LE RAYONNEMENT DE LA MUSIQUE DE LULLY


"Plusieurs de nos symphonies, et surtout nos airs de danse, ont trouvé plus d'applaudissements chez les autres nations. On les exécute dans beaucoup d'opéras italiens ; il n'y en a presque jamais d'autres chez un roi qui entretient un des meilleurs opéras d'Europe, et qui, parmi ses autres talents singuliers a cultivé avec un très grand soin celui de la musique."
Voltaire


ANGLETERRE




Portrait de John Baptist Lully - XVIIIème siècle.
Témoignage de la popularité du compositeur en Angleterre.


Une rumeur prétend que les anglais auraient choisi une mélodie de Lully pour en faire leur hymne national. L'air aurait été composé par Baptiste à l'occasion de la visite de Louis XIV à l'école St-Cyr sur les paroles de Madame de Brinon:
	Grand Dieu, sauvez le roi!
	Grand Dieu, vengez le roi!
	Vive le Roi!
	Qu'à jamais glorieux,
	Louis Victorieux
	Voye ses ennemis
	Toujours soumis.  
La déclaration de trois dames de Saint-Cyr, signée en présence du maire de St-Cyr en 1819, atteste que l'hymne anglais n'est autre qu'une ancienne hymne d'église conservée dans la tradition de la communauté de Saint-Cyr, depuis Louis XIV. Ce document fut publié récemment. La légende, peu vraisemblable, veut que ce soit Haendel qui ait, en 1731, recueilli l'air du florentin pour l'importer ensuite en Grande-Bretagne.


Charles II d'Angleterre
L'influence de Lully sur la musique anglaise dépasse cette anecdote. Charles II, attiré par tout ce qui faisait le délice de Louis XIV, forma un orchestre à l'image de la bande des vingt-quatre violons. Il appela deux français exilés pour fonder une Académie Royale de Musique outre-manche : Louis Grabu et Cambert. L'engouement pour les opéras de Lully traversa la Manche.
En 1676, trois des interprètes d'Atys et quelques instrumentistes français furent accueillis à Londres pour donner plusieurs concerts. Le français CAMBERT, engagé par le roi d'Angleterre après son exil en 1672, était au clavecin. Le roi Charles II assista à l'un d'eux le 8 juillet et demanda à ce que l'on rejoue le "Sommeil" d'Atys à quatre reprises.
L'atmosphère de la musique anglaise fut dès lors partagée entre l'opéra français et la polyphonie traditionnelle.

HENRY PURCELL

A son retour de Paris, Pelham HUMPHREY transmit tout son savoir à Henry PURCELL. Ce dernier dramatisa les amples ouvertures à la française, sur le schéma désormais classique "lent, vif, lent" et au style pointé. L'insertion de danses sur le modèle français (passacailles, chaconnes), l'utilisation de la basse continue ("Thy hand Belinda-When I am laid in earth" dans Didon et Enée) sont caractéristiques du style lullyste. Il est attesté que Purcell fut en possession de la partition de Cadmus & Hermione peu avant l'écriture de Didon & Enée.

Purcell
"Purcell en connaissait bien la partition (Cadmus et Hermione), dont il s'appropria quelques fragments qu'il intercala dans La Tempête, ce genre de plagiat se pratiquant sans scrupule à l'époque. L'influence de Lulli est nettement reconnaissable dans les Welcome songs, dans les masques et opéras de différents auteurs où certaines danses, ouvertures ou entrées, ont l'allure majestueuse propre à tant de pages du Florentin. On a longuement épilogué sur l'emprunt à Cadmus et Hermione, de Lulli, introduit par Purcell dans une danse de sa partition. Ce genre d'insertion n'était pas rare à l'époque mais n'appartenait pas aux habitudes d'un compositeur doué d'une plume aussi féconde. Il est fort possible que l'ayant noté lors de la représentation de l'oeuvre de Lulli à Londres en 1686, Purcell ait oublié qu'il n'était pas l'auteur de cette mélodie qu'il a traitée, d'ailleurs, d'une manière entièrement différente du compositeur florentin."
"Purcell" de Suzanne Demarquez (1951)

L'opéra King Arthur se révèle être un véritable hommage à l'oeuvre lullyste. On y retrouve l'ouverture à la française, une passacaille très développée ainsi que, dans le célèbre "Air du Génie du Froid", le procédé des "Trembleurs" utilisé par Lully dans Isis. Ce timbre veut décrire des hommes tremblant de froid.


Haendel
HAENDEL

Haendel, sensible à l'art du florentin, fit traduire et adapter le livret de Thésée. Teseo fut créé à Londres en 1713. Musicalement, on y trouve quelques références à Lully. L'arioso "Dolce riposo ed innocente pace" est, par exemple, très proche du monologue de Médée "Doux repos, innocente paix". Haendel a toujours voulu insérer dans ses opéras des ouvertures à la française (Messiah), des symphonies et parfois des ballets, en hommage au florentin (Amadis, Ariodante, Orlando, Alcina, Rodelinda, Tamerlano, Xerxe, Admeto, Giustino). Haendel faisait souvent appel à l'école allemande, elle-même fortement imprégnée par la musique française (Telemann). La Water Music apparaît comme la continuité du Carroussel de Monseigneur.

ALLEMAGNE


Lully forma plusieurs élèves allemands : Muffat, Kusser et Fischer. Ceux-ci diffusèrent le style français à travers leur pays. Ainsi, Lully eut beaucoup de disciples spirituels en Allemagne : Keiser, Telemann, Erlebach, Hebenstreit, Schürman, Mayr, Sshmiera, Mattheson, Scheiffelnut, Fasch, Graun, Forster, Niedt (le maître de Jean-Sébastien Bach).
"L'opéra de Hambourg eut comme directeur un ancien élève de Lully, Kusser, de 1693 à 1697 ; il forma son successeur, R. Keiser, auteur apprécié de cent seize opéras qui se ressentent de cette influence ; puis Mattheson, puis Telemann, qui fit jouer en 1724 un arrangement du Bourgeois Gentilhomme de Lully, où maints passages sont de son cru, mais où subsistent la sérénade, la pastorale, la chanson à boire et la leçon de danse."
Gaudefroy-Demomgynes (Jugements allemands sur la musique française)

Les représentations des oeuvres de Lully furent nombreuses :
Acis & Galatée en 1689, 1695 et 1698, Le Triomphe de l'Amour, Psyché en 1762 à Stuttgard,
Alceste en 1681, Achille & Polyxène en 1692 à Hambourg,
Proserpine en 1685, Psyché en 1686, Thésée en 1687 à Wölfenbuttel,
Thésée, Isis, Atys et Alceste à Karlsruhe.

De nombreux compositeurs remanièrent la musique de Lully pour faire leur propre opéra fidèle au style et à la manière de Lully. Ainsi, un certain Anton Rudolph fit deux ballets Psyché et Armide et un opéra L'aveugle de Palmyre ; Bononcini Les Amours de Polyphèmes (1703) librement inspiré d'Acis & Galatée, Phaëton (1750), Armide (1751) et Orphée (1752).

L'art du compositeur français est tout d'abord admiré pour sa qualité d'exécution :
"La manière de jouer les airs de Ballets sur les violons selon le génie de feu Monsieur Baptiste de Lully, prise ici en sa pureté, et si recommandable par l'approbation des meilleurs Musiciens d'Europe, est d'une recherche si exquise qu'on ne saurait trouver rien de plus exact, de plus beau, ni de plus agréable.
"On n'entend jamais rien de désagréable ni de rude ; mais au contraire on trouve une merveilleuse conjonction d'une grande vitesse à la longueur des traits (c'est-à-dire des coups d'archet) ; d'une admirable égalité de mesure à la diversité des mouvements ; et d'une tendre douceur, à la vivacité du Jeu."
Second Florilège - Muffat (1698)

Les ouvertures à la française eurent un succès incomparable, comme leur propagateur. Telemann en composa pas moins de deux cent! Graun en fit plus modestement dix-huit. Niedt publia en 1708 six Suites à la Française.


Telemann
Telemann qui, en plus d'avoir étudié les oeuvres de Baptiste et de les avoir dirigées, composa des opéras portant la trace du compositeur français avec un langage très galant. Il ecrivait : "les airs français ont remplacé chez nous la vogue qu'avaient les cantates italiennes. J'ai connu des allemands, des anglais, des russes, des polonais, et même des juifs, qui savaient par coeur des passages entiers de Bellérophon et d'Atys de Lully."
Mattheson fit l'éloge de l'ouverture à la française :
"L'ouverture française à la Lully est bien supérieure à toutes les symphonies et à tous les concertos qui viennent d'Italie"
mais aussi des trios de Lully et témoigna de leur grande influence sur la sonate en trio :
"S'ils sont rares dans l'oeuvre du compositeur, ces trios n'en sont pas moins remarquables."

Mattheson

J.S. Bach
Bach fut imprégné du style de Lully par l'intermédiaire de son maître Niedt. Il recopia de sa propre main des ouvertures à la française composées par le florentin et ouvrit certaines de ses cantates sur le schéma "lent-vif-lent". Les concertos brandebourgeois 1 et 6 et les quatre suites pour Orchestre sont emprunts du goût à la française, forgé par Lully. Il utilisa, par exemple, dans l'aria "Ich will bei meinem Jesu Wachen" de sa Passion selon saint Matthieu, la technique bien connue des "Sommeils", que Lully employa dans Atys, Persée ou Armide.
L'allemand Glück, admirateur des oeuvres de Quinault et Lully, subordonna à leur exemple, son langage musical au déroulement de la tragédie. Il mit en musique le livret de Quinault : Armide. Les deux partitions comportent des similitudes, en particulier dans le monologue "Enfin il est en ma puissance".

Glück
Ce rayonnement en Allemagne s'étend dans des proportions étonnantes tout au long du XVIIIème siècle. L'allemand Riedel disait encore en 1775 : "Lully était trop grand ; il a étouffé tous ses successeurs, excepté Glück."

RICHARD STRAUSS

La suite d'orchestre du "Bourgeois Gentilhomme" est issue de la première version de l'opéra "Ariane à Naxos". Elle est référencée sous le même numéro d'opus : opus 60. "Ariane à Naxos" concluait la pièce de Molière, remplaçant ainsi la Cérémonie Turque de Lully.
En 1912, Strauss et Hofmannsthal écrivirent une version débarrassée du texte de Molière, dotée d'un prologue. "Ariane à Naxos" devint un opéra à part entière et fut représenté comme tel à partir de 1916.
De son côté, Hofmannsthal reprit la musique du "Bourgeois Gentilhomme" de Strauss accompagnée de la Cérémonie Turque de Lully. Enfin, Strauss se replongeat dans le vieux manuscrit de Lully pour composer une Suite d'orchestre qui sera finalement créée à Vienne le 31 janvier 1920.

Richard Strauss écrivant à HofmannSthal en 1917 : "J'ai le vieux Lully à côté de moi, mais il n'est guère de choses de lui que je puisse utiliser, à part une odeur de moisi qui pourrait servir de stimulant."

Le vieux manuscrit l'aura finalement inspiré, puisque l'oeuvre est constituée, au final, de ses morceaux composés entre 1911 et 1917, mais aussi de trois adaptations très fidèles de Lully (parties V, VI et VII).

La Suite d'orchestre de Strauss comporte neuf pièces :
	I- Ouverture de l'acte I (entrée pompeuse de Monsieur Jourdain accompagnée de bois et cuivres)
	II- Menuet (épisode du maître à danser)
	III- Le maître d'armes
	IV- Entrée et danse des tailleurs
	V- Menuet de Lully
	VI- Courante
	VII- Entrée de Cléonte
	VIII- Prélude à l'acte II
	IX- Le dîner


AUTRICHE

George Muffat, élève et collaborateur de Lully introduisit les oeuvres de Lully en Autriche. On représenta Acis & Galatée et Psyché en 1752, Proserpine en 1755 à Vienne. Les Fêtes de l'Amour et de Bacchus furent jouées en 1710 à Düsseldorf et à Mannheim.


LES PROVINCES UNIES (Pays-Bas, Belgique)


Malgré les tensions entre la France et les Pays-Bas, Guillaume d'Orange s'adressa au compositeur de Louis XIV pour composer une marche militaire devenue célèbre. Les contemporains s'étonnent d'ailleurs d'entendre sur les champs de bataille des marches de Lully dans les rangs français mais aussi dans les rangs adversaires!
Aux Provinces Unies ses opéras étaient régulièrement représentés, de La Haye à Bruxelles. Ce pays joua un grand rôle dans la diffusion des recueils comprenant les airs des opéras de Lully à travers l'Europe. On joua Cadmus & Hermione et Amadis en 1687, Properpine et Persée en 1688 dans la ville d'Amsterdam. A La Haye, ce fut Thésée en 1682, Atys en 1687, Thésée et Armide en 1701, Phaëton en 1710. Proserpine fut donné en 1682 à Anvers, du vivant de son auteur.
Le théâtre classique et l’opéra ont été introduits à Bruxelles grâce aux arts français et italien. On joua Thésée et Persée à Bruxelles en 1682, Phaëton en 1696, Psyché en 1696 et Armide et Acis & Galatée en 1695. En 1700, on choisit Atys pour inaugurer le Grand Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Par la suite, les oeuvres de Lully constituèrent la majorité de la programmation de ce théâtre : Le Bourgeois Gentilhomme, Thésée(1713), Persée (1706), Psyché (1708), Alceste (1705 et 1725), Amadis (1709) et Roland (1721)... Tout au long du XVIIIème siècle, les compositeurs français continuèrent d'être mis à l'honneur : Charpentier, Lalande, Campra, Mouret...

ESPAGNE


Armide fut jouée pour les noces de Carlos II et de Maria Anna von Neuburg à San Diego, près de Valladolid en 1690. On aurait rejoué cet opéra à Madrid en 1693. L'élève de Lully, Desmarest, devint compositeur de la Cour d'Espagne.


ITALIE




Corelli
Malgré la querelle dite "des Bouffons", qui opposait la musique française à la musique italienne, l'Italie s'intéressa de près à l'opéra lullyste. Rousseau affirme avoir assisté à plusieurs opéras précédés d'une ouverture de Lully lors de ses séjours en Italie. Psyché fut représenté à Modène en 1687 et Armide le fut aussi à Rome en 1690.

Lecerf de la Viéville raconte que ses opéras "ont attiré à Paris plusieurs admirateurs qu'il s'était faits au fond de l'Italie, desquels même quelques-uns sont demeurés parmi nous. Je suis trompé si ce Teobaldo di Gatti, qui joue à l'Orchestre de Paris de la basse de violon à cinq cordes, n'en est pas un".

Les italiens Steffani et Focco, compositeurs de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle écrivirent des ouvrages lyriques dans le style de Lully.

Les danses et les ouvertures de Lully ont contribué à développer en Italie la musique instrumentale de Corelli et Gatti. Corelli avait accroché dans son bureau la partition du monologue d'Armide encadré d'or.

"L'influence lullyste est très sensible dans les concerti (de Corelli), comme d'ailleurs dans les trios, non seulement dans la forme mélodique des préludes, gavottes et menuets, mais dans le rythme de maint allegro et de maint finale."
Henry Prunières

Steffani

Vivaldi
ANTONIO VIVALDI

Peu après, Vivaldi utilisait, à l'instar de Purcell, le procédé "des Trembleurs" d'Isis, dans son "Hiver" des Quatres Saisons. Enfin, dans «l'Hiver», les notes répétées de l'orchestre alternent avec les traits du violon solo suggérant le vent par des arpèges très rapides. Ainsi, dans cet ensemble de quatre concertos, Vivaldi explore et met remarquablement en valeur les possibilités techniques et expressives des instruments à cordes.


SUEDE (par Marphurius)



Sous l'influence de la reine Christine, puis de la reine Ulrique-Eléonore la culture française se répand en Suède dès la première moitié du 17ème siècle. Vers 1680, on y joue les comédies ballets de Molière. Le répertoire de l'Orchestre Royal se nourrit des oeuvres de Lully ; on y trouve : Cadmus & Hermione, Alceste, Thésée, Bellérophon, La Grotte de Versailles, Le Triomphe de l'Amour, l'Idylle sur la Paix... Un des élèves de Lully, Pierre Verdier ( ? - 1697) et son fils Pierre ( ? - 1707), composeront pour la Cour.
L'influence lullyste y est durable, en témoigne le fonds Düben, dynastie de compositeurs d'origine allemande qui collationnèrent les pages de leurs contemporains et où Lully, Collasse et Campra sont étonnamment présents.
En avril 1701, pour célébrer la victoire de Charles XII sur les Russes, Anders von Düben fait représenter au palais royal de Stockholm le Ballet de Narva, sur un livret écrit en Français (c'est la langue de la cour) et qui est un compromis entre ce qu'on pouvait voir à la fois au Louvre où à Saint Germain quelques années auparavant et les prologues d'opéras. Le Carnaval, Esculape, La Gloire, Bellone et Mars y célèbrent les mérites du roi qui revient triomphant de la guerre et ramène les Plaisirs et les Jeux. (Thème O combien de fois entendu dans les prologues lullystes). L'influence française ira grandissante jusqu'à la fin tragique de Gustave III, qui inspirera deux opéras : Gustave III, roi de Suède d'Auber et Un bal masqué de Verdi. Mais ceci est une autre histoire.


RESTE DU MONDE



Les pères jésuites emportaient dans leurs bagages les partitions du plus grand musicien français, au cours de leurs expéditions au Siam et en Chine.
De même, on a retrouvé à la Nouvelle-Orléans un manuscrit du XVIIIème siècle contenant des oeuvres de Lully, Desmarest, Lambert, Campra, Marais. Leurs oeuvres profanes furent converties en cantiques pour les besoins de la liturgie des religieuses Ursulines.

Etude d'une éclipse du soleil par les jésuites au Siam, en 1688.

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