Maurice Andrieux décrit l'atmosphère qui régnait dans les salles d'opéra romaines au XVIIIème siècle :

"Ce qui domine, c'est le bruit. On conçoit qu'en attendant le lever du rideau un certain brouhaha de conversations soit inévitable, mais ici c'est bien autre chose. (...) Ceux qui ne crient pas, pique-niquent sur leur banc. On s'y permet tout : les habitants du parterre ne refusent ni à boire ni à manger, ni aux opérations qui s'ensuivent.
On pourrait espérer que cette bacchanale va cesser avec le début du spectacle. Illusion! (...) Toute la représentation va se dérouler dans le tumulte. (...) On attendait l'aria le grand air, qui terminait rituellement chaque scène. Mais d'interminables et fastidieux récitatifs séparaient les morceaux à effets. Or, ces récitatifs, personne ne songeait à les écouter, hormis le peloton mes maniaques qui suivaient la partition en s'éclairant (...) d'une chandelle que leurs voisins s'ingéniaient à souffler. Tout le restant du public (...) se livrait, dans la complète abscurité de la salle, au plaisir d'une conversation vive et animée. (...) Les amoureux échangeaient leurs serments, les galants courtisaient les belles, on traitait des affaires, on se racontait des histoires. (...)
Enfin venait l'aria. On l'écoutait religieusement dans le silence subitement retrouvé. Le malheur était qu'on n'attendait pas la fin du morceau pour applaudir des pieds autant que des mains, pour s'exclamer d'admiration, pour hurler des vers à la louange du chanteur. (...) Il arrivait que l'admiration ne fût point unanime et que les spectateurs s'opposent bruyamment en partis adverses ; bravos et huées se mêlaient alors en un tintamarre assourdissant. Parfois, pour prévenir les manifestations contraires, les admirateurs d'un artiste l'applaudissaient pendant qu'il chantait, de telle manière que personne n'entendait un mot de son aria. (...) Il arrivait que les acteurs dussent quitter la scène sous l'avalanche de projectiles divers. A l'inverse, les spectateurs se trouvaient parfois en péril d'être molestés par les acteurs : à la représentation du Théâtre Capranica, dit une chronique romaine, les acteurs avaient préparé sur scène un monceau de tuiles et de pavés, pour les jeter sur la compagnie, indifféremment, comme ils avaient déjà fait l'année précédente. (...)
Dans le bruit qui montait continûment du parterre, les occupants des loges ne pouvaient guère suivre la pièce. Cela était de peu d'importance, parce quelle qu'elle fût. (...) Les loges des grandes dames, toujours louées à l'année, étaient une annexe de leur salon. (...) Les hommes venaient pour courtiser les dames, les dames pour faire admirer leurs toilettes et leurs bijoux. (...) On soupait entre amis, on dégustait des sorbets. les couloirs étaient encombrés du va-et-vient des laquais approvisionnant la table des maîtres."