Photos : Marphurius
Portraits de plusieurs musiciens et artistes
du siècle de Louis XIV

François Puget



Une lettre du 10 janvier 1753 adressée par Pierre-Paul Puget, petit-fils du célèbre sculpteur Pierre Puget, au Révérend-Père Bougerel et publiée dans les archives de l'Art Français nous apprend dans quel concours de circonstances ce tableau fut promit :
"A l'égard du tableau dont vous avez parlé à M. Dalmore que M. Lépicié a découvert à Chaville, il est de feu mon père (François Puget, fils de Pierre) qui avait été à Versailles, pour conduire le Milon de mon père à Sa Majesté. Le Roi lui dit à cette occasion : "il m'est revenu que vous saviez peindre" ; ce qui détermina mon père à faire ce tableau de musique. Il le présenta à Sa Majesté qui lui témoigna en être très satisfaite. M. Le brun fit l'éloge de mon père à qui le Roi accorda une gratification".
François Puget n'a vraisemblablement fait que trois voyages à Versailles dans sa vie : quelques jours en 1682 pour accompagner le Milon, quelques jours aussi en 1685 pour escorter l'Andromède et plusieurs mois en 1688.
La date du tableau reste incertaine : 1682 pour Pierre-Paul Puget, 1684 pour Villot, 1687 pour Lucienne Colliard et 1688 pour Brière. La question présente un intérêt dans la mesure où Lully est décédé en 1687. Duplessis, Emeric David, Villot, Lagrange et d'autres encore voient les visages de Lully et Quinault sur cette toile.
Selon Lucienne Colliard, Lully et Quinault sont absents de la composition car il aurait été "peu habile" de la part de François Puget de représenter un musicien semi-disgrâcié et un librettiste à l'article de la mort. De plus, elle prétend que si les Puget avaient rencontré Lully, leur chronique familiale en aurait fait état, tant le personnage était illustre. Lucienne Colliard suggère que les artistes présents sont François Puget, lui-même et ses amis : Pierre Gaultier le jeune, directeur de l'opéra de Marseille, Joseph Campra (le frère d'André), chef d'orchestre à Marseille. Elle y voit aussi Louis XIV dans l'un des personnages assis.
Tessier et Lemoine reconnurent Lorenzani et son entourage italien, mais la carrière du maître de musique de la Reine déclina à partir de 1683.
Jacques Bailly affirme que "Lully se remarque, par le soin qu'il prend de leur montrer le papier de musique". Le personnage ressemble en effet à Lully, mais il paraît bien jeune pour un homme environnant la cinquantaine. Ce n'est certainement pas le joueur de luth comme l'avancent encore aujourd'hui certains auteurs, puisque ce dernier a les yeux bleus. On y reconnaît parfois De Lalande.

La question des partitions

On peut lire sur les partitions les vers suivants :

Celebrate col canto
Di Luigi immotale
La gloria e vanto.


L'iconographie musicale comporte parfois un cahier de musique placé près des instruments. Le manuscrit sert de dédicace. En l'espèce, Puget a peint une cantate célébrant le nom de Louis XIV.

La théorie de Marphurius.

On s'accorde à dater cette toile de 1688. La réalisation d'une telle œuvre, avec de nombreux personnages, peut demander plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La présence des modèles n'étant bien sûr pas indispensable tout au long de l'exécution.
Que voit-on?: une répétition de chanteurs et d'instrumentistes, deux d'entre eux, centraux, discutent; le débat semble animé. Les autres écoutent et observent.
Ils portent tous une robe de chambre, ce qui laisse supposer qu'ils sont chez l'un d'entre eux, réunis pour une durée prolongée. Ce que nous appèlerions de nos jours un séminaire.
Tous participent de manière plus ou moins active à la scène, à l'exception de deux personnages. L'un à l'extrême gauche, regarde le peintre et semble surtout préoccupé par la question de savoir s'il présente le bon profil, (absent de la reproduction). Il tient une partition à la main. Nous l'oublierons. L'autre, quasiment au centre, (nous y reviendrons), est un quinquagénaire rondouillard qui porte une perruque d'été. Bien qu'il regarde en direction du peintre lui aussi, il est absent, ailleurs, je dirais même au-delà, un peu en surimpression, à la manière d'un portrait qui serait accroché au fond de la salle.


Intéressons nous maintenant à la construction du tableau. Il s'agit d'un rectangle d'or, format idéal pour ce genre de scène. Le carré est marqué par le petit homme dont nous venons de parler. L'emplacement du carré en peinture, c'est le centre virtuel, la place d'honneur.
Les lignes de fuite sont très marquées, nous constatons que leurs intersections dessinent deux losanges dont l'un encadre le buste du petit homme et l'autre lui adjoint les deux personnages qui le flanquent à droite et à gauche.
Deux triangles se distinguent nettement. Le premier pointé vers le haut, part de la tête de notre homme et descend vers la partition ouverte sur la table, le second est inversé, prend pour point de départ cette même partition et s'ouvre vers notre personnage. Il s'agit là d'une symbolique inspirée de l'étoile de David et fréquemment utilisée dans l'art religieux. Elle nous indique que le petit homme est le Créateur de la Musique, au sens large, qu'il lui apporte sa protection et que d'autre part, la Musique lui rend hommage, qu'elle le révère en quelque sorte comme un Père. Un lien étroit les unit.
Il est évident que l'homme est le personnage principal de la scène et que le peintre se sert de la technique picturale pour nous l'enseigner.
Si nous observons les traits de son visage en détail, nous constatons qu'il arbore une petite moustache noire, plutôt rectiligne, identique à celle que porte Lully sur tous ses portraits. La forme de cette pilosité si caractéristique n'est pas du tout celle qui était à la mode au XVIIème siècle. (D'autant qu'en 1688 la moustache ne se portait plus).
La forme des sourcils, des yeux, la bouche charnue et sensuelle, le menton rond présentent de grandes similitudes avec les représentations authentifiées du Surintendant, le nez renflé au bout est identique à celui que lui attribue Collignon. L'aspect général correspond bien à ce que décrit Le Cerf de la Viéville.
Le personnage au bonnet rouge qui lève l'index a souvent été identifié à Lully, en dernier lieu par Philippe Beaussant. Il est vrai qu'il ressemble de manière assez frappante au portrait qu'en a fait Mignard, mais il est beaucoup trop jeune. En 1688, Lully aurait eu 56 ans ; or celui-ci avoisine la trentaine.
Soucieux d'examiner les choses de plus près, j'ai obtenu l'autorisation tout à fait exceptionnelle de descendre dans les réserves du Musée du Louvre pour observer et photographier ce tableau à loisir. Après quelques centaines de mètres de couloirs de béton, de sas, de moyens de sécurité, je l'ai aperçu qui m'attendait. On l'avait sorti pour moi. J'avais rendez-vous avec le Monsieur le Surintendant de la Musique du Roy ! …
J'observais les personnages un à un et stupeur : je constatais que l'homme qui pointe l'index vers la partition porte lui aussi une moustache, la même ! la fameuse petite moustache de Lully ! Ceci m'avait toujours échappé. Alors je me suis demandé s'il ne s'agissait pas d'une marque de famille, comme certaines où on se transmet la même bague de générations en générations. (ce qui est mon cas !). Et ces sourcils… ces yeux… cette bouche charnue… ce menton rond… comme celui qui lui fait face d'ailleurs ! Etrange…
             
Mais alors, sur cette toile nous n'aurions pas seulement l'ultime portrait de Baptiste, mais aussi ceux de Louis et Jean-Louis, travaillant sous la protection posthume de papa ? Voilà qui expliquerait cette apparente absence du personnage principal ; il est mort ! Et Puget les réunit tous trois dans un même losange pour marquer cette parenté.
Rappelons qu'en 1688. Lully vient de mourir. L'Académie royale de musique et de danse est dirigée par deux de ses fils. Ils donnent cette année là une œuvre commune : Zéphyre et Flore. Ne sommes nous pas en train d'assister à une répétition de cet opéra, une ultime mise au point ?
Les autres personnages ont largement donné place à des divagations auxquelles je m'abstiendrai d'ajouter les miennes.
Voilà ce que je crois. Vous aurai-je convaincus ?
Marphurius

* "Un petit homme d'assez mauvaise mine, et d'un extérieur fort négligé, de petits yeux bordés de rouge qu'on voyoit à peine, et qui avoient peine à voir, brilloient en lui d'un feu sombre, qui marquoit tout ensemble beaucoup d'esprit, et beaucoup de malignité ; un caractère de plaisanterie étoit répandu sur son visage, et certain air d'inquiétude régnoit dans toute sa personne." (Sénecé)
"Sachez, Madame, qu'il étoit plus gros et plus petit que ses Estampes ne le représentent, assez ressemblant du reste, c'est-à-dire pas beau garçon. La physionomie vive et singulière, mais point noble : noir, les yeux petits, le nez gros, la bouche grande etr élevée, et la vûe si courte, qu'il ne voyoit presque pas qu'une femme étoit belle". (Le Cerf de la Viéville)


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