Amadis, tragédie en musique Musique de Jean-Baptiste Lully - livret de Philippe Quinault Relu et corrigé par Claire Guillemain Acteurs du Prologue URGANDE, célèbre enchanteresse, épouse d'Alquif ALQUIF, célèbre enchanteur, époux d'Urgande Suivantes d'Urgande Suivants d'Alquif PROLOGUE Le théâtre représente les lieux qu'Urgande et Alquif ont choisis, pour y demeurer enchantés et assoupis avec leur suite. Un éclair et un coup de tonnerre commencent à dissiper l'assoupissement d'Urgand, d'Alquif et de leur suite. OUVERTURE URGANDE ET ALQUIF sous un riche pavillon Ah j'entends un bruit qui nous presse De nous rassembler tous, Le charme cesse Eveillons-nous. CHŒUR Le charme cesse… Les suivants d'Alquif et les suivantes d'Urgande s'éveillent. URGANDE ET ALQUIF Esprits, empressés à nous plaire, Vous, qui veillez ici pour notre sûreté, Votre soin n'est plus nécessaire, Vous pouvez désormais partir en liberté. Que le ciel annonce à la Terre La fin de cet enchantement, Brillants éclairs, bruyant tonnerre, Marquez avec éclat ce bienheureux moment. CHŒUR Que le ciel… Les statues qui soutiennent le pavillon, l'emportent en volant au bruit du tonnerre, et à la lueur des éclairs. Les suivants d'Alquif et les suivantes d'urgande se réjouissent de n'être plus enchantés, et témoignent leur joie en dansant et en chantant. PREMIER AIR SECOND AIR (GIGUE) UNE DES SUIVANTES D'URGANDE Les plaisirs nous suivront désormais ; Nous allons voir nos désirs satisfaits. Vivons sans alarmes, Vivons tous en paix. Revenez, reprenez tous vos charmes, Jeux innocents, revenez pour jamais. Il est temps que l'aurore vermeille Cède au soleil, qui marche sur ses pas ; Tout brille ici-bas. Il est temps que chacun se réveille ; L'amour ne dort pas, Tout sent ses appas. L'aimable Zéphire Pour Flore soupire ; Dans un si beau jour, Tout parle d'amour. URGANDE Lorsqu'Amadis périt, une douleur profonde Nous fit retirer dans ces lieux. Un charme assoupissant devait fermer nos yeux, Jusqu'au temps fortuné que le destin du monde Dépendrait d'un héros, encore plus glorieux. ALQUIF Ce héros triomphant veut que tout soit tranquille En vain, mille envieux s'arment de toutes parts ; D'un mot, d'un seul de ses regards Il sait rendre, à son gré, leur fureur inutile. URGANDE ET ALQUIF C'est à lui d'enseigner Aux maîtres de la terre Le grand art de la guerre ; C'est à lui d'enseigner Le grand art de régner. CHŒUR C'est à lui d'enseigner… URGANDE Retirons Amadis de la nuit éternelle. Le ciel nous le permet, un sort nouveau l'appelle Où son sang régnait autrefois. ALQUIF Nous ne saurions choisir de demeure plus belle. Allons être témoins de la gloire immortelle D'un roi, l'étonnement des rois, Et des plus grands héros le plus parfait modèle. URGANDE ET ALQUIF Tout l'univers admire ses exploits, Allons vivre heureux sous ses lois. CHŒUR Tout l'univers… La suite d'Alquif et d'Urgande témoigne leur joie en dansant, et en chantant. RONDEAU UNE DES SUIVANTES D'URGANDE ET LE CHŒUR Suivons l'amour, c'est lui qui nous mène ; Tout doit sentir son aimable ardeur. Un peu d'amour nous fait moins de peine Que l'embarras de garder notre cœur. On danse RONDEAU (reprise) UNE DES SUIVANTES D'URGANDE ET LE CHŒUR Malgré nos soins, l'Amour nous enchaîne ; On ne peut fuir ce charmant vainqueur. Un peu d'amour nous fait moins de peine Que l'embarras de garder notre cœur. URGANDE ET ALQUIF Volez, tendres amours, Amadis va revivre. Son grand cœur est fait pour vous suivre. Volez, volez aimables jeux, Conduisez Amadis en des climats heureux. CHŒUR Volez, tendres amours… Les Amours et les Jeux volent. OUVERTURE (reprise) Acteurs de la tragédie AMADIS, fils du roi Périon de Gaule ORIANE, fille de Lisuart, roi de la Grande Bretagne FLORESTAN, fils naturel du roi Périon de Gaule CORISANDE, souveraine de Gravesande Troupes de chevaliers combattants dans des jeux à l'honneur d'Oriane ARCALAÜS, chevalier enchanteur, frère d'Arcabonne et d'Ardan Canile ARCABONNE, enchanteresse, sœur d'Arcalaüs et d'Ardan Canile Troupes de suivants et de soldats d'Arcalaüs Troupes de démons sous la figure de monstres terribles, de nymphes agréables, de bergers et bergères Troupe de captifs Troupe de captives Troupe de geôliers Démons volants qui conduisent Arcabonne L'OMBRE D'ARDAN CANILE URGANDE, célèbre enchanteresse, amie d'Amadis Troupe de suivantes d'Urgande Troupe de démons infernaux Troupe de démons de l'air Troupe de héros et d'héroïnes, enchantés dans la chambre défendue du palais d'Appolidon ACTE I Le théâtre représente le palais du roi Lisuart, père d'Oriane. Scène première AMADIS, FLORESTAN FLORESTAN Je reviens dans ces lieux pour y voir ce que j'aime ; Chaque moment est cher pour moi : Mais au sang qui nous joint, je sais ce que je dois ; Je ne puis vous quitter, sans une peine extrême, Dans la douleur où je vous vois. Le grand cœur d'Amadis doit être inébranlable ; Quel malheur peut troubler un héros indomptable, Vainqueur des fiers tyrans et des monstres affreux… AMADIS J'aime, hélas ! c'est assez pour être malheureux. FLORESTAN Sans cesse vous volez de victoire en victoire, Votre grand nom s'étend aussi loin que le jour ; Si vous vous plaignez de l'amour, Consolez-vous avec la gloire. AMADIS Ah ! que l'amour paraît charmant ! Mais, hélas ! il n'est point de plus cruel tourment. Que je trouvais d'appas dans ma naissante flamme ! Que j'aimais à former un tendre engagement ! Je payerai bien chèrement Les trompeuses douceurs qui séduisaient mon âme. Ah ! que l'amour paraît charmant ! Mais, hélas ! il n'est point de plus cruel tourment. J'ai choisi la gloire pour guide, J'ai prétendu marcher sur les traces d'Alcide ; Heureux ! si j'avais évité Le charme trop fatal dont il fut enchanté ! Son cœur n'eut que trop de tendresse, Je suis tombé dans son malheur ; J'ai mal imité sa valeur, J'imite trop bien sa faiblesse. J'aime Oriane, hélas ! je l'aime sans espoir. FLORESTAN Elle dépend d'un père, elle suit son devoir. AMADIS Oriane m'aimait, je l'aimais sans alarmes. FLORESTAN Que vous peut-elle offrir, que d'inutiles larmes ? L'empereur des Romains sur son trône l'attend. AMADIS Je pourrais l'obtenir par la force des armes, Si son amour était constant ; Et je croyais son cœur à l'épreuve des charmes Du trône le plus éclatant. Fût-il jamais amant plus fidèle et plus tendre, Fût-il jamais amant plus malheureux que moi ? La beauté dont je suis la loi Me bannit, pour jamais, sans me vouloir entendre ; Hélas! est-ce le prix que je devais attendre De mon amour et de ma foi ? Fût-il jamais amant plus fidèle et plus tendre, Fût-il jamais amant plus malheureux que moi ? FLORESTAN Quand on est aimé comme on aime, C'est une trahison que de se dégager ; Mais c'est une faiblesse extrême D'aimer une inconstante, et de ne pas changer. Vous serez plus heureux dans une amour nouvelle. AMADIS Oriane, ingrate et cruelle, M'accable de mortels ennuis. Mais j'ai juré de conserver pour elle Une amour éternelle ; Tout infortuné que je suis, J'aime mieux être encore malheureux, qu'infidèle. C'est trop vous arrêter, allez, suivez l'amour. Corisande en ces lieux attend votre retour. FLORESTAN Vous puis-je abandonner à votre inquiétude ? AMADIS Un amour malheureux cherche la solitude. Scène seconde CORISANDE, FLORESTAN RITOURNELLE CORISANDE Florestan ! FLORESTAN Corisande ! CORISANDE ET FLORESTAN O bienheureux moment Qui finit mon cruel tourment ! Après la rigueur extrême D'un fatal éloignement ; Que c'est un plaisir charmant De revoir ce que l'on aime ! FLORESTAN Il faut unir votre cœur et le mien D'un éternel lien. CORISANDE Venez régner aux lieux où je commande. FLORESTAN Aimons-nous, belle Corisande, Et comptons la grandeur pour rien. CORISANDE ET FLORESTAN Vous êtes le seul bien Que mon amour demande. CORISANDE Que ne puis-je arrêter l'ardeur, Qui vous porte à chercher les périls de la guerre ! Que ne vous puis-je offrir l'empire de la terre Avec l'empire de mon cœur. FLORESTAN Trop heureux que l'Amour avec moi vous engage, Trop heureux de porter vos fers, J'estime plus cent fois un si doux esclavage Que l'empire de l'univers. CORISANDE Si votre cœur eût été moins sensible Au tendre amour, qui me tient sous sa loi, Vous eût-il été possible De vous éloigner de moi ? FLORESTAN Fils d'un roi, dont le nom partout s'est fait connaître, Et frère d'Amadis, le plus grand des héros, Pouvais-je demeurer dans un honteux repos ? Aurais-je démenti le sang qui m'a fait naître ? Pour mériter de plaire aux yeux qui m'ont charmé, J'ai cherché tout l'éclat que donne la victoire : Si j'avais moins aimé la gloire, Vous ne m'auriez pas tant aimé. CORISANDE La loi que fait l'Amour doit être enfin suivie, Quand on a satisfait la gloire et le devoir. CORISANDE ET FLORESTAN C'est ma plus chère envie De vous aimer toute ma vie. C'est mon plus doux espoir De vous aimer et de vous voir. Scène troisième ORIANE, FLORESTAN, CORISANDE CORISANDE Je revois Florestan, je le revois fidèle. ORIANE Ah, qu'il est beau d'aimer d'une amour éternelle. FLORESTAN C'est en vain qu'Amadis vous aime constamment, Et vous l'avez banni, par une loi cruelle. ORIANE Non, ne défendez point un si volage amant. Sa première amour est finie : Il adore Briolanie. Le confident de sa nouvelle ardeur N'a que trop bien su m'en instruire : Il n'est plus permis à mon cœur De se laisser séduire. FLORESTAN Se peut-il qu'Amadis vous ait manqué de foi ! ORIANE Ma rivale n'est que trop belle. CORISANDE Etes-vous moins aimable qu'elle ? ORIANE Elle a l'avantage sur moi D'être une conquête nouvelle. FLORESTAN Amadis est saisi d'un mortel désespoir. ORIANE Non, non, ce n'est qu'un artifice Dont il couvre son injustice, Il sera trop content de ne me jamais voir. CORISANDE L'injustice serait étrange De vouloir ajouter la feinte au changement : Du moins un grand cœur, quand il change, Doit changer sans déguisement. ORIANE L'ingrat, un peu plus tard aurait changé son crime ! Je vais devenir la victime Du devoir, qui règle mon sort. L'inconstant n'a-t-il pu se faire un peu d'effort ? De lui-même bientôt son cœur allait dépendre : Eh ! que n'attendait-il mon hymen, ou ma mort, Il ne devait plus guère attendre. FLORESTAN Amadis punit les ingrats, L'innocence opprimée a recours à son bras, La justice trop faible à son secours l'appelle : Jamais tant de vertu n'a si bien mérité Une gloire immortelle : Un héros ennemi de l'infidélité Peut-il être amant infidèle ? ORIANE L'éclat de tant de gloire avait jusqu'à ce jour Ebloui mon âme crédule. Ah ! les plus grands héros ne font pas grand scrupule. D'une infidélité d'amour. Pourquoi me plaindre d'une offense Qui met mon cœur en mon pouvoir ? Que je profite mal d'une heureuse inconstance Qui m'aide à suivre mon devoir ! Juste dépit, brisez ma chaîne. J'allais finir mes tristes jours, Plutôt que de trahir de si belles amours ; Amadis les trahit sans peine. Juste dépit, brisez ma chaîne. C'est à vous seul que j'ai recours. Hélas ! vous m'agitez d'une colère vaine. Que je me sens tremblante, inquiète, incertaine ! Que je suis faible encore avec votre secours, Juste dépit, brisez ma chaîne. CORISANDE ET FLORESTAN Non, on ne sort pas aisément D'un amoureux engagement ORIANE Malheureux qui s'engage Avec un cœur volage ORIANE, CORISANDE ET FLORESTAN Trop heureux qui peut s'engager Pour ne jamais changer. CORISANDE Deux partis vont ici disputer la victoire. Ces jeux guerriers se font à votre gloire. ORIANE Que j'ai de peine à cacher mes ennuis ! Ne m'abandonnez pas dans le trouble où je suis. Scène quatrième TROUPE DE COMBATTANTS de deux différents partis, ORIANE, FLORESTAN, CORISANDE Les deux partis font divers combats, et les victorieux portent les armes qu'ils ont gagnées aux pieds d'Oriane. MARCHE POUR LE COMBAT DE LA BARRIERE PREMIER AIR DES COMBATTANTS SECOND AIR CHŒUR Belle Princesse, que vos charmes, Ont enchanté de cœurs ! Vous forcez les plus fiers vainqueurs A vous rendre les armes. Les plus grands rois de l'univers Font gloire de porter vos fers. MARCHE POUR LE COMBAT DE LA BARRIERE (reprise) ACTE II Le théâtre change et représente une forêt, dont les arbres sont chargés de trophées ; on voit un pont et un pavillon au bout. Scène première PRELUDE ARCABONNE, seule Amour, que veux-tu de moi ? Mon cœur n'est pas fait pour toi. Non, ne t'oppose point au penchant qui m'entraîne, Je suis accoutumée à ressentir la haine, Je ne veux inspirer que l'horreur et l'effroi. Amour que veux-tu de moi ? Mon cœur aurait trop de peine A suivre une douce loi, C'est mon sort d'être inhumaine. Amour, que veux-tu de moi ? Mon cœur n'est pas fait pour toi. Scène seconde ARCALAÜS, ARCABONNE ARCALAÜS Ma sœur, qui peut causer votre sombre tristesse ? Le silence des bois sert à l'entretenir. ARCABONNE Il faut avouer ma faiblesse. Pour commencer à m'en punir. Un héros, contre un monstre, un jour prit ma défense, J'étais morte sans son secours. Il ne voulut, pour récompense, Que le plaisir secret d'avoir sauvé mes jours. Je n'ai point su quel héros m'a servie ; Je m'informai de son nom vainement : Mais son casque tomba, je le vis un moment, Ce moment fut fatal au reste de ma vie. Cet inconnu, si généreux, Ne me parut que trop aimable ; Il m'en revient sans cesse une image agréable, Qui me plaît plus que je ne veux. J'ai honte de mon trouble extrême ; Je fuis partout l'amour, je sens partout ses traits ; Je cherche en vain les paisibles forêts ; Hélas ! jusqu'au silence même, Tout me parle de ce que j'aime. ARCALAÜS L'amour n'est qu'une vaine erreur, On n'en est point surpris quand on veut s'en défendre. Est-ce à vous d'avoir un cœur tendre ? Votre cœur tout entier n'est dû qu'à la fureur. ARCABONNE Non, je ne connais plus mon cœur. L'amour qu'il a bravé le réduit à se rendre : Tout barbare qu'il est, il se laisse surprendre D'une douce langueur. Non, je ne connais plus mon cœur. ARCALAÜS Délivrez-vous de l'esclavage Où l'amour vous engage. Vous qui savez commander aux enfers, Ne sauriez-vous briser vos fers ? ARCABONNE Vous m'avez enseigné la science terrible Des noirs enchantements, qui font pâlir le jour ; Enseignez-moi, s'il est possible, Le secret d'éviter les charmes de l'Amour. ARCALAÜS Songez que notre sang nous demande vengeance. Amadis l'a versé ; sa valeur nous offense : Le superbe Amadis a terminé le sort Du redoutable Ardan, notre malheureux frère... ARCABONNE Que le nom d'Amadis m'inspire de colère ! Quand pourrai-je goûter le plaisir de sa mort ? ARCALAÜS Que j'aime à voir en vous ce généreux transport ! ARCABONNE ET ARCALAÜS Irritons notre barbarie : Ecoutons notre sang qui crie : Périsse l'ennemi qui nous ose outrager. Ah, qu'il est doux de se venger ! ARCABONNE L'espoir de la vengeance aujourd'hui me console, De tout ce que l'amour m'a causé de tourments. Hâtez-vous de livrer à mes ressentiments, L'ennemi qu'il faut que j'immole. ARCALAÜS Laissez-moi l'engager dans mes enchantements. Arcabonne se retire, Arcalaüs demeure dans la forêt et aperçoit Amadis qui s'avance. Scène troisième ARCALAÜS, seul Dans un piège fatal son mauvais sort l'amène. Esprits malheureux, et jaloux, Qui ne pouvez souffrir la vertu qu'avec peine ; Vous dont la fureur inhumaine, Dans les maux qu'elle fait trouve un plaisir si doux ; Démons, préparez-vous A seconder ma haine ; Démons, préparez-vous A servir mon courroux. Arcalaüs se retire dans le pavillon qui est au bout du pont. Scène quatrième AMADIS PRELUDE AMADIS seul Bois épais, redouble ton ombre : Tu ne saurais être assez sombre ; Tu ne peux trop cacher mon malheureux amour. Je sens un désespoir dont l'horreur est extrême, Je ne dois plus voir ce que j'aime, Je ne veux plus souffrir le jour. Scène cinquième CORISANDE, AMADIS RITOURNELLE CORISANDE O Fortune cruelle ! Tu prends plaisir à me troubler. Tu me flattais pour m'accabler D'une peine mortelle ; O Fortune cruelle ! AMADIS Ciel ! par un prompt trépas, finissez ma douleur. CORISANDE Ciel ! par un prompt secours, finissez mon malheur. ENSEMBLE Hélas ! quels soupirs me répondent ? Hélas ! quels soupirs, quels regrets, Avec mes plaintes se confondent ? Hélas ! quels soupirs, quels regrets, Me répondent dans ces forêts ? CORISANDE Que vois-je ? Amadis ! AMADIS Qui m'appelle ? CORISANDE Par quel sort puis-je ici vous voir ? AMADIS Vous voyez un amant fidèle, Réduit au dernier désespoir. CORISANDE Protégez la vertu, que l'injustice opprime. Secourez Florestan, même sang vous anime ; Il était, comme vous, l'appui des malheureux. Je n'ai pu retenir son cœur trop généreux ; Aux pleurs d'une inconnue il s'est laissé séduire. La perfide a su le conduire Dans des enchantements affreux. AMADIS Pour l'aller secourir quel chemin faut-il prendre ? CORISANDE A d'horribles dangers vous devez vous attendre. AMADIS J'ai vu le danger sans effroi Lorsque mes jours heureux étaient dignes d'envie ; Puis-je craindre la mort, dans un temps où la vie N'est plus qu'un supplice pour moi ? CORISANDE Florestan est tombé dans un triste esclavage En voulant passer dans ces lieux. AMADIS Allons. Scène sixième ARCALAÜS, SUIVANTS D'ARCALAÜS, AMADIS, CORISANDE ARCALAÜS, empêchant Amadis de passer sur le pont. Arrête, audacieux ; Arrête, j'entreprends de garder ce passage. Vois ces marques de mes exploits, Vois combien de guerriers m'ont cédé la victoire. Joins un nouveau trophée à ceux que dans ces bois J'ai fait élever à ma gloire. AMADIS Cesse de m'arrêter, ne force point mon bras A tourner sur toi ma vengeance. ARCALAÜS Si tu cherches ton frère, il est en ma puissance. CORISANDE Rendez-moi Florestan. ARCALAÜS Allez, suivez ses pas, Suivez votre amant au trépas. Les suivants d'Arcalaüs emmènent Corisande. CORISANDE Amadis ! Amadis ! notre unique espérance, Ah ! ne nous abandonnez pas. AMADIS Perfide ! il faut que je punisse Ta barbare injustice. Amadis combat contre Arcalaüs. ARCALAÜS Esprits infernaux, il est temps De me donner le secours que j'attends. Scène septième AMADIS, TROUPE DE NYMPHES, DE BERGERES ET DE BERGERS Plusieurs démons et des monstres terribles, s'efforcent en vain d'étonner et d'arrêter Amadis ; d'autres démons, sous la forme de nymphes, de bergères et de bergers, prennent la place des monstres, et enchantent Amadis. AIR POUR LES DEMONS ET LES MONSTRES SYMPHONIE DES ENCHANTEMENTS CHŒUR Non, non, pour être invincible, On n'en est pas moins sensible, Quel vainqueur a résisté Au charme de la beauté. AIR POUR LES DEMONS ET LES MONSTRES (reprise) TRIO POUR LES VIOLONS ET LES HAUTBOIS DEUX BERGERS Aimez, soupirez, cœurs fidèles ; L'Amour dans ces bois Prend des forces nouvelles. Heureux mille fois Ceux qu'il tient sous ses lois. Il fait disparaître L'horreur des déserts, Tout le suit, c'est le maître De tout l'univers, Quel empire doit être Plus doux que ses fers ? TRIO POUR LES VIOLONS ET LES FLUTES DEUX BERGERES, UN BERGER ET CHŒUR Vous ne devez plus attendre Rien qui trouble vos désirs. Cédez aux plaisirs Qui viennent vous surprendre. Cédez, il est temps de vous rendre Cédez, rendez-vous Aux charmes les plus doux ; L'Amour est pour nous, C'est en vain, que l'on veut s'en défendre, Cédez, il est temps de vous rendre Cédez, rendez-vous Aux charmes les plus doux. C'est l'Amour qui doit prétendre De savoir vous désarmer, L'Amour doit former Les chaînes d'un cœur tendre. Cédez, il est temps de vous rendre… Amadis enchanté croit voir Oriane AMADIS Est-ce vous, Oriane ! O ciel ! est-il possible ! Votre cœur contre moi n'est-il plus irrité ? L'éclat de vos beaux yeux dans ce bois écarté Chasse ce que l'enfer a formé de terrible. Que vivre loin de vous est un supplice horrible ! Quel plaisir de vous voir ! que j'en suis enchanté ! Disposez de ma vie et de ma liberté. Amadis met son épée aux pieds de la nymphe qu'il prend pour Oriane, et la suit avec empressement. CHŒUR Non, non, pour être invincible On n'en est pas moins sensible. Quel vainqueur a résisté, Au charme de la beauté ? ACTE III Le théâtre change et représente un vieux palais ruiné, on y voit le tombeau d'Ardan-Canile et plusieurs différents cachots. Scène première FLORESTAN, enchaîné et enfermé dans un cachot ; CORISANDRE, enchaînée et enfermée dans un autre cachot, TROUPE DE CAPTIVES ET DE CAPTIFS enfermés ; TROUPE DE GEOLIERS. PRELUDE CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS Ciel ! finissez nos peines. CHŒUR DES GEOLIERS Vos clameurs seront vaines. CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS Ciel ! O ciel ! quel supplice, hélas ! CHŒUR DES GEOLIERS Le ciel ne vous écoute pas. UNE CAPTIVE Souffrirons-nous toujours ces rigueurs inhumaines ? UN DES GEOLIERS Vous ne sortirez de vos chaînes, Que par les secours du trépas. UN CAPTIF Souffrirons-nous toujours ces rigueurs inhumaines ? UN DES GEOLIERS Vous ne sortirez de vos chaînes, Que par les secours du trépas. FLORESTAN Que devient ce bonheur si rare Dont l'Amour nous avait flattés? CORISANDE Sont-ce là les liens que l'hymen nous prépare ? FLORESTAN Je ne sens que le poids des fers que vous portez. CORISANDE ET FLORESTAN Que devient ce bonheur si rare Dont l'Amour nous avait flattés ? UN DES CAPTIFS O mort ! que vous êtes lente ! O mort ! ô funeste mort Répondez à mon attente ; O mort ! ô funeste mort Terminez mon triste sort. UN AUTRE CAPTIF La mort toujours cruelle Aime à trancher des jours heureux, Et n'entend point les vœux D'un infortuné qui l'appelle. UN DES GEOLIERS Tel s'empresse d'appeler La mort, quand elle est absente, Qui commence de trembler Sitôt qu'elle se présente. CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS O mort ! que vous êtes lente ! O mort ! O funeste mort ! Répondez à mon attente : O mort ! O funeste mort Terminez mon triste sort. Scène seconde ARCABONNE ET LES MEMES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDENTE Arcabonne, conduite et portée en l'air par des démons, descend dans le palais ruiné. PRELUDE ARCABONNE Il est temps de finir votre plainte importune. Sortez, traînez ici vos fers. Les geôliers ouvrent les cachots, et les captifs en sortent. PRELUDE CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS Contentez-vous des maux que nous avons soufferts ; Faites cesser notre infortune. ARCABONNE Vous allez cesser de souffrir, Malheureux, vous allez mourir. Bientôt l'ennemi qui m'outrage Sera remis en mon pouvoir : Et plus je suis près de le voir, Plus je sens augmenter ma rage. Le sang, ou l'amitié vous unit avec lui, Vous périrez tous aujourd'hui. CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS La mort est plus digne d'envie Qu'une si déplorable vie. UNE CAPTIVE ET UN CAPTIF La mort est plus digne d'envie Qu'une si déplorable vie. CHŒUR DES GEOLIERS Vous allez cesser de souffrir, Malheureux, vous allez mourir. RITOURNELLE CORISANDE Florestan ! FLORESTAN Corisande ! CORISANDE ET FLORESTAN Quel sort pour nos tendres amours ! CORISANDE Faut-il que votre sang, à mes yeux, se répande ? FLORESTAN Faut-il voir ce que j'aime expirer sans secours ? CORISANDE Que le juste ciel vous défende. C'est l'unique faveur, qu'en mourant je demande. FLORESTAN Non, non, le coup fatal qui doit trancher mes jours N'est pas celui que j'appréhende. CORISANDE Florestan ! FLORESTAN Corisande ! CORISANDE ET FLORESTAN Quel sort pour nos tendres amours ! Ils parlent à Arcabonne Cruelle, que votre colère Se contente de m'immoler. ARCABONNE Non, trop de sang ne peut couler, Pour venger la mort de mon frère. Consolez-vous dans vos tourments, La mort n'est pas un mal si cruel qu'il le semble. C'est unir deux amants Que les immoler ensemble. CORISANDE Puisque le ciel ne permet pas Que je vive avec vous dans un bonheur extrême, Avec vous, la mort même A pour moi des appas. CORISANDE La douceur de mourir, avec ce que l'on aime Dissipe l'horreur du trépas. Corisande et Florestan répètent ensemble ces deux derniers vers FLORESTAN Heureux dans nos malheurs, que rien ne nous sépare. Non pas même la mort barbare. CORISANDE Portons un nœud si beau, Jusque dans le tombeau. Corisande et Florestan répètent ensemble ces deux derniers vers ARCABONNE Ah! c'est trop entendre Un amour si tendre ! Vous m'importunez Taisez-vous, infortunés. CHŒUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS Quelle rigueur de nous contraindre A souffrir, sans nous plaindre ! O juste Ciel ! vengez-nous ! CHŒUR DES GEOLIERS Infortunés, Taisez-vous ! PRELUDE ARCABONNE Toi qui dans ce tombeau n'est plus qu'un peu de cendre Et qui fut de la terre autrefois la terreur. Reçois le sang que ma fureur S'empresse de répandre. Qu'entend-je ! Quel gémissement Sort de ce monument ? Je vais répondre à votre impatience, Mânes plaintifs, cessez de murmurer. Je punirai qui nous offense Par la plus cruelle vengeance Que la rage puisse inspirer, Je vais répondre à votre impatience, Mânes plaintifs, cessez de murmurer. Scène troisième L'OMBRE D'ARDAN-CANILE & LES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDENTE L'OMBRE D'ARDAN-CANILE, sortant de son tombeau Ah ! tu me trahis, malheureuse. ARCABONNE J'ai juré d'achever une vengeance affreuse, Voyez quelle est l'ardeur de mes ressentiments. L'OMBRE Ah ! tu me trahis, malheureuse. Ah ! tu vas trahir tes serments. Je retombe ; le jour me blesse. Tu me suivras dans peu de temps ; Pour te reprocher ta faiblesse, C'est aux enfers que je t'attends. L'Ombre rentre dans le tombeau. PRELUDE ARCABONNE Non, rien n'arrêtera la fureur qui m'anime On vient me livrer ma victime. Scène quatrième AMADIS enchaîné, TROUPE DE SOLDATS, qui gardent Amadis, ET LES ACTEURS DE LA SCENE PRECEDENTE Arcabonne s'approche d'Amadis avec un poignard à la main. ARCABONNE Meurs !... Que mes sens sont interdits ! O Ciel ! que vois-je ? est-ce Amadis ! AMADIS Je suis un malheureux, qui n'ai plus d'autre envie Que de trouver la fin de mon funeste sort. ARCABONNE Quoi, l'ennemi dont j'ai juré la mort, Est le héros qui m'a sauvé la vie ? Qu'est-ce que j'entreprends ? un trépas inhumain De mon libérateur serait la récompense ? Non, une cruelle vengeance Contre vos jours m'a fait armer en vain : Une juste reconnaissance Me fait tomber les armes de la main. RITOURNELLE ARCABONNE Vivez, quittez vos fers, ne craignez plus ma haine. Quel prix vous puis-je offrir pour ce que je vous dois ? AMADIS D'innocents malheureux ont trop souffert pour moi ; Le seul prix que je veux, c'est de briser leur chaîne. ARCABONNE Allez en liberté goûter un doux repos : Rendez grâces à ce héros. RITOURNELLE Arcabonne fait remettre en liberté Florestan, Corisandre, et les autres captifs et captives ; mais elle retient Amadis et l'emmène avec elle. Les captifs et les captives se réjouissent de la liberté qui leur est rendue. PRELUDE CHŒUR Sortons d'esclavage, Profitons de l'avantage. Qu'Amadis a remporté : Notre liberté Est le prix de son courage. CORISANDE ET FLORESTAN Sortons d'esclavage. Amadis a surmonté L'envie et la rage ; Amadis a surmonté L'enfer irrité. Sortons d'esclavage. CHŒUR Sortons d'esclavage... PREMIER AIR SECOND AIR CHŒUR Sortons d'esclavage... ACTE IV Le théâtre change et représente une île agréable. Scène première ARCALAÜS, ARCABONNE RITOURNELLE ARCALAÜS Par mes enchantements Oriane est captive, Sa beauté causa nos malheurs : Dans ces lieux, sans pitié, j'entends sa voix plaintive, Et j'aime à voir couler ses pleurs. Notre ennemi l'aimait, il a tout fait pour elle ; Il combattait pour l'obtenir. ARCABONNE Je viens de la voir, qu'elle est belle ! Vous ne la sauriez trop punir. ARCALAÜS Ne permettons pas qu'elle ignore La perte d'un amant, dont son cœur est charmé, Il faut qu'après la mort Amadis souffre encore Dans ce qu'il a le plus aimé. Aux regards d'Oriane, exposez la victime Qu'à nos ressentiments vous venez d'immoler. Un soupir vous échappe ; et vous n'osez parler ! Est-ce par des soupirs que la haine s'exprime ? ARCABONNE Que vous êtes heureux de n'avoir à songer Qu'à haïr, et qu'à vous venger ! Hélas ! dans notre ennemi même J'ai trouvé l'inconnu que j'aime. ARCALAÜS Vous aimez Amadis ! il voit encore le jour ! Quoi ! sur votre vengeance un lâche amour l'emporte ? ARCABONNE La vengeance la plus forte Est faible contre l'amour. ARCALAÜS Quelle faiblesse est plus étrange ! Notre ennemi mortel devient votre vainqueur ? Malgré tant de serments, votre perfide cœur Du parti d'Amadis se range ! Parjure ! ah, c'est de vous qu'il faut que je me venge ! ARCABONNE Je l'aime, malgré moi, cet ennemi charmant ; Je n'en puis être aimée, une autre a su lui plaire : Je vous défie, avec votre colère, D'inventer pour mon châtiment Un plus cruel tourment. ARCALAÜS Pour augmenter votre supplice, Il faut vous faire voir ces deux amants heureux ; Avant que ma vengeance en fasse un sacrifice, Il faut que l'hymen les unisse... ARCABONNE Ah ! que plutôt cent fois ils périssent tous deux. Entre l'amour et la haine cruelle J'ai cru pouvoir me partager ; Mais dans mon cœur l'amour est étranger, Et la haine m'est naturelle. ARCABONNE voyant approcher Oriane. Ma rivale gémit : que ses maux me sont doux ! Pour punir ces amants, j'imagine une peine Digne de ma fureur, et de votre courroux ; C'est peu d'une mort inhumaine... ARCALAÜS Puis-je encore me fier à vous? ARCABONNE Fiez-vous à l'amour jaloux, Il est plus cruel que la haine. Scène seconde ORIANE RITOURNELLE ORIANE seule A qui pourrai-je avoir recours ? C'est de vous, juste Ciel ! que j'attends du secours, Sur ces bords inconnus, un enchanteur barbare, Dispose de mes tristes jours : L'enfer contre moi se déclare ; A qui pourrais-je avoir recours ? C'est de vous, juste Ciel ! que j'attends du secours. RITOURNELLE Autrefois Amadis aurait pris ma défense : Mais l'inconstant m'oublie, et suit une autre loi. Pourquoi m'en souvenir ? pourquoi N'oublier pas de lui jusqu'à son inconstance ? Ici, loin de toute assistance, Je tremble d'un mortel effroi ; Eh! Faut-il encore que je pense A qui ne pense plus à moi ? Scène troisième ARCALAÜS, ORIANE ARCALAÜS Je vous entends, cessez de feindre. Plaignez-vous d'Amadis ; je ne veux pas contraindre Un si juste courroux. ORIANE J'ai tant de sujet de m'en plaindre, Que j'ai presque oublié de me plaindre de vous. Non, ce n'est point ici son secours que j'implore ; Il est allé chercher la beauté qu'il adore, Et je l'appellerais par des cris superflus. ARCALAÜS Lorsque vous le verrez, vous l'aimerez encore. ORIANE Non, non, je ne le verrai plus. Je dois trop le haïr, pour renouer la chaîne Dont il a dégagé son cœur. ARCALAÜS Si vous le haïssez, j'ai servi votre haine ; A la fin j'ai vaincu ce superbe vainqueur. ORIANE Vous, vainqueur d'Amadis ! non, il n'est pas possible Qu'il ait cessé d'être invincible. Tout cède à sa valeur, et vous la connaissez... ARCALAÜS Eh ! c'est ainsi que vous le haïssez ? ORIANE Je veux haïr toujours un amant si volage, Et je me le suis bien promis Mais ses plus cruels ennemis Peuvent-ils s'empêcher d'admirer son courage. Non, rien ne peut être assez fort, Pour surmonter ce héros indomptable. ARCALAÜS Voyez si je me vante à tort, D'avoir vaincu ce vainqueur redoutable. Amadis, étendu sur ses armes sanglantes, paraît mort Scène quatrième ORIANE, AMADIS qui paraît mort ORIANE Que vois-je ! o spectacle effroyable ? O trop funeste sort ! Ciel ! o Ciel ! Amadis est mort ! Ma colère lui fut fatale ; J'eus tort de l'accuser de suivre une autre amour. Que ne puis-je, en mourant, le rappeler au jour, Dû-t-il vivre pour ma rivale ! Ciel ! qui nous donna ce héros, Que ne prenais-tu sa défense Contre l'infernale puissance ? L'univers a perdu l'auteur de son repos. Pleure, gémis, faible innocence, Pleure, hélas ! tu n'as plus d'appui, Tu vois expirer aujourd'hui Ton unique espérance. O trop funeste sort ! Ciel ! o Ciel ! Amadis est mort ! Il m'appelle ; je le vais suivre Le sort qui nous rejoint m'est doux. Amadis, je vivais pour vous, Vous mourez, je ne puis plus vivre. Oriane tombe évanouie. Scène cinquième ARCALAÜS, ARCABONNE, AMADIS qui paraît mort, ORIANE, évanouie. RITOURNELLE ARCABONNE ET ARCALAÜS Quel plaisir de voir Un si cruel désespoir ! ARCABONNE Joignez votre fureur à ma rage inhumaine. Il faut que ces amants revivent tour à tour Pour souffrir une affreuse peine ARCALAÜS Il faut faire de leur amour Le ministre de notre haine. ARCABONNE ET ARCALAÜS Quel plaisir de voir Un si cruel désespoir! ARCABONNE Il faut qu'Amadis sorte Du profond assoupissement Où le tient notre enchantement, Et qu'il pleure Oriane morte. Mais pour eux contre nous, quel pouvoir s'est armé ? ARCALAÜS Qui peut conduire ici ce rocher enflammé. Scène sixième Un rocher environné de flammes s'approche, les flammes se retirent, et laissent voir un vaisseau sous la figure d'un serpent, ce qui l'a fait appeler la grande serpente. Urgande & ses suivantes sortent de ce vaisseau. URGANDE, TROUPE DE SUIVANTES D'URGANDE, ARCALAÜS, ARCABONNE, AMADIS, qui paraît mort, ORIANE, évanouie. PRELUDE URGANDE Je soumets à mes lois l'enfer, la terre et l'onde. Sans qu'on sache où je suis, je parcours tout le monde, Et je connais des secrets que les cieux N'ont jusqu'ici dévoilé qu'à mes yeux. Mais j'arme seulement ma fatale puissance Contre l'injuste violence ; J'ai soin de relever le mérite abattu, Et je fais mon bonheur de servir la vertu. Tremblez, tremblez, reconnaissez Urgande ; Tout obéit, sitôt que je commande ; Barbares, laissez pour jamais Ces fidèles amants en paix. Urgande touche de sa baguette Arcalaüs et Arcabonne. PRELUDE ARCABONNE ET ARCALAÜS Tout mon effort est inutile, Je demeure immobile ; Je cède aux charmes trop puissants Qui saisissent mes sens. DEUX SUIVANTES D'URGANDE Tremblez, tremblez, reconnaissez Urgande ; Tout obéit, sitôt qu'elle commande Barbares, laissez pour jamais Ces fidèles amants en paix. Les suivantes d'Urgande jettent des fleurs et répandent des parfums sur Amadis, et Oriane pour commencer à dissiper l'enchantement dont ils sont saisis MENUET POUR LES SUIVANTES D'URGANDE DEUX SUIVANTES D'URGANDE Cœurs, accablés de rigueurs inhumaines, Ne cessez point d'espérer en aimant : Il vient un jour où les craintes sont vaines, Un triste sort change dans un moment. Il est fâcheux de porter des chaînes, C'est un cruel tourment ; Mais quand l'amour en veut payer les peines, C'est un plaisir charmant. Les suivantes d'Urgande commencent à dissiper par leurs danses l'enchantement dont Amadis et Oriane sont saisis, et les emportent dans le vaisseau. Urgande, avant que d'y renter, touche une seconde fois de sa baguette Arcalaüs et Arcabonne. MENUET POUR LES SUIVANTES D'URGANDE (reprise) URGANDE Il faut que de vos sens je vous rende l'usage, Perfides ! Je vous livre à votre propre rage. Urgande rentre dans le vaisseau de la grande serpente, qui commence à s'éloigner et à se couvrir de flammes PRELUDE ARCABONNE ET ARCALAÜS Démons, soumis à nos lois, Volez, venez nous défendre. N'osez-vous rien entreprendre ? Méprisez-vous notre voix ? Hâtez-vous, c'est trop attendre. Démons, soumis à nos lois, Volez, venez nous défendre. Les démons des enfers sortent pour secourir Arcalaüs, et Arcabonne. Les démons de l'air viennent combattre contre ceux des enfers et les surmontent. PRELUDE (reprise) ARCABONNE ET ARCALAÜS On brave notre vain pouvoir, Tout est contraire à notre envie : Nous perdons tout espoir, Renonçons à la vie ! ACTE V Le théâtre change et représente le palais enchanté d'Apollidon, où l'on voit l'arc des loyaux amants, et la chambre défendue dont la porte est fermée Scène 1 URGANDE, AMADIS PRELUDE URGANDE Apollidon, par un pouvoir magique Autrefois éleva ce palais magnifique, Consolez-vous en des lieux si charmants ; Vous y devez trouver la fin de vos tourments. AMADIS Je ne puis ressentir les charmes Du plus agréable séjour : Non, rien ne plaît à des yeux que l'Amour A condamner à d'éternelles larmes. URGANDE Oriane est ici, rappelez votre espoir. AMADIS Oriane... URGANDE Vous l'allez voir. AMADIS Je puis voir par vos soins la beauté que j'adore ! Voir Oriane ! ... hélas ! c'est l'irriter encore. Ah, que mon cœur se sent troublé ! Je tremble... URGANDE Amadis peut trembler ! AMADIS Je suis inébranlable Contre un ennemi redoutable, Dont il faut vaincre la fureur, Mais contre la colère De la beauté qui m'a su plaire, Rien n'est si faible que mon cœur. URGANDE Dissipez une crainte vaine ; Empressez-vous de voir Oriane en ces lieux. AMADIS Je crains de mériter sa haine Elle m'a défendu de paraître à ses yeux. URGANDE C'est porter trop loin la constance Que d'obéir sans résistance A de si dures lois, Et quelquefois L'Amour s'offense De trop d'obéissance. Scène seconde ORIANE, AMADIS ORIANE Fermez-vous pour jamais, mes yeux, mes tristes yeux. Je perds ce que j'aime le mieux, La clarté doit m'être ravie. Hélas ! quelle rigueur de me rendre la vie Pour me faire sentir la perte que je fais ! Mes yeux, mes tristes yeux, fermez-vous pour jamais. ORIANE ET AMADIS O ciel ! le puis-je croire ? ORIANE Amadis ! vous vivez ! AMADIS Vous plaignez mes malheurs ! Vos beaux yeux m'ont donné des pleurs ! ORIANE Vous vivez ? AMADIS Puis-je encore vivre en votre mémoire ? ORIANE ET AMADIS O Ciel ! le puis-je croire ! ORIANE Je vous aime constamment Malgré votre changement. Dans une amour nouvelle Vous pourrez trouver plus d'appas : Mais vous n'y trouverez pas Un cœur plus fidèle. AMADIS Oriane, m'accusez-vous ? ORIANE Briolanie a des charmes trop doux ; Je n'empêcherai pas que votre amour la suive... AMADIS Ah! ne reprenez plus votre fatal courroux Si vous souhaitez que je vive. ORIANE Vous aurez peu de peine à me désabuser, Amadis, contre vous à regret je m'irrite ; Le dépit que l'amour excite Ne demande qu'à s'apaiser. AMADIS Faut-il que votre cœur se soit laissé surprendre D'un soupçon qui nous coûte un si cruel tourment ? ORIANE C'est le défaut d'un cœur tendre De s'alarmer aisément. ORIANE ET AMADIS Ma douleur eut été mortelle : Hélas ! j'allais y succomber. Ah ! gardons-nous de retomber Dans une peine si cruelle. ORIANE Tout vous a dit Que je vous aime. Mes larmes, ma douleur extrême, Et jusqu'à mon dépit Tout vous a dit Que je vous aime. ORIANE ET AMADIS Je vous promets De n'éteindre jamais Une flamme si belle Je vous promets Une amour éternelle. Amadis et Oriane répètent ensemble ces derniers vers Scène troisième URGANDE, AMADIS, ORIANE URGANDE Enfin, vos cœurs sont réunis. AMADIS Par votre heureux secours nos troubles sont finis. URGANDE Il est aisé d'apaiser les querelles Dont les amants fidèles Ne sont troublés que trop souvent : L'Amour chassé par la colère Ne manque guère De revenir plus fort qu'auparavant. ORIANE Je dépends d'un devoir sévère, Mon père a fait un choix qui s'oppose à mes vœux. URGANDE J'aurai soin d'obtenir l'aveu de votre père. ORIANE ET AMADIS Que ne devons-nous pas à vos soins généreux ! URGANDE Un si parfait amour mérite d'être heureux. Il faut vous ôter tout ombrage, Les amants dans ces lieux, sous cet arc enchanté, Trouvent le juste témoignage De leur fidélité. ORIANE Il me suffit de l'assurance Qu'Amadis me donne en ce jour. URGANDE Peut-on trop rassurer l'amour Mais Florestan ici vient montrer sa confiance Scène quatrième Florestan, Corisande, Urgande, Amadis, Oriane SYMPHONIE URGANDE parlant à Florestan Il est temps de vous arrêter. FLORESTAN La valeur et l'Amour doivent tout surmonter ; Où suis-je ! d'où vient ce nuage ? Quel pouvoir arrête mes pas ? Mille et mille invisibles bras Défendent ce passage. URGANDE Soyez content de l'avantage Qu'aucun autre avant vous n'ait pu passer si loin CORISANDE (à Florestan) Je connais votre amour AMADIS (à Florestan) L'univers est témoin Des efforts de votre courage. CORISANDE, ORIANE ET AMADIS Epargnez-vous un inutile soin. URGANDE Amadis va tenter l'aventure fatale, Il doit l'achever aujourd'hui. En amour, en valeur, nul autre ne l'égale ; C'est un sort assez beau de ne céder qu'à lui. AMADIS Pour rendre tout possible à mon amour extrême, Il suffit d'un regard de la beauté que j'aime. URGANDE, ORIANE, FLORESTAN ET CORISANDE Héros favorisé des cieux, Soyez toujours victorieux. Amadis, votre amour fidèle Mérite une gloire immortelle. Un chœur de personnes invisibles répètent ces quatre vers, dans le temps qu'Amadis passe sous l'arc des loyaux amants. URGANDE parlant à Oriane Suivez ce héros glorieux Vers la chambre enchantée avancez sans alarme. AMADIS conduisant Oriane Venez-en surmonter les charmes, Quels charmes sont plus forts que ceux de vos beaux yeux ? Scène cinquième et dernière La chambre défendue s'ouvre, et une troupe de héros & d'héroïnes, qu'Apollidon y avait autrefois enchantés pour y attendre le plus fidèle des amants & la plus parfaite des amantes reçoit Amadis et Oriane, et les reconnaît dignes de cet honneur. AMADIS, ORIANE, URGANDE, FLORESTAN, CORISANDE, TROUPE DE HEROS ET D'HEROÏNES PRELUDE UNE HEROÏNE Fidèles cœurs, votre constance Ne sera pas sans récompense, Un sort heureux suit vos tourments. A la fin l'Amour couronne Les parfaits amants. Que les prix qu'il donne Sont doux et charmants ! A la fin l'Amour couronne Les parfaits amants. Le chœur répète ces derniers vers Les héros et les héroïnes témoignent leur joie pas les danses mêlées de chants. CHACONNE GRAND CHŒUR Chantons tous, en ce jour, La gloire de l'Amour. Gardez-vous bien de briser vos chaînes, Vous, qui souffrez de cruelles peines, Ne cessez point d'être constants, Et vous serez contents. PETIT CHŒUR Nous devons suivre Des lois qui doivent nous charmer ; Ce n'est pas vivre Que vivre, sans savoir aimer. FLORESTAN, parlant à Corisande Tout suit nos voeux, Rien ne trouble notre vie, Des plus beaux nœuds Pour jamais l'Amour nous lie ; Je puis vivre pour vous, Que mon bonheur est doux ! CORISANDE parlant à Florestan Il n'est plus temps de répandre des larmes, Nous aimerons désormais sans alarmes ; Que de plaisirs ! que de beaux jours Vont s'offrir à nos amours ! GRAND CHŒUR Tout charme ici nos yeux, Où peut-on être mieux ? PETIT CHŒUR Où peut-on être mieux Que dans ces beaux lieux ? GRAND CHŒUR Les plus charmants plaisirs Suivront tous nos désirs. PETIT CHŒUR Les parfaites douceurs Sont pour les tendres cœurs. UN HEROS Jouissons à jamais De la douce paix Qui nous appelle. Jouissons à jamais De la douce paix D'une amour fidèle. GRAND CHŒUR C'est assez d'entreprendre De faire un beau choix ; Il suffit qu'un cœur tendre S'engage une fois. CORISANDE Quel tourment quand l'amour est extrême, De trembler pour l'objet que l'on aime ! Quel plaisir de se voir hors d'un mortel danger ! Quand les maux sont finis, qu'il est doux d'y songer ! GRAND CHŒUR A la fin nous aimons, sans rien craindre. Ce n'est plus la saison de nous plaindre. On fuirait les amours, S'ils gémissaient toujours. CORISANDE, UN HEROS ET FLORESTAN Un tendre amour ne plaît pas moins Lorsqu'il tourmente ; Plus un plaisir coûte de soins, Plus il enchante. Que le bonheur est charmant Après un long tourment ! GRAND CHŒUR Mille jeux innocents Vont enchanter nos sens. CORISANDE, UN HEROS ET FLORESTAN Mille jeux innocents Vont enchanter nos sens. UN HEROS Amants inconstants, n'espérez pas De jouir d'un sort si plein d'appas. GRAND CHŒUR Loin de nous, infidèles, Fuyez loin de nous, Ces demeures si belles Ne sont pas pour vous. CORISANDE Au milieu d'un tourment sans égal, L'Amour sait plaire ; Il lui faut pardonner tout le mal Qu'il nous veut faire. Je n'ai point de regret aux pleurs que j'ai versés, Le bonheur qui les suit les récompense assez. GRAND CHŒUR Chantons tous, en ce jour, La gloire de l'Amour. Gardez-vous bien de briser vos chaînes, Vous, qui souffrez de cruelles peines, Ne cessez point d'être constants, Et vous serez contents. |