez tous vos charmes,
Jeux innocents, revenez pour jamais.
Il est temps que l'aurore vermeille
Cède au soleil, qui marche sur ses pas ;
Tout brille ici-bas.
Il est temps que chacun se réveille ;
L'amour ne dort pas,
Tout sent ses appas.
L'aimable Zéphire
Pour Flore soupire ;
Dans un si beau jour,
Tout parle d'amour.

URGANDE
Lorsqu'Amadis périt, une douleur profonde
Nous fit retirer dans ces lieux.
Un charme assoupissant devait fermer nos yeux,
Jusqu'au temps fortuné que le destin du monde
Dépendrait d'un héros, encore plus glorieux.

ALQUIF
Ce héros triomphant veut que tout soit tranquille
En vain, mille envieux s'arment de toutes parts ;
D'un mot, d'un seul de ses regards
Il sait rendre, à son gré, leur fureur inutile.

URGANDE ET ALQUIF
C'est à lui d'enseigner 
Aux maîtres de la terre
Le grand art de la guerre ;
C'est à lui d'enseigner
Le grand art de régner.

CHŒUR
C'est à lui d'enseigner…

URGANDE
Retirons Amadis de la nuit éternelle.
Le ciel nous le permet, un sort nouveau l'appelle
Où son sang régnait autrefois.

ALQUIF
Nous ne saurions choisir de demeure plus belle.
Allons être témoins de la gloire immortelle
D'un roi, l'étonnement des rois,
Et des plus grands héros le plus parfait modèle.

URGANDE ET ALQUIF
Tout l'univers admire ses exploits,
Allons vivre heureux sous ses lois.

CHŒUR
Tout l'univers…
La suite d'Alquif et d'Urgande témoigne leur joie en dansant, 
et en chantant.

RONDEAU

UNE DES SUIVANTES D'URGANDE ET LE CHŒUR
Suivons l'amour, c'est lui qui nous mène ;
Tout doit sentir son aimable ardeur.
Un peu d'amour nous fait moins de peine
Que l'embarras de garder notre cœur.
On danse

RONDEAU (reprise)

UNE DES SUIVANTES D'URGANDE ET LE CHŒUR
Malgré nos soins, l'Amour nous enchaîne ;
On ne peut fuir ce charmant vainqueur.
Un peu d'amour nous fait moins de peine
Que l'embarras de garder notre cœur.

URGANDE ET ALQUIF
Volez, tendres amours, Amadis va revivre.
Son grand cœur est fait pour vous suivre.
Volez, volez aimables jeux, 
Conduisez Amadis en des climats heureux.

CHŒUR
Volez, tendres amours…
Les Amours et les Jeux volent.

OUVERTURE (reprise)

Acteurs de la tragédie
AMADIS, fils du roi Périon de Gaule
ORIANE, fille de Lisuart, roi de la Grande Bretagne
FLORESTAN, fils naturel du roi Périon de Gaule
CORISANDE, souveraine de Gravesande
Troupes de chevaliers combattants dans des jeux à l'honneur d'Oriane
ARCALAÜS, chevalier enchanteur, frère d'Arcabonne et d'Ardan Canile
ARCABONNE, enchanteresse, sœur d'Arcalaüs et d'Ardan Canile
Troupes de suivants et de soldats d'Arcalaüs
Troupes de démons sous la figure de monstres terribles, de nymphes 
agréables, de bergers et bergères
Troupe de captifs
Troupe de captives
Troupe de geôliers
Démons volants qui conduisent Arcabonne
L'OMBRE D'ARDAN CANILE
URGANDE, célèbre enchanteresse, amie d'Amadis
Troupe de suivantes d'Urgande
Troupe de démons infernaux
Troupe de démons de l'air
Troupe de héros et d'héroïnes, enchantés dans la chambre 
défendue du palais d'Appolidon


ACTE I

Le théâtre représente le palais du roi Lisuart, père d'Oriane.

Scène première
AMADIS, FLORESTAN

FLORESTAN
Je reviens dans ces lieux pour y voir ce que j'aime ;
Chaque moment est cher pour moi : 
Mais au sang qui nous joint, je sais ce que je dois ;
Je ne puis vous quitter, sans une peine extrême,
Dans la douleur où je vous vois.
Le grand cœur d'Amadis doit être inébranlable ;
Quel malheur peut troubler un héros indomptable,
Vainqueur des fiers tyrans et des monstres affreux…

AMADIS
J'aime, hélas ! c'est assez pour être malheureux.

FLORESTAN
Sans cesse vous volez de victoire en victoire,
Votre grand nom s'étend aussi loin que le jour ;
Si vous vous plaignez de l'amour,
Consolez-vous avec la gloire.

AMADIS
Ah ! que l'amour paraît charmant ! 
Mais, hélas ! il n'est point de plus cruel tourment.
Que je trouvais d'appas dans ma naissante flamme !
Que j'aimais à former un tendre engagement !
Je payerai bien chèrement
Les trompeuses douceurs qui séduisaient mon âme.
Ah ! que l'amour paraît charmant ! 
Mais, hélas ! il n'est point de plus cruel tourment.
J'ai choisi la gloire pour guide,
J'ai prétendu marcher sur les traces d'Alcide ;
Heureux ! si j'avais évité
Le charme trop fatal dont il fut enchanté !
Son cœur n'eut que trop de tendresse,
Je suis tombé dans son malheur ;
J'ai mal imité sa valeur,
J'imite trop bien sa faiblesse.
J'aime Oriane, hélas ! je l'aime sans espoir.

FLORESTAN
Elle dépend d'un père, elle suit son devoir.

AMADIS
Oriane m'aimait, je l'aimais sans alarmes.

FLORESTAN
Que vous peut-elle offrir, que d'inutiles larmes ?
L'empereur des Romains sur son trône l'attend.

AMADIS
Je pourrais l'obtenir par la force des armes,
Si son amour était constant ;
Et je croyais son cœur à l'épreuve des charmes
Du trône le plus éclatant.
Fût-il jamais amant plus fidèle et plus tendre,
Fût-il jamais amant plus malheureux que moi ?
La beauté dont je suis la loi
Me bannit, pour jamais, sans me vouloir entendre ;
Hélas! est-ce le prix que je devais attendre
De mon amour et de ma foi ?
Fût-il jamais amant plus fidèle et plus tendre,
Fût-il jamais amant plus malheureux que moi ?

FLORESTAN
Quand on est aimé comme on aime,
C'est une trahison que de se dégager ;
Mais c'est une faiblesse extrême
D'aimer une inconstante, et de ne pas changer.
Vous serez plus heureux dans une amour nouvelle.

AMADIS
Oriane, ingrate et cruelle,
M'accable de mortels ennuis.
Mais j'ai juré de conserver pour elle
Une amour éternelle ;
Tout infortuné que je suis,
J'aime mieux être encore malheureux, qu'infidèle.
C'est trop vous arrêter, allez, suivez l'amour.
Corisande en ces lieux attend votre retour.

FLORESTAN
Vous puis-je abandonner à votre inquiétude ?

AMADIS
Un amour malheureux cherche la solitude.

Scène seconde
CORISANDE, FLORESTAN

RITOURNELLE

CORISANDE
Florestan !

FLORESTAN
Corisande !

CORISANDE ET FLORESTAN
O bienheureux moment 
Qui finit mon cruel tourment !
Après la rigueur extrême
D'un fatal éloignement ;
Que c'est un plaisir charmant
De revoir ce que l'on aime !

FLORESTAN
Il faut unir votre cœur et le mien 
D'un éternel lien.

CORISANDE
Venez régner aux lieux où je commande.

FLORESTAN
Aimons-nous, belle Corisande,
Et comptons la grandeur pour rien.

CORISANDE ET FLORESTAN
Vous êtes le seul bien
Que mon amour demande.

CORISANDE
Que ne puis-je arrêter l'ardeur, 
Qui vous porte à chercher les périls de la guerre !
Que ne vous puis-je offrir l'empire de la terre
Avec l'empire de mon cœur.

FLORESTAN
Trop heureux que l'Amour avec moi vous engage, 
Trop heureux de porter vos fers,
J'estime plus cent fois un si doux esclavage
Que l'empire de l'univers.

CORISANDE
Si votre cœur eût été moins sensible
Au tendre amour, qui me tient sous sa loi,
Vous eût-il été possible
De vous éloigner de moi ?

FLORESTAN
Fils d'un roi, dont le nom partout s'est fait connaître,
Et frère d'Amadis, le plus grand des héros,
Pouvais-je demeurer dans un honteux repos ?
Aurais-je démenti le sang qui m'a fait naître ?
Pour mériter de plaire aux yeux qui m'ont charmé,
J'ai cherché tout l'éclat que donne la victoire :
Si j'avais moins aimé la gloire,
Vous ne m'auriez pas tant aimé.

CORISANDE
La loi que fait l'Amour doit être enfin suivie, 
Quand on a satisfait la gloire et le devoir.

CORISANDE ET FLORESTAN
C'est ma plus chère envie
De vous aimer toute ma vie.
C'est mon plus doux espoir
De vous aimer et de vous voir.

Scène troisième
ORIANE, FLORESTAN, CORISANDE

CORISANDE
Je revois Florestan, je le revois fidèle.

ORIANE
Ah, qu'il est beau d'aimer d'une amour éternelle.

FLORESTAN
C'est en vain qu'Amadis vous aime constamment,
Et vous l'avez banni, par une loi cruelle.

ORIANE
Non, ne défendez point un si volage amant.
Sa première amour est finie :
Il adore Briolanie.
Le confident de sa nouvelle ardeur
N'a que trop bien su m'en instruire :
Il n'est plus permis à mon cœur
De se laisser séduire.

FLORESTAN
Se peut-il qu'Amadis vous ait manqué de foi !

ORIANE
Ma rivale n'est que trop belle.

CORISANDE
Etes-vous moins aimable qu'elle ?

ORIANE
Elle a l'avantage sur moi
D'être une conquête nouvelle.

FLORESTAN
Amadis est saisi d'un mortel désespoir.

ORIANE
Non, non, ce n'est qu'un artifice
Dont il couvre son injustice,
Il sera trop content de ne me jamais voir.

CORISANDE
L'injustice serait étrange
De vouloir ajouter la feinte au changement :
Du moins un grand cœur, quand il change,
Doit changer sans déguisement.

ORIANE
L'ingrat, un peu plus tard aurait changé son crime !
Je vais devenir la victime 
Du devoir, qui règle mon sort.
L'inconstant n'a-t-il pu se faire un peu d'effort ?
De lui-même bientôt son cœur allait dépendre :
Eh ! que n'attendait-il mon hymen, ou ma mort,
Il ne devait plus guère attendre.

FLORESTAN
Amadis punit les ingrats, 
L'innocence opprimée a recours à son bras, 
La justice trop faible à son secours l'appelle : 
Jamais tant de vertu n'a si bien mérité
Une gloire immortelle :
Un héros ennemi de l'infidélité
Peut-il être amant infidèle ?

ORIANE
L'éclat de tant de gloire avait jusqu'à ce jour
Ebloui mon âme crédule.
Ah ! les plus grands héros ne font pas grand scrupule.
D'une infidélité d'amour.
Pourquoi me plaindre d'une offense
Qui met mon cœur en mon pouvoir ?
Que je profite mal d'une heureuse inconstance
Qui m'aide à suivre mon devoir !
Juste dépit, brisez ma chaîne.
J'allais finir mes tristes jours, 
Plutôt que de trahir de si belles amours ; 
Amadis les trahit sans peine.
Juste dépit, brisez ma chaîne.
C'est à vous seul que j'ai recours.
Hélas ! vous m'agitez d'une colère vaine.
Que je me sens tremblante, inquiète, incertaine !
Que je suis faible encore avec votre secours, 
Juste dépit, brisez ma chaîne.

CORISANDE ET FLORESTAN
Non, on ne sort pas aisément 
D'un amoureux engagement

ORIANE
Malheureux qui s'engage
Avec un cœur volage

ORIANE, CORISANDE ET FLORESTAN
Trop heureux qui peut s'engager
Pour ne jamais changer.

CORISANDE
Deux partis vont ici disputer la victoire.
Ces jeux guerriers se font à votre gloire.

ORIANE
Que j'ai de peine à cacher mes ennuis !
Ne m'abandonnez pas dans le trouble où je suis.

Scène quatrième
TROUPE DE COMBATTANTS de deux différents partis, ORIANE, FLORESTAN, CORISANDE 
Les deux partis font divers combats, et les victorieux portent 
les armes qu'ils ont gagnées aux pieds d'Oriane.

MARCHE POUR LE COMBAT DE LA BARRIERE

PREMIER AIR DES COMBATTANTS

SECOND AIR

CHŒUR
Belle Princesse, que vos charmes,
Ont enchanté de cœurs !
Vous forcez les plus fiers vainqueurs
A vous rendre les armes.
Les plus grands rois de l'univers
Font gloire de porter vos fers.

MARCHE POUR LE COMBAT DE LA BARRIERE (reprise)

ACTE II
Le théâtre change et représente une forêt, dont les arbres 
sont chargés de trophées ; on voit un pont et un pavillon au bout.

Scène première

PRELUDE

ARCABONNE, seule
Amour, que veux-tu de moi ?
Mon cœur n'est pas fait pour toi.
Non, ne t'oppose point au penchant qui m'entraîne,
Je suis accoutumée à ressentir la haine,
Je ne veux inspirer que l'horreur et l'effroi.
Amour que veux-tu de moi ?
Mon cœur aurait trop de peine
A suivre une douce loi,
C'est mon sort d'être inhumaine.
Amour, que veux-tu de moi ?
Mon cœur n'est pas fait pour toi.

Scène seconde
ARCALAÜS, ARCABONNE

ARCALAÜS
Ma sœur, qui peut causer votre sombre tristesse ?
Le silence des bois sert à l'entretenir.

ARCABONNE
Il faut avouer ma faiblesse.
Pour commencer à m'en punir.
Un héros, contre un monstre, un jour prit ma défense,
J'étais morte sans son secours.
Il ne voulut, pour récompense, 
Que le plaisir secret d'avoir sauvé mes jours.
Je n'ai point su quel héros m'a servie ;
Je m'informai de son nom vainement :
Mais son casque tomba, je le vis un moment,
Ce moment fut fatal au reste de ma vie.
Cet inconnu, si généreux,
Ne me parut que trop aimable ;
Il m'en revient sans cesse une image agréable,
Qui me plaît plus que je ne veux.
J'ai honte de mon trouble extrême ;
Je fuis partout l'amour, je sens partout ses traits ;
Je cherche en vain les paisibles forêts ;
Hélas ! jusqu'au silence même,
Tout me parle de ce que j'aime.

ARCALAÜS
L'amour n'est qu'une vaine erreur,
On n'en est point surpris quand on veut s'en défendre.
Est-ce à vous d'avoir un cœur tendre ?
Votre cœur tout entier n'est dû qu'à la fureur.

ARCABONNE
Non, je ne connais plus mon cœur.
L'amour qu'il a bravé le réduit à se rendre :
Tout barbare qu'il est, il se laisse surprendre
D'une douce langueur.
Non, je ne connais plus mon cœur.

ARCALAÜS
Délivrez-vous de l'esclavage
Où l'amour vous engage.
Vous qui savez commander aux enfers,
Ne sauriez-vous briser vos fers ?

ARCABONNE
Vous m'avez enseigné la science terrible
Des noirs enchantements, qui font pâlir le jour ;
Enseignez-moi, s'il est possible,
Le secret d'éviter les charmes de l'Amour.

ARCALAÜS
Songez que notre sang nous demande vengeance.
Amadis l'a versé ; sa valeur nous offense :
Le superbe Amadis a terminé le sort 	
Du redoutable Ardan, notre malheureux frère...

ARCABONNE
Que le nom d'Amadis m'inspire de colère !
Quand pourrai-je goûter le plaisir de sa mort ?

ARCALAÜS
Que j'aime à voir en vous ce généreux transport !

ARCABONNE ET ARCALAÜS 
Irritons notre barbarie :
Ecoutons notre sang qui crie :
Périsse l'ennemi qui nous ose outrager.
Ah, qu'il est doux de se venger !

ARCABONNE
L'espoir de la vengeance aujourd'hui me console,
De tout ce que l'amour m'a causé de tourments.
Hâtez-vous de livrer à mes ressentiments,
L'ennemi qu'il faut que j'immole.

ARCALAÜS
Laissez-moi l'engager dans mes enchantements.
Arcabonne se retire, Arcalaüs demeure dans la forêt et 
aperçoit Amadis qui s'avance.

Scène troisième

ARCALAÜS, seul
Dans un piège fatal son mauvais sort l'amène.
Esprits malheureux, et jaloux,
Qui ne pouvez souffrir la vertu qu'avec peine ;
Vous dont la fureur inhumaine,
Dans les maux qu'elle fait trouve un plaisir si doux ;
Démons, préparez-vous
A seconder ma haine ;
Démons, préparez-vous
A servir mon courroux.

Arcalaüs se retire dans le pavillon qui est au bout du pont.

Scène quatrième
AMADIS

PRELUDE

AMADIS seul
Bois épais, redouble ton ombre :
Tu ne saurais être assez sombre ;
Tu ne peux trop cacher mon malheureux amour.
Je sens un désespoir dont l'horreur est extrême,
Je ne dois plus voir ce que j'aime,
Je ne veux plus souffrir le jour.

Scène cinquième
CORISANDE, AMADIS

RITOURNELLE

CORISANDE
O Fortune cruelle !
Tu prends plaisir à me troubler.
Tu me flattais pour m'accabler
D'une peine mortelle ;
O Fortune cruelle !

AMADIS
Ciel ! par un prompt trépas, finissez ma douleur.

CORISANDE
Ciel ! par un prompt secours, finissez mon malheur.

ENSEMBLE
Hélas ! quels soupirs me répondent ?
Hélas ! quels soupirs, quels regrets,
Avec mes plaintes se confondent ?
Hélas ! quels soupirs, quels regrets,
Me répondent dans ces forêts ?

CORISANDE
Que vois-je ? Amadis !

AMADIS
Qui m'appelle ?

CORISANDE
Par quel sort puis-je ici vous voir ?

AMADIS
Vous voyez un amant fidèle,
Réduit au dernier désespoir.

CORISANDE
Protégez la vertu, que l'injustice opprime.
Secourez Florestan, même sang vous anime ;
Il était, comme vous, l'appui des malheureux.
Je n'ai pu retenir son cœur trop généreux ;
Aux pleurs d'une inconnue il s'est laissé séduire.
La perfide a su le conduire
Dans des enchantements affreux.

AMADIS
Pour l'aller secourir quel chemin faut-il prendre ?

CORISANDE
A d'horribles dangers vous devez vous attendre.

AMADIS
J'ai vu le danger sans effroi
Lorsque mes jours heureux étaient dignes d'envie ;
Puis-je craindre la mort, dans un temps où la vie
N'est plus qu'un supplice pour moi ?

CORISANDE
Florestan est tombé dans un triste esclavage
En voulant passer dans ces lieux.

AMADIS
Allons.

Scène sixième
ARCALAÜS, SUIVANTS D'ARCALAÜS, AMADIS, CORISANDE

ARCALAÜS, empêchant Amadis de passer sur le pont.
Arrête, audacieux ;
Arrête, j'entreprends de garder ce passage.
Vois ces marques de mes exploits,
Vois combien de guerriers m'ont cédé la victoire.
Joins un nouveau trophée à ceux que dans ces bois
J'ai fait élever à ma gloire.

AMADIS
Cesse de m'arrêter, ne force point mon bras
A tourner sur toi ma vengeance.

ARCALAÜS
Si tu cherches ton frère, il est en ma puissance.

CORISANDE
Rendez-moi Florestan.

ARCALAÜS
Allez, suivez ses pas,
Suivez votre amant au trépas.
Les suivants d'Arcalaüs emmènent Corisande.

CORISANDE
Amadis ! Amadis ! notre unique espérance,
Ah ! ne nous abandonnez pas.

AMADIS
Perfide ! il faut que je punisse
Ta barbare injustice.

Amadis combat contre Arcalaüs.

ARCALAÜS
Esprits infernaux, il est temps
De me donner le secours que j'attends.

Scène septième
AMADIS, TROUPE DE NYMPHES, DE BERGERES ET DE BERGERS
Plusieurs démons et des monstres terribles, s'efforcent 
en vain d'étonner et d'arrêter Amadis ; d'autres démons, 
sous la forme de nymphes, de bergères et de bergers, 
prennent la place des monstres, et enchantent Amadis.

AIR POUR LES DEMONS ET LES MONSTRES

SYMPHONIE DES ENCHANTEMENTS

CHŒUR
Non, non, pour être invincible,
On n'en est pas moins sensible,
Quel vainqueur a résisté
Au charme de la beauté.

AIR POUR LES DEMONS ET LES MONSTRES (reprise)

TRIO POUR LES VIOLONS ET LES HAUTBOIS

DEUX BERGERS
Aimez, soupirez, cœurs fidèles ; 
L'Amour dans ces bois
Prend des forces nouvelles.
Heureux mille fois
Ceux qu'il tient sous ses lois.
Il fait disparaître
L'horreur des déserts, 
Tout le suit, c'est le maître
De tout l'univers, 
Quel empire doit être
Plus doux que ses fers ?

TRIO POUR LES VIOLONS ET LES FLUTES

DEUX BERGERES, UN BERGER ET CHŒUR 
Vous ne devez plus attendre
Rien qui trouble vos désirs.
Cédez aux plaisirs
Qui viennent vous surprendre.
Cédez, il est temps de vous rendre
Cédez, rendez-vous
Aux charmes les plus doux ;
L'Amour est pour nous,
C'est en vain, que l'on veut s'en défendre,
Cédez, il est temps de vous rendre
Cédez, rendez-vous
Aux charmes les plus doux.
C'est l'Amour qui doit prétendre
De savoir vous désarmer, 
L'Amour doit former
Les chaînes d'un cœur tendre.
Cédez, il est temps de vous rendre…

Amadis enchanté croit voir Oriane
 
AMADIS 
Est-ce vous, Oriane ! O ciel ! est-il possible !
Votre cœur contre moi n'est-il plus irrité ?
L'éclat de vos beaux yeux dans ce bois écarté
Chasse ce que l'enfer a formé de terrible.
Que vivre loin de vous est un supplice horrible !
Quel plaisir de vous voir ! que j'en suis enchanté !
Disposez de ma vie et de ma liberté.
Amadis met son épée aux pieds de la nymphe qu'il prend pour Oriane, 
et la suit avec empressement.

CHŒUR
Non, non, pour être invincible
On n'en est pas moins sensible.
Quel vainqueur a résisté,
Au charme de la beauté ?

ACTE III
Le théâtre change et représente un vieux palais ruiné, 
on y voit le tombeau d'Ardan-Canile et plusieurs différents cachots.

Scène première

FLORESTAN, enchaîné et enfermé dans un cachot ; CORISANDRE, 
enchaînée et enfermée dans un autre cachot,
TROUPE DE CAPTIVES ET DE CAPTIFS enfermés ; TROUPE DE GEOLIERS.

PRELUDE

CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS 
Ciel ! finissez nos peines.

CHŒUR DES GEOLIERS
Vos clameurs seront vaines.

CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS 
Ciel ! O ciel ! quel supplice, hélas !

CHŒUR DES GEOLIERS
Le ciel ne vous écoute pas.

UNE CAPTIVE
Souffrirons-nous toujours ces rigueurs inhumaines ?

UN DES GEOLIERS
Vous ne sortirez de vos chaînes, 
Que par les secours du trépas.

UN CAPTIF
Souffrirons-nous toujours ces rigueurs inhumaines ?

UN DES GEOLIERS
Vous ne sortirez de vos chaînes, 
Que par les secours du trépas.

FLORESTAN
Que devient ce bonheur si rare
Dont l'Amour nous avait flattés?

CORISANDE
Sont-ce là les liens que l'hymen nous prépare ?

FLORESTAN
Je ne sens que le poids des fers que vous portez.

CORISANDE ET FLORESTAN
Que devient ce bonheur si rare
Dont l'Amour nous avait flattés ?

UN DES CAPTIFS
O mort ! que vous êtes lente !
O mort ! ô funeste mort
Répondez à mon attente ;
O mort ! ô funeste mort
Terminez mon triste sort.

UN AUTRE CAPTIF
La mort toujours cruelle
Aime à trancher des jours heureux,
Et n'entend point les vœux
D'un infortuné qui l'appelle.

UN DES GEOLIERS
Tel s'empresse d'appeler
La mort, quand elle est absente,
Qui commence de trembler
Sitôt qu'elle se présente.

CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS 
O mort ! que vous êtes lente !
O mort ! O funeste mort !
Répondez à mon attente :
O mort ! O funeste mort 
Terminez mon triste sort.

Scène seconde
ARCABONNE ET LES MEMES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDENTE
Arcabonne, conduite et portée en l'air par des démons, 
descend dans le palais ruiné.

PRELUDE

ARCABONNE
Il est temps de finir votre plainte importune.
Sortez, traînez ici vos fers.

Les geôliers ouvrent les cachots, et les captifs en sortent.

PRELUDE

CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS 
Contentez-vous des maux que nous avons soufferts ;
Faites cesser notre infortune.

ARCABONNE
Vous allez cesser de souffrir,
Malheureux, vous allez mourir.
Bientôt l'ennemi qui m'outrage
Sera remis en mon pouvoir :
Et plus je suis près de le voir,
Plus je sens augmenter ma rage.
Le sang, ou l'amitié vous unit avec lui,
Vous périrez tous aujourd'hui.

CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS 
La mort est plus digne d'envie
Qu'une si déplorable vie.

UNE CAPTIVE ET UN CAPTIF
La mort est plus digne d'envie
Qu'une si déplorable vie.

CHŒUR DES GEOLIERS
Vous allez cesser de souffrir,
Malheureux, vous allez mourir.

RITOURNELLE

CORISANDE
Florestan !

FLORESTAN
Corisande !

CORISANDE ET FLORESTAN
Quel sort pour nos tendres amours !

CORISANDE
Faut-il que votre sang, à mes yeux, se répande ?

FLORESTAN
Faut-il voir ce que j'aime expirer sans secours ?

CORISANDE
Que le juste ciel vous défende.
C'est l'unique faveur, qu'en mourant je demande.

FLORESTAN
Non, non, le coup fatal qui doit trancher mes jours
N'est pas celui que j'appréhende.

CORISANDE
Florestan !

FLORESTAN
Corisande !

CORISANDE ET FLORESTAN
Quel sort pour nos tendres amours !
Ils parlent à Arcabonne
Cruelle, que votre colère
Se contente de m'immoler.

ARCABONNE
Non, trop de sang ne peut couler,
Pour venger la mort de mon frère.
Consolez-vous dans vos tourments,
La mort n'est pas un mal si cruel qu'il le semble.
C'est unir deux amants
Que les immoler ensemble.

CORISANDE
Puisque le ciel ne permet pas
Que je vive avec vous dans un bonheur extrême,
Avec vous, la mort même
A pour moi des appas.

CORISANDE
La douceur de mourir, avec ce que l'on aime
Dissipe l'horreur du trépas.

Corisande et Florestan répètent ensemble ces deux derniers vers

FLORESTAN
Heureux dans nos malheurs, que rien ne nous sépare.
Non pas même la mort barbare.

CORISANDE 
Portons un nœud si beau,
Jusque dans le tombeau.

Corisande et Florestan répètent ensemble ces deux derniers vers

ARCABONNE
Ah! c'est trop entendre
Un amour si tendre !
Vous m'importunez
Taisez-vous, infortunés.

CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS 
Quelle rigueur de nous contraindre
A souffrir, sans nous plaindre !
O juste Ciel ! vengez-nous !

CHŒUR DES GEOLIERS
Infortunés, Taisez-vous !

PRELUDE

ARCABONNE
Toi qui dans ce tombeau n'est plus qu'un peu de cendre
Et qui fut de la terre autrefois la terreur.
Reçois le sang que ma fureur
S'empresse de répandre.
Qu'entend-je ! Quel gémissement
Sort de ce monument ?
Je vais répondre à votre impatience, 
Mânes plaintifs, cessez de murmurer.
Je punirai qui nous offense
Par la plus cruelle vengeance
Que la rage puisse inspirer, 
Je vais répondre à votre impatience, 
Mânes plaintifs, cessez de murmurer.

Scène troisième
L'OMBRE D'ARDAN-CANILE & LES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDENTE

L'OMBRE D'ARDAN-CANILE, sortant de son tombeau
Ah ! tu me trahis, malheureuse.

ARCABONNE
J'ai juré d'achever une vengeance affreuse,
Voyez quelle est l'ardeur de mes ressentiments.

L'OMBRE 
Ah ! tu me trahis, malheureuse.
Ah ! tu vas trahir tes serments.
Je retombe ; le jour me blesse.
Tu me suivras dans peu de temps ;
Pour te reprocher ta faiblesse,
C'est aux enfers que je t'attends.

L'Ombre rentre dans le tombeau.

PRELUDE

ARCABONNE
Non, rien n'arrêtera la fureur qui m'anime
On vient me livrer ma victime.

Scène quatrième
AMADIS enchaîné, TROUPE DE SOLDATS, qui gardent Amadis, 
ET LES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDENTE
Arcabonne s'approche d'Amadis avec un poignard à la main.

ARCABONNE
Meurs !... Que mes sens sont interdits !
O Ciel ! que vois-je ? est-ce Amadis !

AMADIS
Je suis un malheureux, qui n'ai plus d'autre envie
Que de trouver la fin de mon funeste sort.

ARCABONNE
Quoi, l'ennemi dont j'ai juré la mort,
Est le héros qui m'a sauvé la vie ?
Qu'est-ce que j'entreprends ? un trépas inhumain
De mon libérateur serait la récompense ?
Non, une cruelle vengeance
Contre vos jours m'a fait armer en vain :
Une juste reconnaissance
Me fait tomber les armes de la main.

RITOURNELLE

ARCABONNE
Vivez, quittez vos fers, ne craignez plus ma haine.
Quel prix vous puis-je offrir pour ce que je vous dois ?

AMADIS
D'innocents malheureux ont trop souffert pour moi ;
Le seul prix que je veux, c'est de briser leur chaîne.

ARCABONNE
Allez en liberté goûter un doux repos :
Rendez grâces à ce héros.

RITOURNELLE
Arcabonne fait remettre en liberté Florestan, Corisandre, 
et les autres captifs et captives ; mais elle retient Amadis 
et l'emmène avec elle. Les captifs et les captives se 
réjouissent de la liberté qui leur est rendue.

PRELUDE

CHŒUR
Sortons d'esclavage,
Profitons de l'avantage.
Qu'Amadis a remporté :
Notre liberté
Est le prix de son courage.

CORISANDE ET FLORESTAN
Sortons d'esclavage.
Amadis a surmonté
L'envie et la rage ;
Amadis a surmonté
L'enfer irrité.
Sortons d'esclavage.

CHŒUR
Sortons d'esclavage...

PREMIER AIR

SECOND AIR

CHŒUR
Sortons d'esclavage...

ACTE IV
Le théâtre change et représente une île agréable.

Scène première

ARCALAÜS, ARCABONNE

RITOURNELLE

ARCALAÜS
Par mes enchantements Oriane est captive,
Sa beauté causa nos malheurs :
Dans ces lieux, sans pitié, j'entends sa voix plaintive,
Et j'aime à voir couler ses pleurs.
Notre ennemi l'aimait, il a tout fait pour elle ;
Il combattait pour l'obtenir.

ARCABONNE
Je viens de la voir, qu'elle est belle !
Vous ne la sauriez trop punir.

ARCALAÜS
Ne permettons pas qu'elle ignore
La perte d'un amant, dont son cœur est charmé,
Il faut qu'après la mort Amadis souffre encore
Dans ce qu'il a le plus aimé.
Aux regards d'Oriane, exposez la victime
Qu'à nos ressentiments vous venez d'immoler.
Un soupir vous échappe ; et vous n'osez parler !
Est-ce par des soupirs que la haine s'exprime ?

ARCABONNE
Que vous êtes heureux de n'avoir à songer
Qu'à haïr, et qu'à vous venger ! 		
Hélas ! dans notre ennemi même
J'ai trouvé l'inconnu que j'aime.

ARCALAÜS
Vous aimez Amadis ! il voit encore le jour !
Quoi ! sur votre vengeance un lâche amour l'emporte ?

ARCABONNE
La vengeance la plus forte
Est faible contre l'amour.

ARCALAÜS
Quelle faiblesse est plus étrange !
Notre ennemi mortel devient votre vainqueur ?
Malgré tant de serments, votre perfide cœur
Du parti d'Amadis se range !
Parjure ! ah, c'est de vous qu'il faut que je me venge !

ARCABONNE
Je l'aime, malgré moi, cet ennemi charmant ;
Je n'en puis être aimée, une autre a su lui plaire :
Je vous défie, avec votre colère,
D'inventer pour mon châtiment
Un plus cruel tourment.

ARCALAÜS
Pour augmenter votre supplice,
Il faut vous faire voir ces deux amants heureux ;
Avant que ma vengeance en fasse un sacrifice,
Il faut que l'hymen les unisse...

ARCABONNE
Ah ! que plutôt cent fois ils périssent tous deux.
Entre l'amour et la haine cruelle
J'ai cru pouvoir me partager ;
Mais dans mon cœur l'amour est étranger,
Et la haine m'est naturelle.

ARCABONNE voyant approcher Oriane.
Ma rivale gémit : que ses maux me sont doux !
Pour punir ces amants, j'imagine une peine
Digne de ma fureur, et de votre courroux ;
C'est peu d'une mort inhumaine...

ARCALAÜS
Puis-je encore me fier à vous?

ARCABONNE
Fiez-vous à l'amour jaloux,
Il est plus cruel que la haine.

Scène seconde
ORIANE

RITOURNELLE

ORIANE seule
A qui pourrai-je avoir recours ?
C'est de vous, juste Ciel ! que j'attends du secours,
Sur ces bords inconnus, un enchanteur barbare,
Dispose de mes tristes jours :
L'enfer contre moi se déclare ;
A qui pourrais-je avoir recours ?
C'est de vous, juste Ciel ! que j'attends du secours.

RITOURNELLE

Autrefois Amadis aurait pris ma défense :
Mais l'inconstant m'oublie, et suit une autre loi.
Pourquoi m'en souvenir ? pourquoi
N'oublier pas de lui jusqu'à son inconstance ?
Ici, loin de toute assistance,
Je tremble d'un mortel effroi ;
Eh! Faut-il encore que je pense
A qui ne pense plus à moi ?

Scène troisième
ARCALAÜS, ORIANE

ARCALAÜS
Je vous entends, cessez de feindre.
Plaignez-vous d'Amadis ; je ne veux pas contraindre
Un si juste courroux.

ORIANE
J'ai tant de sujet de m'en plaindre,
Que j'ai presque oublié de me plaindre de vous.
Non, ce n'est point ici son secours que j'implore ;
Il est allé chercher la beauté qu'il adore,
Et je l'appellerais par des cris superflus.

ARCALAÜS
Lorsque vous le verrez, vous l'aimerez encore.

ORIANE
Non, non, je ne le verrai plus.
Je dois trop le haïr, pour renouer la chaîne
Dont il a dégagé son cœur.

ARCALAÜS
Si vous le haïssez, j'ai servi votre haine ;
A la fin j'ai vaincu ce superbe vainqueur.

ORIANE
Vous, vainqueur d'Amadis ! non, il n'est pas possible
Qu'il ait cessé d'être invincible.
Tout cède à sa valeur, et vous la connaissez...

ARCALAÜS
Eh ! c'est ainsi que vous le haïssez ?

ORIANE
Je veux haïr toujours un amant si volage,
Et je me le suis bien promis
Mais ses plus cruels ennemis
Peuvent-ils s'empêcher d'admirer son courage.
Non, rien ne peut être assez fort,
Pour surmonter ce héros indomptable.

ARCALAÜS
Voyez si je me vante à tort,
D'avoir vaincu ce vainqueur redoutable.
Amadis, étendu sur ses armes sanglantes, paraît mort

Scène quatrième
ORIANE, AMADIS qui paraît mort

ORIANE
Que vois-je ! o spectacle effroyable ?
O trop funeste sort !
Ciel ! o Ciel ! Amadis est mort !
Ma colère lui fut fatale ;
J'eus tort de l'accuser de suivre une autre amour.
Que ne puis-je, en mourant, le rappeler au jour,
Dû-t-il vivre pour ma rivale !
Ciel ! qui nous donna ce héros,
Que ne prenais-tu sa défense
Contre l'infernale puissance ?
L'univers a perdu l'auteur de son repos.
Pleure, gémis, faible innocence,
Pleure, hélas ! tu n'as plus d'appui,
Tu vois expirer aujourd'hui
Ton unique espérance.
O trop funeste sort !
Ciel ! o Ciel ! Amadis est mort !

Il m'appelle ; je le vais suivre
Le sort qui nous rejoint m'est doux.
Amadis, je vivais pour vous,
Vous mourez, je ne puis plus vivre.
Oriane tombe évanouie.

Scène cinquième
ARCALAÜS, ARCABONNE, AMADIS qui paraît mort, ORIANE, évanouie.

RITOURNELLE

ARCABONNE ET ARCALAÜS 
Quel plaisir de voir 
Un si cruel désespoir !

ARCABONNE
Joignez votre fureur à ma rage inhumaine.
Il faut que ces amants revivent tour à tour
Pour souffrir une affreuse peine

ARCALAÜS
Il faut faire de leur amour
Le ministre de notre haine.

ARCABONNE ET ARCALAÜS
Quel plaisir de voir
Un si cruel désespoir!

ARCABONNE
Il faut qu'Amadis sorte
Du profond assoupissement
Où le tient notre enchantement,
Et qu'il pleure Oriane morte.
Mais pour eux contre nous, quel pouvoir s'est armé ?

ARCALAÜS
Qui peut conduire ici ce rocher enflammé.

Scène sixième 
Un rocher environné de flammes s'approche, les flammes 
se retirent, et laissent voir un vaisseau sous la figure 
d'un serpent, ce qui l'a fait appeler la grande serpente. 
Urgande & ses suivantes sortent de ce vaisseau.
URGANDE, TROUPE DE SUIVANTES D'URGANDE, ARCALAÜS, ARCABONNE, 
AMADIS, qui paraît mort, ORIANE, évanouie.

PRELUDE

URGANDE
Je soumets à mes lois l'enfer, la terre et l'onde.
Sans qu'on sache où je suis, je parcours tout le monde,
Et je connais des secrets que les cieux
N'ont jusqu'ici dévoilé qu'à mes yeux.
Mais j'arme seulement ma fatale puissance
Contre l'injuste violence ;
J'ai soin de relever le mérite abattu,	
Et je fais mon bonheur de servir la vertu.

Tremblez, tremblez, reconnaissez Urgande ;
Tout obéit, sitôt que je commande ;
Barbares, laissez pour jamais
Ces fidèles amants en paix.

Urgande touche de sa baguette Arcalaüs et Arcabonne.

PRELUDE

ARCABONNE ET ARCALAÜS 
Tout mon effort est inutile,
Je demeure immobile ;
Je cède aux charmes trop puissants
Qui saisissent mes sens.

DEUX SUIVANTES D'URGANDE
Tremblez, tremblez, reconnaissez Urgande ;
Tout obéit, sitôt qu'elle commande
Barbares, laissez pour jamais
Ces fidèles amants en paix.

Les suivantes d'Urgande jettent des fleurs et répandent des parfums 
sur Amadis, et Oriane pour commencer à dissiper l'enchantement 
dont ils sont saisis

MENUET POUR LES SUIVANTES D'URGANDE

DEUX SUIVANTES D'URGANDE
Cœurs, accablés de rigueurs inhumaines,
Ne cessez point d'espérer en aimant :
Il vient un jour où les craintes sont vaines, 
Un triste sort change dans un moment.
Il est fâcheux de porter des chaînes,
C'est un cruel tourment ;
Mais quand l'amour en veut payer les peines,
C'est un plaisir charmant.
Les suivantes d'Urgande commencent à dissiper par leurs danses 
l'enchantement dont Amadis et Oriane sont saisis, et les 
emportent dans le vaisseau. Urgande, avant que d'y renter, 
touche une seconde fois de sa baguette Arcalaüs et Arcabonne.

MENUET POUR LES SUIVANTES D'URGANDE (reprise)

URGANDE
Il faut que de vos sens je vous rende l'usage,
Perfides ! Je vous livre à votre propre rage.
Urgande rentre dans le vaisseau de la grande serpente, qui 
commence à s'éloigner et à se couvrir de flammes

PRELUDE

ARCABONNE ET ARCALAÜS
Démons, soumis à nos lois,
Volez, venez nous défendre.
N'osez-vous rien entreprendre ?
Méprisez-vous notre voix ?
Hâtez-vous, c'est trop attendre.
Démons, soumis à nos lois,
Volez, venez nous défendre.
Les démons des enfers sortent pour secourir Arcalaüs, et Arcabonne. 
Les démons de l'air viennent combattre contre ceux des enfers et les surmontent.

PRELUDE (reprise)

ARCABONNE ET ARCALAÜS
On brave notre vain pouvoir,
Tout est contraire à notre envie :
Nous perdons tout espoir,
Renonçons à la vie !

ACTE V
Le théâtre change et représente le palais enchanté d'Apollidon, 
où l'on voit l'arc des loyaux amants, et la chambre défendue dont la porte est fermée

Scène 1
URGANDE, AMADIS

PRELUDE

URGANDE
Apollidon, par un pouvoir magique
Autrefois éleva ce palais magnifique,
Consolez-vous en des lieux si charmants ;
Vous y devez trouver la fin de vos tourments.

AMADIS
Je ne puis ressentir les charmes
Du plus agréable séjour :
Non, rien ne plaît à des yeux que l'Amour
A condamner à d'éternelles larmes.   

URGANDE
Oriane est ici, rappelez votre espoir.

AMADIS
Oriane...

URGANDE
Vous l'allez voir.

AMADIS
Je puis voir par vos soins la beauté que j'adore !
Voir Oriane ! ... hélas ! c'est l'irriter encore.
Ah, que mon cœur se sent troublé !
Je tremble...

URGANDE
Amadis peut trembler !

AMADIS
Je suis inébranlable
Contre un ennemi redoutable,
Dont il faut vaincre la fureur,
Mais contre la colère
De la beauté qui m'a su plaire,
Rien n'est si faible que mon cœur.

URGANDE
Dissipez une crainte vaine ;
Empressez-vous de voir Oriane en ces lieux.

AMADIS
Je crains de mériter sa haine
Elle m'a défendu de paraître à ses yeux.

URGANDE
C'est porter trop loin la constance
Que d'obéir sans résistance
A de si dures lois, 
Et quelquefois
L'Amour s'offense
De trop d'obéissance.

Scène seconde
ORIANE, AMADIS

ORIANE
Fermez-vous pour jamais, mes yeux, mes tristes yeux.
Je perds ce que j'aime le mieux,
La clarté doit m'être ravie.
Hélas ! quelle rigueur de me rendre la vie
Pour me faire sentir la perte que je fais !
Mes yeux, mes tristes yeux, fermez-vous pour jamais.

ORIANE ET AMADIS
O ciel ! le puis-je croire ?

ORIANE
Amadis ! vous vivez !

AMADIS
Vous plaignez mes malheurs !
Vos beaux yeux m'ont donné des pleurs !

ORIANE
Vous vivez ?

AMADIS
Puis-je encore vivre en votre mémoire ?

ORIANE ET AMADIS
O Ciel ! le puis-je croire !

ORIANE
Je vous aime constamment
Malgré votre changement.
Dans une amour nouvelle
Vous pourrez trouver plus d'appas :
Mais vous n'y trouverez pas
Un cœur plus fidèle.

AMADIS
Oriane, m'accusez-vous ?

ORIANE
Briolanie a des charmes trop doux ;
Je n'empêcherai pas que votre amour la suive...

AMADIS
Ah! ne reprenez plus votre fatal courroux
Si vous souhaitez que je vive.

ORIANE
Vous aurez peu de peine à me désabuser,
Amadis, contre vous à regret je m'irrite ;
Le dépit que l'amour excite
Ne demande qu'à s'apaiser.

AMADIS
Faut-il que votre cœur se soit laissé surprendre 
D'un soupçon qui nous coûte un si cruel tourment ?

ORIANE
C'est le défaut d'un cœur tendre
De s'alarmer aisément.

ORIANE ET AMADIS
Ma douleur eut été mortelle : 
Hélas ! j'allais y succomber.
Ah ! gardons-nous de retomber
Dans une peine si cruelle.

ORIANE
Tout vous a dit 
Que je vous aime.
Mes larmes, ma douleur extrême,
Et jusqu'à mon dépit
Tout vous a dit
Que je vous aime.

ORIANE ET AMADIS
Je vous promets
De n'éteindre jamais
Une flamme si belle
Je vous promets
Une amour éternelle.
Amadis et Oriane répètent ensemble ces derniers vers

Scène troisième
URGANDE, AMADIS, ORIANE

URGANDE
Enfin, vos cœurs sont réunis.

AMADIS
Par votre heureux secours nos troubles sont finis.

URGANDE
Il est aisé d'apaiser les querelles
Dont les amants fidèles
Ne sont troublés que trop souvent : 
L'Amour chassé par la colère
Ne manque guère
De revenir plus fort qu'auparavant.

ORIANE
Je dépends d'un devoir sévère,
Mon père a fait un choix qui s'oppose à mes vœux.

URGANDE
J'aurai soin d'obtenir l'aveu de votre père.

ORIANE ET AMADIS
Que ne devons-nous pas à vos soins généreux !

URGANDE
Un si parfait amour mérite d'être heureux.
Il faut vous ôter tout ombrage, 
Les amants dans ces lieux, sous cet arc enchanté, 
Trouvent le juste témoignage
De leur fidélité.

ORIANE
Il me suffit de l'assurance
Qu'Amadis me donne en ce jour.

URGANDE
Peut-on trop rassurer l'amour
Mais Florestan ici vient montrer sa confiance

Scène quatrième
Florestan, Corisande, Urgande, Amadis, Oriane

SYMPHONIE

URGANDE parlant à Florestan
Il est temps de vous arrêter.

FLORESTAN
La valeur et l'Amour doivent tout surmonter ; 
Où suis-je ! d'où vient ce nuage ?
Quel pouvoir arrête mes pas ?
Mille et mille invisibles bras
Défendent ce passage.

URGANDE
Soyez content de l'avantage
Qu'aucun autre avant vous n'ait pu passer si loin

CORISANDE (à Florestan)
Je connais votre amour

AMADIS (à Florestan)
L'univers est témoin
Des efforts de votre courage.

CORISANDE, ORIANE ET AMADIS
Epargnez-vous un inutile soin.

URGANDE
Amadis va tenter l'aventure fatale, 
Il doit l'achever aujourd'hui.
En amour, en valeur, nul autre ne l'égale ;
C'est un sort assez beau de ne céder qu'à lui.

AMADIS
Pour rendre tout possible à mon amour extrême, 
Il suffit d'un regard de la beauté que j'aime. 

URGANDE, ORIANE, FLORESTAN ET CORISANDE
Héros favorisé des cieux, 
Soyez toujours victorieux.
Amadis, votre amour fidèle
Mérite une gloire immortelle.

Un chœur de personnes invisibles répètent ces quatre vers, dans le temps 
qu'Amadis passe sous l'arc des loyaux amants.

URGANDE parlant à Oriane
Suivez ce héros glorieux
Vers la chambre enchantée avancez sans alarme.

AMADIS conduisant Oriane
Venez-en surmonter les charmes, 
Quels charmes sont plus forts que ceux de vos beaux yeux ?

Scène cinquième et dernière
La chambre défendue s'ouvre, et une troupe de héros & d'héroïnes, 
qu'Apollidon y avait autrefois enchantés pour y attendre 
le plus fidèle des amants & la plus parfaite des amantes reçoit 
Amadis et Oriane, et les reconnaît dignes de cet honneur.
AMADIS, ORIANE, URGANDE, FLORESTAN, CORISANDE, TROUPE DE HEROS ET D'HEROÏNES

PRELUDE

UNE HEROÏNE
Fidèles cœurs, votre constance
Ne sera pas sans récompense,
Un sort heureux suit vos tourments.
A la fin l'Amour couronne
Les parfaits amants.
Que les prix qu'il donne
Sont doux et charmants !
A la fin l'Amour couronne
Les parfaits amants.
Le chœur répète ces derniers vers
Les héros et les héroïnes témoignent leur joie pas les danses mêlées de chants.

CHACONNE

GRAND CHŒUR
Chantons tous, en ce jour,
La gloire de l'Amour.
Gardez-vous bien de briser vos chaînes,
Vous, qui souffrez de cruelles peines,
Ne cessez point d'être constants,
Et vous serez contents.

PETIT CHŒUR
Nous devons suivre
Des lois qui doivent nous charmer ;
Ce n'est pas vivre
Que vivre, sans savoir aimer.

FLORESTAN, parlant à Corisande
Tout suit nos voeux,
Rien ne trouble notre vie,
Des plus beaux nœuds
Pour jamais l'Amour nous lie ;
Je puis vivre pour vous,
Que mon bonheur est doux !

CORISANDE parlant à Florestan
Il n'est plus temps de répandre des larmes,
Nous aimerons désormais sans alarmes ;
Que de plaisirs ! que de beaux jours
Vont s'offrir à nos amours !

GRAND CHŒUR
Tout charme ici nos yeux,
Où peut-on être mieux ?

PETIT CHŒUR
Où peut-on être mieux
Que dans ces beaux lieux ?

GRAND CHŒUR
Les plus charmants plaisirs
Suivront tous nos désirs.

PETIT CHŒUR
Les parfaites douceurs
Sont pour les tendres cœurs.

UN HEROS
Jouissons à jamais
De la douce paix
Qui nous appelle.
Jouissons à jamais
De la douce paix
D'une amour fidèle.

GRAND CHŒUR
C'est assez d'entreprendre
De faire un beau choix ;
Il suffit qu'un cœur tendre
S'engage une fois.

CORISANDE
Quel tourment quand l'amour est extrême,
De trembler pour l'objet que l'on aime !
Quel plaisir de se voir hors d'un mortel danger !
Quand les maux sont finis, qu'il est doux d'y songer !

GRAND CHŒUR
A la fin nous aimons, sans rien craindre.
Ce n'est plus la saison de nous plaindre.
On fuirait les amours,
S'ils gémissaient toujours.

CORISANDE, UN HEROS ET FLORESTAN
Un tendre amour ne plaît pas moins
Lorsqu'il tourmente ;
Plus un plaisir coûte de soins,
Plus il enchante.
Que le bonheur est charmant
Après un long tourment !

GRAND CHŒUR
Mille jeux innocents
Vont enchanter nos sens.

CORISANDE, UN HEROS ET FLORESTAN
Mille jeux innocents
Vont enchanter nos sens.

UN HEROS
Amants inconstants, n'espérez pas
De jouir d'un sort si plein d'appas.

GRAND CHŒUR
Loin de nous, infidèles,
Fuyez loin de nous,
Ces demeures si belles
Ne sont pas pour vous.

CORISANDE
Au milieu d'un tourment sans égal,
L'Amour sait plaire ;
Il lui faut pardonner tout le mal
Qu'il nous veut faire.
Je n'ai point de regret aux pleurs que j'ai versés,
Le bonheur qui les suit les récompense assez.

GRAND CHŒUR
Chantons tous, en ce jour,
La gloire de l'Amour.
Gardez-vous bien de briser vos chaînes,
Vous, qui souffrez de cruelles peines,
Ne cessez point d'être constants,
Et vous serez contents.



   
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