ROLAND Tragédie en musique, représentée devant S. M., à Versailles, le huitième janvier 1685 / [paroles de Quinault, musique de Lulli] PROLOGUE Le theatre represente le palais de Demogorgon. Demogorgon est sur son thrône, accompagné d' une troupe de genies, et d' une troupe de fées. Demogorgon. Le ciel qui m' a fait vostre roy, dans vostre destin m' interesse. Je vous assemble icy pour calmer vostre effroy ; il est temps que les jeux chassent vostre tristesse. La paix fuyoit au bruit des terribles combats, mais la voix du vainqueur la rapelle icy bas. La guerre impitoyable, et ses fureurs affreuses, ne ravageront point vos retraites heureuses. Tout cede au plus grand des heros, en vain l' envie et la rage s' assemblent, il ne punit ses ennemis qui tremblent, qu' en les condamnant au repos. Demogorgon, La Principale Fée, Et Les Choeurs Des Genies Et Des Fées on n' entend plus le bruit des armes. Doux plaisirs, reprenez vos charmes. Jeux innocents, venez vous rassembler. Rien ne vous peut troubler. Les fées témoignent leur joye en dansant et en chantant. Le Choeur Des Fées que la guerre est effroyable ! Quel bien est plus doux que la paix ? Peut-on trop cherir ses attraits ? Que son regne est aimable ! Qu' il dure à jamais. Nous n' aurons que de beaux jours. Que de jeux vont paraistre ! Que nous verrons naistre de tendres amours ! Tout rit, tout enchante. Chantons la paix charmante, chantons le sort heureux qui va combler nos voeux. Chantons tous la paix charmante chantons le sort heureux qui va combler nos voeux. La Principale Fée au milieu d' une paix profonde, offrons des jeux nouveaux au heros glorieux qui prend soin du bonheur du monde. Allons nous transformer pour paroistre à ses yeux. Demogorgon du celebre Roland renouvellons l' histoire. La France luy donna le jour. Montrons les erreurs où l' amour peut engager un coeur qui neglige la gloire. Demogorgon Et La Principale Fée allons faire entendre nos voix sur les bords heureux de la Seine, allons faire entendre nos voix au vainqueur dont tout suit les loix. Demogorgon il avoit mis aux fers la discorde inhumaine ; en vain elle a rompu sa chaîne, il l' enchaîne encore une fois. Demogorgon La Principale Fée Et Les Choeurs allons faire entendre nos voix sur les bords heureux de la Seine, allons faire entendre nos voix au vainqueur dont tout suit les loix. Les genies et les fées font un essay des danses et des chansons qu' ils veulent preparer. Une fée chante, et les choeurs des genies et des fées luy respondent. C' est l' amour qui nous menace ; que de coeurs sont en danger ! Quelques maux que l' amour fasse, on ne peut s' en dégager. Il revient quand on le chasse, il se plaist à se vanger. C' est l' amour qui nous menace ; que de coeurs sont en danger ! Demogorgon, la principale fée, et les choeurs des genies et des fées, chantent ensemble. Le vainqueur a contraint la guerre d' esteindre son flambeau. Il rend le repos à la terre, quel triomphe est plus beau ! ACTE 1 SCENE 1 Le theatre represente un hameau. Angelique ah ! Que mon coeur est agitté ! L' amour y combat la fierté, je ne sçay qui des deux l' emporte ; quelquefois la fierté demeure la plus forte, quelquefois l' amour est vainqueur ; de moment en moment une guerre mortelle dans mon ame se renouvelle. Quel trouble ! Helas ! Quelle rigueur ! Funeste amour, fierté cruelle, ne cesserez-vous point de deschirer mon coeur ? ACTE 1 SCENE 2 Angelique Temire Temire vous avez peu d' impatience de voir le riche don qu' on va vous presenter. C' est un prix que Roland vous a fait apporter des rivages lointains où le jour prend naissance. Pour vous par mille exploits il a sçeu l' achepter, serez-vous sans reconnoissance ? Faut-t' il que tant d' amour ne puisse meriter qu' une éternelle indifference ? Angelique. L' invincible Roland n' a que trop fait pour moy, fay-moy resouvenir de ce que je luy doy. Temire pourriez-vous oublier l' ardeur dont il vous aime ? Angelique je songe, autant que je le puis, à sa rare valeur, à son amour extréme : mais malgré tous mes soins dans le trouble où je suis je crains de m' oublier moy-mesme. Je crains que ma fierté ne succombe en ce jour. Temire aimez Roland à vostre tour, il n' est point de climats où sa gloire ne vole. Du moins, la fierté se console quand la gloire l' oblige à ceder à l' amour. Roland reverse tout par l' effort de ses armes son bras sçait affermir un trosne chancelant... Angelique helas ! Helas ! Que Medor a de charmes ! Ah ! Que n' a-t' il la gloire de Roland ! Temire Medor ! Angelique ma foiblesse t' estonne. Ne me déguise rien, parle, je te l' ordonne, represente à mon coeur la honte de son choix. Temire Medor d' un sang obscur a receu la lumiere. Pourroit-il estre aimé d' une reyne si fiere ? D' une reyne qui sous ses loix ne voit qu' avec mespris les heros et les roys ? Angelique mon coeur estoit tranquille, et croyoit toûjours l' estre, quand je trouvay Medor, blessé, prés de mourir. La pitié dans ce lieu champestre m' arresta pour le secourir. Le prix de mon secours est le mal que j' endure ; la pitié pour Medor a sçeu trop m' attendrir. Ma funeste langueur s' augmentoit à mesure qu' il guerissoit de sa blessure, si je suis en danger de ne jamais guerir. Temire esloignez de vos yeux ce qui peut trop vous plaire. Angelique ma gloire le demande, il faut la satisfaire : il faut bannir Medor... bannir Medor ? Helas ! C' est me condamner au trépas. Il n' importe, il le faut, qu' il parte, qu' il me quitte. Elle aperçoit Medor. Il resve, il tourne icy ses pas. Que je suis interdite ! Ne m' abandonne pas. Angelique et Temire se retirent. ACTE 1 SCENE 3 Medor ah ! Quel tourment de garder en aimant un éternel silence ! Ah quel tourment d' aimer sans esperance ! J' aime une reyne, helas ! Par quel enchantement ay-je oublié son rang et ma naissance, et combien entre nous le sort met de distance ? Malheureux que je suis, j' aime un objet charmant que tant de roys ont aimé vainement ! Je doy cacher un amour qui l' offence ; il faut me faire à tout moment une cruelle violence. Ah ! Quel tourment de garder en aimant un éternel silence ! Ah quel tourment d' aimer sans esperance ! ACTE 1 SCENE 4 Medor, Angelique, Temire Medor de la part de Roland, on vient jusqu' en ces lieux vous offrir un don precieux. Il vous aime, il vous sert, son amour peut paraistre, et tout absent qu' il est, il vous le fait connaistre : ses travaux quels qu' ils soient sont trop recompensez, ô trop heureux Roland ! Angelique Roland sera peut-estre moins heureux que vous ne pensez. Plus son amour éclate, et plus il m' importune, j' ay honte de luy trop devoir. Non, n' enviez point sa fortune. Medor il est vray qu' il n' a pas le plaisir de vous voir. Angelique je le fuis, et sans luy desormais je n' aspire qu' à retourner dans mon empire. Enfin, Medor, enfin, je veux sçavoir si j' ay sur vous un absolu pouvoir. Medor vous estes de mon sort maistresse souveraine. Je servois un grand roy, javois suivy ses pas des rivages du nil jusqu' aux bords de la seine. Il est mort en cherchant la gloire et les combats ; sans vous j' allois le suivre au delà du trépas. Vous servir est ma seule envie, j' en fais mon espoir le plus doux ; vous m' avez conservé la vie, heureux si je la pers pour vous ! Angelique Medor, vous avez lieu de croire que je m' interesse en vos jours : j' en ay pris soin, le ciel a beny mon secours, à la fin il est temps d' avoir soin de ma gloire. Par pitié, prés de vous, j' ay voulu demeurer, tandis que mon secours vous estoit necessaire : ma pitié n' a plus rien à faire, il est temps de nous separer. Partez Medor. Medor ô ciel ! Angelique partez sans differer. Medor helas ! Ay-je pû vous déplaire ? Angelique non, non, je n' ay point de colere... laissons des discours superflus. Partez. Medor je ne vous verray plus ! Angelique choisissez ou vous voulez vivre, je prendray soin de vostre sort. Medor vous me deffendez de vous suivre, je ne veux chercher que la mort. Angelique vivez, conservez mon ouvrage, songez que c' est me faire outrage de voir vos jours avec mespris, apres le soin que j' en ay pris. Medor vous voulez que je vive, et vostre arrest me chasse, mes jours à vous servir ne sont pas reservez. Eh que voulez-vous que je fasse de ces jours malheureux que vous m' avez sauvez ? Angelique puissiez-vous loin de moy joüir d' un sort paisible. Medor loin de vous ! Ciel ! Est-t' il possible ? Ah ! Falloit-t' il me secourir ? Que ne me laissiez-vous mourir ? Angelique terminons des regrets qui pourroient trop s' étendre : ne me dites plus rien, je ne veux rien entendre. Il est temps de nous separer ; partez Medor. Medor ô ciel ! Angelique partez sans differer. ACTE 1 SCENE 5 Angelique, Temire Angelique je ne verray plus ce que j' aime. Conçois-tu bien l' effort extréme que pour bannir Medor je me fais aujourd' huy ? Il part desesperé, tu vois où je l' expose : il va mourir, j' en suis la cause, je mourray bientost apres luy. Non, un trop tendre amour dans ses jours m' interesse. Non, qu' il ne parte point, allons le rappeller... infortunée ! Où veux-je aller ? Je vais trahir ma gloire, et montrer ma foiblesse. Ciel ! Quel est mon malheur ! S' il faut que l' amour me surmonte, je doy mourir de honte ; s' il faut l' arracher de mon coeur, je mourray de douleur. Temire le secours de l' absence est un puissant secours. C' est l' unique esperance des coeurs qui veulent fuïr les funestes amours. Angelique le secours de l' absence est un cruel secours. Ah ! Quelle violence de fuïr incessamment ce qui charme tousjours. Temire et Angelique. Le secours de l' absence Temire est un puissant, cruel secours. Angelique est un puissant, cruel secours. Angelique quoy ! Medor pour jamais d' avec moy se separe ! Devois-tu m' inspirer un dessein si barbare ? Temire, j' ay suivy tes conseils rigoureux. Fay revenir Medor ; que rien ne te retienne, va, cours... mais s' il revient... n' importe, qu' il revienne... attend... je veux... helas ! Sçai-je ce que je veux ? Temire voyez ces estrangers, contraignez-vous pour eux. Angelique ne puis-je en liberté soupirer et me plaindre ? Faudra-t' il tousjours me contraindre ? Sans Medor, tout me semble affreux. Va le voir, et du moins console un malheureux. ACTE 1 SCENE 6 Ziliante. Troupe d' insulaires orientaux. Ziliante presentant un brasselet à Angelique. Au genereux Roland je doy ma delivrance ; d' un charme affreux sa valeur m' a sauvé ; il n' a voulu de ma reconnoissance que ce present qu' il vous a reservé. Je viens, pour vous l' offrir, du rivage où l' aurore ouvre la barriere du jour. Vous embrasez Roland d' un feu qui le devore, mais qui peut voir la beauté qu' il adore voit sans estonnement l' excez de son amour. Triomphez, charmante reyne, triomphez des plus grands coeurs. Ce n' est qu' aux plus fameux vainqueurs qu' il est permis de porter vostre chaîne. Triomphez, charmante reyne, triomphez des plus grands coeurs. Le choeur des insulaires chante ces derniers vers dans le temps que Ziliante presente le brasselet à Angelique, et les autres insulaires dansent à la maniere de leur païs. Le Choeur des insulaires. Triomphez, charmante reyne, triomphez des plus grands coeurs. Ce n' est qu' aux plus fameux vainqueurs qu' il est permis de porter vostre chaîne. Triomphez, charmante reyne, triomphez des plus grands coeurs deux insulaires. Dans nos climats sans chagrin on soûpire, l' amour dont nous suivons l' empire n' a que des appas. Fuyons les belles cruelles, craignons leur pouvoir, que sert-t' il de les voir ? Ah ! Gardons-nous d' un amour sans espoir. Quelle peine ! Quel tourment ! D' estre amant d' une inhumaine ! Si nous devenons amoureux aimons pour estre heureux. Sans les amours on s' ennuiroit de vivre, mais nous devons cesser de suivre qui nous fuït tousjours. Fuyons les belles cruelles, etc. ACTE 2 SCENE 1 Le theatre change, et represente la fontaine enchantée de l' amour, au milieu d' une forest. Angelique, Temire, suite d' Angelique. Temire un charme dangereux dans ces bois vous attire, il faut en détourner vos pas l' amour regne en ces lieux, évitez ses appas, heureux qui peut fuïr son empire ! Angelique je porte au fond du coeur mon funeste martire. Helas ! Où puis-je aller ? Où puis-je fuïr ? Helas ! Où l' amour ne me suive pas ? Ah ! J' ay banny Medor, ma tristesse est mortelle, que ne le pressois-tu de me desobeïr ? Temire je devois vous estre fidelle. Angelique pour empescher ma mort n' osois-tu me trahir ? ô fidelité trop cruelle ! Le trouble de mon coeur ne peut plus se calmer, non, je n' espere plus de remede à mes peines. Merlin, dans ces forests enchanta deux fontaines dont l' une fait haïr, et l' autre fait aimer. C' est la fontaine de la haine que je veux chercher en ce jour ; helas ! Que me sert-t' il de prendre un long détour ! Je m' égare en ces bois, et ma recherche est vaine : tousjours un sort fatal malgré-moy me rameine à la fontaine de l' amour. Temire vous devez vous guerir du mal qui vous possede, nayez rien à vous reprocher. Vous en trouverez le remede si vous le voulez bien chercher. Angelique non, je ne cherche plus la fontaine terrible qui fait d' un tendre amour une haine inflexible ; c' est un secours cruel, je n' y puis recourir. Je haïrois Medor ! Non, il n' est pas possible, par ce remede affreux je ne veux point guerir, je consens plustost à mourir. Temire chante avec un suivant et une suivante d' Angelique. Non, on ne peut trop plaindre un coeur qui se laisse enflammer : ah ! Quel tourment d' aimer ! Que le feu d' amour est à craindre ! Qu' il est aisé de l' allumer ! Qu' il est malaisé de l' esteindre ! Non, on ne peut trop plaindre un coeur qui se laisse enflammer ; ah ! Quel tourment d' aimer ! Angelique quelqu' un vient, c' est Roland. Temire ce guerrier invincible abandonne tout pour vous voir. Angelique il se flatte d' un vain espoir. Cet anneau quand je veux peut me rendre invisible Angelique met dans sa bouche un anneau dont la puissance magique la rend invisible. ACTE 2 SCENE 2 Roland, Angelique devenuë invisible. Temire. Suite d' Angelique. Roland belle Angelique, enfin, je vous trouve en ces lieux ciel ! Quel enchantement vous desrobe à mes yeux ! Angelique, charmante reyne. Mes cris font vainement retentir ces forests. Angelique, ingrate, inhumaine. Quel plaisir trouvez-vous dans mes tristes regrets ? Angelique, ingrate, inhumaint, quel barbare plaisir trouvez-vous dans ma peine ? Roland parle à Temire. Quelle cruauté ! Quel mespris ! Tu sçais ce que j' ay fait pour elle, tu connois mon amour fidelle, et tu vois quel en est le prix. Quelle cruauté ! Quel mespris ! Temire peut-on vous mepriser sans crime ? La valeur vous a fait un merite esclatant. Si vous n' aviez jamais voulu que de l' estime, quel mortel seroit plus content ! Roland que devient ma vertu ? Ma force est inutile. Eh ! Que me sert-t' il aujourd' huy d' avoir les dons du ciel qu' eust autrefois Achille ? Je laisse mon roy sans appuy. Il n' a plus desormais que Paris pour azile ; les cruels affriquains vont triompher de luy. Je voy le sort affreux de ma triste patrie ; elle est preste à tomber sous de barbares loix : j' entends sa gemissante voix : mais c' est vainement qu' elle crie, un malheureux amour m' enchante dans ces bois. Angelique. En vain je l' appelle ; elle est sans pitié la cruelle, eh ! Pourquoy tant souffrir ! Pourquoy n' aurai-je pas pitié de moy ? C' en est fait, et je veux que l' ingrate le sçache : c' en est fait pour jamais, mes liens sont rompus ; non, je ne la chercheray plus, c' est vainement qu' elle se cache. Non, je ne veux plus voir sa fatale beauté, il ne m' en a que trop cousté. Le dépit esteint ma flâme : heureuse la cruauté qui rend la paix à mon ame ! Heureuse la cruauté qui me rend la liberté ! Malheureux ! Je me flate, et ma colere est vaine. Lasche ! Ne puis-je rompre une honteuse chaine ? Que je sens de troubles secrets ! Mon coeur suit malgré-moy de funestes attraits, je cede au charme qui m' entraine. Angelique, ingrate, inhumaine, quel plaisir trouvez-vous dans mes tristes regrets ? Angelique, ingrate, inhumaine, quel barbare plaisir trouvez-vous dans ma peine ? Angelique voyant Roland esloigné oste son anneau magique de sa bouche, et se montre à Temire. ACTE 2 SCENE 3 Angelique, Temire Temire ou dois-je aller ? ... je vous revoy. Angelique je ne me cache pas pour toy. Temire Roland vous cherche en vain dans ce lieu solitaire Angelique mon coeur est engagé, Roland ne peut me plaire, quel espoir luy pourrois-je offrir ? Je le fuis par pitié, je ne sçaurois mieux faire que de l' aider à se guerir. Où peut estre Medor ? Le desespoir le presse. Que ne puis-je le retrouver ! Au moins j' y veux songer sans cesse. Temire vostre coeur pour Roland devoit se reserver... Angelique parle-moy de Medor, ou laisse-moy resver. C' est l' amour qui prend soin luy-mesme d' embellir ces aimables lieux ; mais je n' y voy pas ce que j' aime, rien n' y sçauroit plaire à mes yeux. ACTE 2 SCENE 4 Medor, Angelique, Temire Medor agreables retraites, l' amour qui vous a faites vous destine aux amants contents. Je trouble vos douceurs secretes, mais dans mon desespoir mes plaintes indiscretes ne vous troubleront pas long-temps. Angelique c' est Medor que je viens d' entendre ! Ciel ! Temire voulant arrester Angelique. Quoy, vous le verrez ? Angelique eh ! Puis-je m' en deffendre ? C' est trop suivre un cruel devoir ; je retrouve Medor, l' amour veut me le rendre, je ne puis vivre sans le voir. Medor fontaine, qui d' une eau si pure arrosez ces brillantes fleurs, en vain, vostre charmant murmure flatte le tourment que j' endure. Rien ne peut enchanter mes mortelles douleurs. Ce que j' aime me fuit, et je fuis tout le monde : pourquoy traisner plus loin ma vie et mes malheurs, ruisseaux, je vais mesler mon sang avec vostre onde, c' est trop peu d' y mesler mes pleurs. Medor tire son espée pour s' en fraper et Angelique l' arreste. Angelique vivez, Medor. Medor reyne adorable, vous avez trop de soin des jours d' un miserable. Angelique pourquoy courez-vous au trépas ? Medor c' est un suplice insuportable de vivre et de ne vous voir pas. Angelique je croyois que sur vous j' avois plus de puissance. Medor helas ! Si vous pouviez sçavoir jusqu' à quel point je vous offense... Angelique rien ne m' offense tant que vostre desespoir. Medor je vivray, si c' est vostre envie ; je vous voy, mon sort est trop doux : mais s' il faut m' esloigner de vous, je ne repons pas de ma vie. Angelique prenez soin de vos jours, Medor, vous le devez, il m' en couste assez cher de les avoir sauvez : ils me sont precieux, je vous l' ay fait connaistre. Medor genereuse reyne, achevez, sans vous puis-je vivre ? Angelique vivez à quelque prix que ce puisse estre. Medor ô ciel ! Qu' entend-je ! Angelique il n' est plus temps que nous craignions tous deux de nous en trop aprendre : nous n' en disons que trop, Medor, je vous entends, et je vous permets de m' entendre. Medor à vos pieds... levez-vous, j' ay droit de faire un roy. Je veux unir sous mesme loy vostre destinée et la mienne. Medor ah ! Plus vous oubliez vostre grandeur pour moy, plus il faut que je m' en souvienne. Angelique ma gloire murmure en ce jour, je voy mon sort trop au dessus du vostre : mais qui peut empescher l' amour d' unir deux coeurs qu' il a faits l' un pour l' autre ? Medor tesmoins du desespoir dont mon coeur fut pressé, lieux ou la mort fut mon unique attente, qui l' auroit dit ! Qui l' eust jamais pensé que vous seriez tesmoins du bonheur qui m' enchante. ACTE 2 SCENE 5 L' amour, troupe d' amours, troupe de sirenes, troupe de dieux des eaux, troupe de nymphes et de silvains, troupe d' amants enchantez, et d' amantes enchantées. Choeur Des Amours qui sont autour de la fontaine. Aimez, aimez-vous. Angelique, Medor, et les Choeurs. Aimons, aimons-nous. Choeur Des Amours l' amour vous appelle. Que sa flame est belle ! L' amour vous appelle tous. Aimez, aimez-vous. Angelique, Medor, et les Choeurs. L' amour nous appelle, que sa flame est belle ! L' amour nous appelle tous. Aimons, aimons-nous. Choeur Des Amours il punit un coeur rebelle on n' évite point ses coups. Angelique, Medor, et les choeurs. Quel bien est plus doux qu' un amour fidelle ? Choeur Des Amours aimez, aimez-vous. Angelique, Medor, et les choeurs. Aimons, aimons-nous : l' amour nous appelle. Que sa flame est belle ! L' amour nous appelle tous : aimons, aimons-nous. Les amants enchantez, et les amantes enchantées dansent autour de Medor et d' Angelique. Deux amantes enchantées. Qui gouste de ces eaux ne peut plus se deffendre de suivre d' amoureuses loix : goustons en, mille et mille fois, quand on prend de l' amour, on n' en sçauroit trop prendre. Le Petit Choeur que pour jamais un noeud charmant nous lie. Le Grand Choeur tendres amours, enchantez-nous toûjours. Triste raison nous fuyons ton secours. Le Petit Choeur ô douce vie, digne d' envie ! Le Grand Choeur ô jours heureux, que l' on vous trouve courts ! Le Petit Choeur sans rien aimer comment peut-t' on vivre ? Le Grand Choeur que de plaisirs, que de jeux vont nous suivre ! Le Petit Choeur tendres amours, enchantez-nous toûjours. Fermons nos coeurs à des flammes nouvelles. Le Grand Choeur gardons nous bien d' esteindre un feu si beau. Le Petit Choeur vivons heureux dans des chaines si belles. Le Grand Choeur portons nos fers jusques dans le tombeau. Le Petit Choeur ô douce vie, digne d' envie ! Le Grand Choeur tendres amours, enchantez-nous toûjours. Les amants enchantez, et les amantes enchantées, accompagnent en dansant, Medor et Angelique ; l' amour et les amours volent, et leur servent de guides. ACTE 3 SCENE 1 Le theatre change, et represente un port de mer. Medor, Temire Medor non, je n' entends vos conseils qu' avec peine, pour nuire à mon amour, vous avez tout tenté. Temire vos jours sont en peril, ils sont chers à ma reyne, ne doutez point de ma fidelité. Roland est dans ces lieux, c' est un rival terrible, et vostre perte est infaillible si vous vous exposez à son fatal couroux. Medor un malheureux doit voir le trépas sans allarmes. Vostre bonheur fera mille jaloux, une fiere beauté vous a rendu les armes, vos deux coeurs sont unis, par les noeuds le plus doux. Ah ! Si la vie est sans appas pour vous, pour qui peut-t' elle avoir des charmes ? Regardez le glorieux sort que la reyne avec vous partage. Ses plus zelez sujets, l' attendoient dans ce port ; avant que d' en partir, son ordre les engage à vous rendre un pompeux hommage. Comme leur souverain, ils vont vous recevoir... Medor la reyne ma quitté, Roland est avec elle. Temire il la verra fiere, et cruelle. Medor n' importe, c' est tousjours la voir, mon inquietude est mortelle : eh ! Ne craint-t' elle point, Roland au desespoir ? Temire elle le craint pour vous, c' est son unique envie de mettre en l' éloignant, vos jours en seureté. Medor s' il faut que ma felicité par mon rival me soit ravie, c' est une cruauté d' avoir soin de ma vie. Temire de ces sombres chagrins, il faut vous delivrer. Medor je n' osois pas esperer le bien que l' amour me donne ; un si grand bonheur m' estonne, et j' ay peine à m' assûrer qu' il puisse long-temps durer. Temire retirons-nous, Roland s' avance. S' il a de vostre amour la moindre connoissance rien ne vous pourra secourir. Medor je le veux observer, en deussai-je perir. Medor se tient à l' écart, et écoute Roland et Angelique. ACTE 3 SCENE 2 Roland, Angelique Roland faut-t' il encor que je vous aime ? Je doy rougir de ma foiblesse extreme ; ingrate, vous en abusez : plus je vous sers, plus vous me mesprisez : qu' elle honte à mon coeur d' estre encor si fidelle ! Pourquoy vous trouvai-je si belle ? Non, avec tant d' attraits si charmants et si doux, vous ne meritez pas, cruelle, l' amour que j' ay pour vous. Angelique je n' ay point perdu la memoire de ce que je vous doy. Vous seriez delivré du trouble ou je vous voy si vous aviez voulu me croire. Vous le sçavez, c' est malgré moy qu' un si grand coeur s' obstine à languir sous ma loy, j' ay fait ce que j' ay pû pour le rendre à la gloire. Roland ah ! Je ne sçay que trop avec quelle rigueur vous punissez mon lasche coeur ; vostre mespris éclate, il n' est plus temps de feindre, tous les déguisements sont vains. Je pardonne au mespris du reste des humains, je l' ay bien merité, j' aurois tort de m' en plaindre. J' abandonne ma gloire, et la laisse ternir, je cheris le trait qui me blesse, de mon égarement je ne puis revenir ; mais vous causez ma foiblesse, est-ce à vous de m' en punir ? Angelique helas ! Roland dans ce soûpir quelle part puis-je prendre ? Peut-estre un soûpir si tendre s' adresse à quelqu' autre amant : me le faites vous entendre pour redoubler mon tourment ? Inhumaine ! Ah s' il est possible qu' au mespris d' un amour qui n' eust jamais d' esgal pour un autre que moy vous deveniez sensible, tremblez pour mon heureux rival. Dans vos yeux inquiets je lis mon infortune. Ma presence vous importune ? Vous ne songez qu' à me quitter ? Angelique si je voulois vous fuïr, qui pourroit m' arrester ? Je vous ay déja fait connaistre qu' il m' est aisé de disparaistre aux regards importuns que je veux éviter. Roland ah ! Du moins, laissez-moy le seul bien qui me reste ; laissez-moy la douceur funeste de voir de si charmants appas. C' est sans espoir que je suivray vos pas ; vous ne serez jamais à mes voeux favorable, je vous verray toûjours impitoyable, mais le plus grand des maux est de ne vous voir pas. Angelique que ne puis-je vous fuïr encore ? Roland pourquoy craindre qui vous adore ? Angelique helas ! Pourquoy m' aimez vous tant ? Un heros indomptable n' est que trop redoutable avec un amour si constant. Roland ciel ! ô ciel ! C' est pour moy qu' Angelique soûpire ! Angelique vous me contraignez d' en trop dire. Roland vous m' aimez ! Angelique je ne puis l' avoüer qu' a regret. Vostre constance est triomphante, n' en faites point un esclat indiscret, espargnez ma fierté mourante contentez-vous d' un triomphe secret. Roland en des lieux escartez, dans une paix profonde, allons jouïr du sort qui va combler nos voeux. Que deux coeurs unis sont heureux d' oublier le reste du monde. Angelique laissez-moy r' envoyer des peuples empressez dont nous serions embarassez ; attendez-moy plus loin, j' iray par tout vous suivre, c' est pour vous seul que je veux vivre. ACTE 3 SCENE 3 Angelique, Medor, Temire Medor ah ! Je souffre un tourment plus cruel que la mort ! Temire où voulez-vous aller ? Que pouvez vous pretendre ? Angelique laisse-moy calmer son transport, voy, si Roland ne peut point nous entendre. Temire va du costé où Roland est passé. ACTE 3 SCENE 4 Angelique, Medor Medor se peut-t' il qu' à ses voeux vous ayez respondu ? Angelique voulez-vous m' offencer quand vous devez me plaindre ? Pour esbloüir Roland je suis reduite à feindre, il le faut esloigner, ou vous estes perdu. Medor vous le suivrez ? Non, non, que plustost je perisse. Angelique helas ! Tout le pouvoir humain contre luy s' armeroit en vain, ne nous armons que d' artifice. Medor, je tremble pour vos jours, ils sont dans un peril extreme : à quoy n' a t' on pas recours pour sauver ce que l' on aime ? Medor Roland va m' oster l' objet que j' adore, qu' ai-je à redouter que de vivre encore ? Angelique c' est à vous que mon coeur pour jamais s' est donné ; je ne rendray Roland que trop infortuné ; l' amour luy vendra cher une vaine esperance. Je puis par cét anneau disparaistre à ses yeux ; bientost, vous me verrez ; bientost, loin de ces lieux, nos fidelles amours seront en assûrance, je veux metre en vos mains ma supréme puissance. Medor et Angelique ensemble. Je ne veux que vostre coeur, c' est l' unique empire pour qui je soûpire, je ne veux que vostre coeur, c' est assez pour mon bonheur. Medor vous me quittez, et je demeure troublé du chagrin le plus noir : ma vie est attachée au plaisir de vous voir ; ne vaut-t' il pas mieux que je meure par la main de Roland que par mon desespoir. Angelique vivez pour moy, qu' il vous souvienne que vostre destinée est unie à la mienne, ma mort suivroit vostre trépas : evitons un destin tragique ; Medor ne veut-t' il pas vivre pour Angelique ? Medor si je ne vivois pas pour vous, je ne pourrois souffrir la vie. Angelique vivons, l' amour nous y convie, reservons-nous pour nous aimer malgré l' envie ; reservons-nous pour vivre heureux loin des jaloux. Je ne pourrois souffrir la vie, si je ne vivois pas pour vous. Medor vivons l' amour nous y convie, reservons-nous pour un amour si doux. Angelique et Medor repetent ensemble ces trois derniers vers. Vivons l' amour nous y convie, reservons-nous pour un amour si doux. ACTE 3 SCENE 5 Troupe de peuples de Catay. Sujets d' Angelique, Angelique, Medor. Angelique parlant à ses sujets. Vous qui voulez faire paraistre le zele ardent que vous avez pour moy, reconnoissez Medor pour vostre maistre, rendez hommage à vostre roy. Angelique va retrouver Roland pour l' esloigner du port ou elle veut venir s' embarquer avec Medor. ACTE 3 SCENE 6 Les peuples de Catay, sujets d' Angelique, rendent hommage à Medor ; ils l' eslevent sur un throne, et tesmoignent par leurs chants et par leurs danses la joye qu' ils ont de le reconnoistre pour leur souverain. Le Choeur. C' est Medor qu' une reyne si belle a choisy pour regner avec elle. Plus heureux que luy ? Un des sujets d' Angelique. Malgré l' orgüeil du grand nom de reyne, elle se rend, et l' amour l' enchaîne ; de mille et mille amants son coeur s' estoit sauvé, pour l' aimable Medor il estoit reservé. Une des suivantes d' Angelique. Trop heureux un amant qui s' exempte des chagrins d' une ennuyeuse attente ! Que l' amour pour Medor a fait d' aimables noeuds ! à peine est-t' il amant qu' il est amant heureux. Le Choeur ses rivaux n' ont plus rien à pretendre, que de plaintes se vont faire entendre ! Au premier bruit d' un choix si doux que de roys seront jaloux ! Nous venons tous vous presenter nostre hommage ; regner sur nous est vostre moindre avantage. L' amour donne un bonheur qui vaut mieux mille fois que la pompe qui suit les plus superbes roys. Un des sujets d' Angelique. Angelique n' est plus insensible, sa fierté se croyoit invincible : elle fuyoit l' amour, et le fuiroit encor sans le charme puissant des regards de Medor. Le Choeur heureux Medor ! Quelle gloire d' avoir remporté une entiere victoire sur tant de fierté ! Quel bonheur est plus rare ! Que vos feux sont beaux ! Que l' amour vous prepare de plaisirs nouveaux ! C' est pour vous que sont faits les plus doux de ses traits. Une des suivantes d' Angelique. Un coeur si fier est à son tour sensible et tendre : Medor l' obtient quand son amour n' osoit l' attendre. Mais un bonheur qu' on n' attend pas n' en a que plus d' appas. Le Choeur vous portez une riche couronne un objet plein d' attraits vous la donne. Un des sujets d' Angelique. Qu' il est doux d' accorder l' amour et la grandeur ! Quand on peut les unir c' est un parfait bonheur. Une des suivantes d' Angelique. Tendres coeurs, puissiez vous aimer tranquillement : il n' est point de sort plus charmant. Le Choeur que l' amour en tous lieux vous enchante. Qu' à jamais vostre ardeur soit constante. Oubliez vos grandeurs plustost que vos amours, vostre bonheur despend de vous aimer tousjours. Le Choeur aimez, regnez, en depit de l' envie, goustez les biens les plus doux de la vie ; la fortune et l' amour, la gloire et les plaisirs, puissent t' ils à jamais combler tous vos desirs. Dans la paix, dans la guerre, dans tous les climats, jusqu' au bout de la terre, nous suivrons vos pas. Puisse l' heureux Medor estre un des plus grands roys. Puisse-t' il rendre heureux ceux qui suivront ses loix. ACTE 4 SCENE 1 Le theatre change, et represente une grotte au milieu d' un boccage. Roland, Astolfe Roland va, ton soin m' importune, Astolfe, laisse-moy. Astolfe quel charme vous retient dans ce lieu solitaire ? Roland amy, je n' ay point pour toy de secret, n' y de mystere. Angelique ne me fuït plus. J' estois content de voir sa rigueur adoucie, quand nous avons trouvé le roy de Circassie, et le superbe Ferragus. Tous deux jaloux de mon bonheur extreme, m' ont abordé les armes à la main : j' allois les en punir, mais la beauté que j' aime par son anneau magique a disparu soudain. Mes rivaux l' ont suivie envain. Elle avoit eû soin de m' aprendre le chemin qu' elle vouloit prendre. Nous nous sommes promis d' estre à la fin du jour à la fontaine de l' amour ; je suis venu trop-tost my rendre : je vais au devant d' elle, ennuyé de l' attendre, je parcours les lieux d' alentour. L' objet qui m' enchante ne m' a jamais tant charmé : que l' amour s' augmente, par le plaisir d' estre aimé. Astolfe cét empire en vous seul a mis son esperance : si vous ne prenez sa deffense, il tombera dans peu de temps sous une barbare puissance. Songez que vous perdez de precieux instants. Roland je songe au bonheur que j' attens. Venez couronner vostre teste du laurier immortel qui vous est presenté. Roland je voy l' amour qui s' apreste à combler ma felicité ; je vais joüir de la conqueste d' un coeur qui m' a tant cousté. Le grand coeur de Roland n' est fait que pour la gloire, peut-t' il languir dans un honteux repos ? Triomphez de l' amour, il n' est point de victoire qui montre mieux la vertu d' un heros. Roland lorsque des rigueurs inhumaines ont payé mon amour d' un si cruel tourment, je n' ay pû sortir de mes chaînes : puis-je me desgager d' un lien si charmant, quand je touche à l' heureux moment où je doy recevoir le prix de tant de peines ? Va, laisse-moy seul dans ces lieux, Angelique pour moy sensible, veut pour tout autre estre invisible ; va, ne l' empesche point de paraistre à mes yeux. Astolfe se retire et Roland cherche Angelique. ACTE 4 SCENE 2 Roland seul. Ah ! J' attendray long-temps ! La nuit est loin encore. Quoy le soleil veut-t' il luire tousjours ? Jaloux de mon bonheur, il prolonge son cours, pour retarder la beauté que j' adore. ô nuit, favorisez mes desirs amoureux. Pressez l' astre du jour de descendre dans l' onde ; despliez dans les airs vos voiles tenebreux : je ne troubleray plus par mes cris douloureux vostre tranquillité profonde : le charmant objet de mes voeux n' attend que vous pour rendre heureux le plus fidelle amant du monde ; ô nuit, favorisez mes desirs amoureux. Que ces gazons sont verts ! Que cette grotte est belle ? Roland lit tout bas des vers escrits sur la grotte. Ce que je lis m' aprend que l' amour a conduit dans ce boccage, loin du bruit, deux amants qui brûloient d' un ardeur mutuelle. J' espere qu' avec moy l' amour bien-tost icy conduira la beauté que j' aime. Enchantez d' un bonheur extreme, sur ces grottes bien-tost nous escrirons aussi ? Roland repete tout haut ce qu' il a leu tout bas. Beau lieu, doux azile de nos heureuses amours, puissiez-vous estre tousjours charmant et tranquille. Voyons tout... qu' est-ce que je voy ! Ces mots semblent tracez de la main d' Angelique... Roland lit tout bas deux vers qu' Angelique a escrits. Ciel c' est pour un autre que moy que son amour s' explique. Roland repete tout haut ce qu' il a leu tout bas. Angelique engage son coeur ? Medor en est vainqueur ! Elle m' auroit flatté d' une vaine esperance ? L' ingrate ! ... n' est-ce point un soupçon qui l' offense ? Medor en est vainqueur ! Non, je n' ay point encor entendu parler de Medor. Mon amour auroit lieu de prendre des allarmes, si je trouvois icy le nom de l' intrepide fils d' Aymon, où d' un autre guerrier celebre par les armes. Angelique n' a pas osé avoüer de son coeur le veritable maistre, et je puis aisement connaistre, qu' elle parle de moy sous un nom supposé. C' est pour moy seul qu' elle soûpire, elle me la trop dit et j' en suis trop certain. Lisons ces autres mots ; ils sont d' une autre main... Roland lit deux vers que Medor a escrits. Q' uai-je leu... ciel... il faut relire... Roland repete tout haut ce qu' il a leu tout bas. Que Medor est heureux ! Angelique a comblé ses voeux. Ce Medor, quel qu' il soit, se donne icy la gloire d' estre l' heureux vainqueur d' un objet si charmant. Angelique a comblé les voeux d' un autre amant ! Elle a pû me trahir ! ... non, je ne le puis croire. Non, non, quelqu' envieux a voulu par ces mots noircir l' objet que j' aime, et troubler mon repos. On entend un bruit de musettes et Roland continuë. J' entends un bruit de musique champestre. Il faut chercher Angelique en ces lieux. Au premier regard de ses yeux mes noirs soupçons vont disparaistre. Elle s' arrestera, peut-estre, à voir danser au son des chalumeaux les bergers des prochains hameaux. Une troupe de bergers et de bergeres, prend part à la joye de Coridon et de Belise, qui doivent estre mariez le lendemain, et s' aproche de la grotte en dansant et en chantant. Roland n' aperçoit point Angelique, et va la chercher dans les lieux d' alentour. ACTE 4 SCENE 3 Coridon, Belise troupe de bergers et de bergeres. Quand on vient dans ce boccage, peut-t' on s' empescher d' aimer ? Que l' amour sous cét ombrage sçait bientost nous desarmer ! Sans effort il nous engage dans les noeuds qu' il veut former. Quand on vient dans ce boccage, peut-t' on s' empescher d' aimer ? Que d' oiseaux sur ce feüillage ! Que leur chant nous doit charmer. Nuit et jour par leur ramage leur amour veut s' exprimer. Quand on vient dans ce boccage, peut-t' on s' empescher d' aimer ? Un berger et une bergere. Vivez en paix, amants, soyez fidelles, aimez vous à jamais. Vos ardeurs mutuelles combleront vos soûhaits. C' est un bonheur extreme d' obtenir ce qu' on aime sans languir trop long-temps. Soyez constants, aimez toûjours de mesme vivez toûjours contents. Que les amours sont belles quand elles sont nouvelles ! Quel bien à plus d' atraits ? Vivez en paix, amants, soyez fidelles, aimez vous à jamais. Coridon j' aimeray tousjours ma bergere. Belise j' aimeray tousjours mon berger. Coridon mon amour est sincere, j' aimeray tousjours ma bergere. Belise mon coeur ne peut changer, j' aimeray tousjours mon berger. Coridon et Belise. Mon amour est sincere, mon coeur ne peut changer. Coridon j' aimeray tousjours ma bergere Belise j' aimeray tousjours mon berger. ACTE 4 SCENE 4 Roland, Coridon, Belise, troupe de bergers et de bergeres. Roland n' ayant point trouvé Angelique, revient pour en demander des nouvelles aux bergers. Coridon Angelique est reyne, elle est belle, mais ses grandeurs n' y ses appas ne me rendroient point infidelle, je ne quitterois pas ma bergere pour elle. Belise quand des riches pays arrosez de la Seine le charmant Medor seroit roy, quand il pourroit quitter Angelique pour moy, et me faire une grande reyne, non, je ne voudrois pas encor quitter mon berger pour Medor. Roland que dites-vous icy de Medor, d' Angelique ? Coridon ce sont d' heureux amants dont l' histoire est publique dans tous les hameaux d' alentour. Belise ils ont avec regret quitté ce beau sejour ; ces arbres, ces rochers, cette grotte rustique tout parle icy de leur amour. Roland ah ! Je succombe au tourment que j' endure. Coridon reposez-vous sur ce lit de verdure. Vous paraissez chagrin ; escoutez à loisir de ces heureux amants l' agreable aventure, vous l' entendrez avec plaisir. Roland accablé de douleur s' assied sur un gazon, et escoute avec inquietude ce que Coridon et Belise luy racontent. Coridon en des lieux où Medor mouroit sans assistance Angelique adressa ses pas. Elle sçeut se servir d' un art dont la puissance garantit Medor du trepas. Belise d' un grand empire Angelique est maistresse elle est charmante, elle avoit à son choix cent des plus riches roys ; Medor est sans biens, sans noblesse ; mais Medor est si beau qu' elle la preferé à cent roys qui pour elle ont en vain soûpiré. Coridon on ne peut s' aimer d' avantage, jamais bonheur ne fût plus doux. Belise ils se sont donné devant nous la foy de mariage. Coridon quand le festin fût prest, il fallût les chercher ; Belise ils estoient enchantez dans ces belles retraites. Coridon on eût peine à les arracher de l' endroit charmant où vous estes. Roland se levant avec precipitation. Où suis-je ? Juste ciel ! Où suis-je malheureux. Belise demeurez, et voyez nos danses et nos jeux. Coridon on m' a promis cette belle bergere ; honnorez nostre nopce, on la fera demain. Roland où vont-t' ils ces amants ? Belise ils ont prié mon pere de les conduire au port le plus prochain. Le voicy. Demeurez, si vous me voulez croire, vous aprendrez de luy le reste de l' histoire. ACTE 4 SCENE 5 Tersandre. Roland, Coridon, Belise, le choeur. Tersandre allez, laissez-nous, soins facheux, esloignez-vous de nos paisibles jeux. Nous possedons un bien inestimable qui comblera nos voeux laissez couler nos jours heureux dans un loisir doux et durable. Allez, laissez-nous, soins facheux esloignez-vous de nos paisibles jeux. Coridon, Belise, et Le Choeur. Allez, laissez-nous, soins facheux, esloignez-vous de nos paisibles jeux. Tersandre. J' ay veu partir du port cette reyne si belle... Roland Angelique est partie ! Tersandre et Medor avec elle. Elle en fait un grand roy, c' est son unique soin. Roland ils sont partis ensemble ! Tersandre ils sont déja bien loin. Dans les climats les plus heureux du monde ils vont en paix gouster mille plaisirs. Jusqu' au vent qui regne sur l' onde tout favorise leurs desirs. Roland à part. Ils se sont desrobez tous deux à ma vengeance ! Tersandre parle à Coridon et à Belise. Angelique a voulu passer nostre esperance. Voyez ce bracelet. Roland regardant le bracelet. Que vois-je infortuné ! J' ay fait mettre en ses mains ce prix de mon courage ; de mon fidelle amour c' est un precieux gage. Tersandre pour le prix de nos soins elle nous la donné. Roland ciel ! Coridon et Belise. ô ciel ! Tersandre j' ay reçeu ce don de sa main mesme nous fumes les tesmoins de son bonheur extreme elle a voulu nous rendre heureux. Roland ciel ! Puis-je estre accablé par un coup plus affreux ! Tersandre mais quel est ce guerrier ? Aisément on devine qu' il sort d' une illustre origine. Coridon nous l' avons trouvé dans ces lieux. Belise le trouble de son coeur se montre dans ses yeux. Coridon il s' agitte. Belise il menace. Coridon il pâlit. Belise il soûpire. Tersandre son coeur souffre peut-estre un amoureux martire je suis touché de ses douleurs. Belise quels terribles regards ! Roland la perfide ! Tersandre il murmure. Coridon il fremit ! Belise il respand des pleurs. Tant de serments ! Ah la parjure ! Tersandre ne l' abandonnons pas dans un chagrin si noir. Roland elle rit de mon desespoir. Je l' aimois d' une amour si tendre, si fidelle. Tersandre ses regards sont plus doux. Coridon il est moins agitté. Roland j' ay crû vivre heureux avec elle helas ! Qu' elle felicité ! Tersandre non, je n' en doute point c' est l' amour qui le blesse. Belise l' amour peut-t' il causer cette sombre tristesse ? On a veu des amants si contents dans ces bois. Tersandre qui suit les amoureuses loix s' expose à des maux redoutables. Pour deux amants heureux qu' amour fait quelquefois, il en fait tous les jours plus de cent miserables. Coridon son trouble est apaisé. Tersandre j' espere qu' à la fin nous pourrons adoucir son funeste chagrin. Benissons l' amour d' Angelique, benissons l' amour de Medor. Dans le riche sejour d' une cour magnifique, puissent-t' ils sur un throsne d' or s' aimer comme ils s' aimoient dans ce sejour rustique. Coridon Belise et Le Choeur. Benissons l' amour d' Angelique benissons l' amour de Medor. Roland taisez-vous, malheureux ; oserez-vous sans cesse percer mon triste coeur des plus horribles coups ? Malheureux, taisez-vous. Rendez grace à vostre bassesse qui vous desrobe à mon couroux. Tersandre, Coridon, Angelique et Le Choeur. Ah ! Fuyons, fuyons tous. ACTE 4 SCENE 7 Roland seul. Je suis trahi ! Ciel ! Qui l' auroit pû croire ! ô ciel ! Je suis trahi par l' ingrate beauté pour qui l' amour m' a fait trahir ma gloire. ô doux espoir dont j' estois enchanté, dans quel abisme affreux m' as-tu precipité ! Tesmoins d' une odieuse flame vous avez trop blessé mes yeux. Que tout ressente dans ces lieux l' horreur qui regne dans mon ame. Roland brise les inscriptions, et arrache des branches d' arbres, et des morceaux de rochers. Ah ! Je suis descendu dans la nuit du tombeau ! Faut-t' il encor que l' amour me poursuive ? Ce fer n' est plus qu' un vain fardeau pour une ombre plaintive. Roland jette ses armes, et se met dans un grand desordre. Quel gouffre s' est ouvert ! Qu' estce-que j' aperçoy ! Quelle voix funebre s' escrie ! Les enfers arment contre moy une impitoyable furie. Roland croit voir une furie : il luy parle, et s' imagine qu' elle luy respond. Barbare ! Ah ! Tu me rends au jour ? Que pretens-tu ? Parle... ô suplice horrible ! Je doy montrer un exemple terrible des tourments d' un funeste amour. ACTE 5 SCENE 1 Le theatre change, et represente le palais de la sage fée logistille. Astolfe, Logistille Astolfe sage et divine fée à qui tout est possible, vous dont le genereux secours pour les infortunez se declare tousjours, au malheur de Roland serez-vous insensible ? Ce heros que l' amour a rendu furieux traîne une deplorable vie : son sort qui fût si glorieux fait autant de pitié qu' il avoit fait d' envie. Logistille vos justes voeux sont prevenus ; déja par des chemins aux mortels inconnus j' ay fait passer Roland dans cét heureux azile. Le charme d' un sommeil tranquille suspend le mal de ce heros ; mais il est difficile de luy rendre un parfait repos. Astolfe je sçay vostre pouvoir, il faut que tout luy cede. Vostre soin m' a sauvé de cent perils affreux. N' offririez vous qu' un vain remede au trouble fatal qui possede le plus grand des heros et le plus malheureux ? Logistille je puis des elements interrompre la guerre, ma voix fait trembler les enfers. J' impose silence au tonnerre, et j' esteins le feu des esclairs. Mais je calme avec moins de peine les vents eschapez de leur chaîne, et j' apaise plustost l' ocean irrité qu' un coeur par l' amour agité. Astolfe j' attens tout pour Roland de vos soins salutaires. Logistille nos efforts vont se redoubler : allez, esloignez-vous de nos secrets mysteres, vos regards pourroient les troubler. ACTE 5 SCENE 2 Logistille. Roland endormy. Troupe de feés. Logistille par le secours d' une douce harmonie calmons ce grand coeur pour jamais. Rendons-luy sa premiere paix, puisse-t' elle chasser l' amour qui la bannie. Heureux qui se deffend tousjours du charme fatal des amours ! Le choeur des feés repete ces deux derniers vers. Heureux qui se deffend tousjours du charme fatal des amours ! Les feés dansent autour de Roland, et font des ceremonies mysterieuses, pour luy rendre la raison. Logistille rendez à ce heros vostre clarté celeste, divine raison, revenez. Qu' un coeur est malheureux quand vous l' abandonnez dans un égarement funeste. Logistille et le choeur des feés. Heureux qui se deffend tousjours du charme fatal des amours ! Les feés continüent leurs danses autour de Roland, et logistille évoque les ombres des anciens heros, pour l' aider à faire sortir Roland de son égarement. Logistille ô vous dont le nom plein de gloire dans la nuit du trepas n' est point ensevely, vous dont la celebre memoire triomphe pour jamais du temps et de l' oubly. Venez, heroiques ombres, venez seconder nos efforts : sortez des retraites sombres du profond empire des morts. Les ombres des anciens heros paroissent. ACTE 5 SCENE 3 Logistille. Troupe de feés, troupe d' ombres de heros. Logistille Roland, courez aux armes. Que la gloire a de charmes ! L' amour de ses divins appas fait vivre au delà du trepas Logistille et le choeur des ombres des heros. Roland, courez aux armes. Que la gloire a de charmes ! à la voix des heros, Roland sort de son sommeil, et recommence à se servir de sa raison. Roland quel secours vient me desgager de ma fatale flame ? Ciel ! Sans horreur puis-je songer au desordre où l' amour avoit reduit mon ame ! Errant, insensé, furieux, j' ay fait de ma foiblesse un spectacle odieux ; quel reproche à jamais ne dois-je point me faire ? Malheureux ! La raison m' esclaire pour offrir ma honte à mes yeux ! Que survivre à ma gloire est un suplice extreme ! Infortuné Roland, cherche un antre escarté, va, s' il se peut, te cacher à toy mesme dans l' eternelle obscurité. Logistille arrestant Roland. Moderez la tristesse qui saisit vostre coeur : quel heros, quel vainqueur est exempt de foiblesse ? Le choeur des ombres des heros. Sortez pour jamais en ce jour des liens honteux de l' amour. Logistille allez, suivez la gloire. Roland allons, courons aux armes. Que la gloire a de charmes ! Le choeur des feés et le choeur des ombres des heros. Roland, courez aux armes que la gloire a de charmes. Les fées, et les ombres des heros, tesmoignent par des danses, la joye qu' elles ont de la guerison de Roland, la gloire suivie de la renommée et precedée de la terreur vient presser Roland d' aller délivrer son pays. ACTE 5 SCENE 4 La gloire, la renommée, la terreur, suite de la gloire, Roland, Logistille, troupe de feés, troupe d' ombres de heros. La Gloire Roland il faut armer vostre invincible bras. La terreur se prepare à devancer vos pas sauvez vostre pays d' une guerre cruelle ne suivez plus l' amour c' est un guide infidelle non, n' oubliez jamais les maux que l' amour vous a faits. Roland reprend ses armes que les fées et les heros luy presentent, il tesmoigne l' impatience qu' il a de partir pour obeïr à la gloire, et la terreur vole devant luy. Les fées et les heros dansent pour tesmoigner leur joye ; et Logistille, le choeur de la suite de la gloire, les choeurs des fées et des heros chantent ensemble. Logistille et Les Choeurs. La gloire vous appelle, ne soûpirez plus que pour elle, non, n' oubliez jamais les maux que l' amour vous a faits. |