ROLAND

Tragédie en musique, représentée devant S. M., à
Versailles, le huitième janvier 1685 / [paroles de Quinault,
musique de Lulli]

PROLOGUE

Le theatre represente le palais de Demogorgon.
Demogorgon est sur son thrône, accompagné d' une
troupe de genies, et d' une troupe de fées.
Demogorgon.
	Le ciel qui m' a fait vostre roy,
	dans vostre destin m' interesse.
	Je vous assemble icy pour calmer vostre effroy ;
	il est temps que les jeux chassent vostre tristesse.
	La paix fuyoit au bruit des terribles combats,
	mais la voix du vainqueur la rapelle icy bas.
	La guerre impitoyable, et ses fureurs affreuses,
	ne ravageront point vos retraites heureuses.
	Tout cede au plus grand des heros,
	en vain l' envie et la rage s' assemblent,
	il ne punit ses ennemis qui tremblent,
	qu' en les condamnant au repos.
Demogorgon, La Principale Fée, Et Les Choeurs
Des Genies Et Des Fées
	on n' entend plus le bruit des armes.
	Doux plaisirs, reprenez vos charmes.
	Jeux innocents, venez vous rassembler.
	Rien ne vous peut troubler.
Les fées témoignent leur joye en dansant et en
chantant.
Le Choeur Des Fées
	que la guerre est effroyable !
	Quel bien est plus doux que la paix ?
	Peut-on trop cherir ses attraits ?
	Que son regne est aimable !
	Qu' il dure à jamais.
	Nous n' aurons que de beaux jours.
	Que de jeux vont paraistre !
	Que nous verrons naistre
	de tendres amours !
	Tout rit, tout enchante.
	Chantons la paix charmante,
	chantons le sort heureux
	qui va combler nos voeux.
	Chantons tous la paix charmante
	chantons le sort heureux
	qui va combler nos voeux.
La Principale Fée
	au milieu d' une paix profonde,
	offrons des jeux nouveaux au heros glorieux
	qui prend soin du bonheur du monde.
	Allons nous transformer pour paroistre à ses yeux.
Demogorgon
	du celebre Roland renouvellons l' histoire.
	La France luy donna le jour.
	Montrons les erreurs où l' amour
	peut engager un coeur qui neglige la gloire.
Demogorgon Et La Principale Fée
	allons faire entendre nos voix
	sur les bords heureux de la Seine,
	allons faire entendre nos voix
	au vainqueur dont tout suit les loix.
Demogorgon
	il avoit mis aux fers la discorde inhumaine ;
	en vain elle a rompu sa chaîne,
	il l' enchaîne encore une fois.
Demogorgon La Principale Fée Et Les Choeurs
	allons faire entendre nos voix
	sur les bords heureux de la Seine,
	allons faire entendre nos voix
	au vainqueur dont tout suit les loix.
Les genies et les fées font un essay des danses et
des chansons qu' ils veulent preparer.
Une fée chante, et les choeurs des genies et des
fées luy respondent.
	C' est l' amour qui nous menace ;
	que de coeurs sont en danger !
	Quelques maux que l' amour fasse,
	on ne peut s' en dégager.
	Il revient quand on le chasse,
	il se plaist à se vanger.
	C' est l' amour qui nous menace ;
	que de coeurs sont en danger !
Demogorgon, la principale fée, et les choeurs des
genies et des fées, chantent ensemble.
	Le vainqueur a contraint la guerre
	d' esteindre son flambeau.
	Il rend le repos à la terre,
	quel triomphe est plus beau !

ACTE 1 SCENE 1
Le theatre represente un hameau.
Angelique
	ah ! Que mon coeur est agitté !
	L' amour y combat la fierté,
	je ne sçay qui des deux l' emporte ;
	quelquefois la fierté demeure la plus forte,
	quelquefois l' amour est vainqueur ;
	de moment en moment une guerre mortelle
	dans mon ame se renouvelle.
	Quel trouble ! Helas ! Quelle rigueur !
	Funeste amour, fierté cruelle,
	ne cesserez-vous point de deschirer mon coeur ?

ACTE 1 SCENE 2

Angelique Temire
Temire
	vous avez peu d' impatience
	de voir le riche don qu' on va vous presenter.
	C' est un prix que Roland vous a fait apporter
	des rivages lointains où le jour prend naissance.
	Pour vous par mille exploits il a sçeu l' achepter,
	serez-vous sans reconnoissance ?
	Faut-t' il que tant d' amour ne puisse meriter
	qu' une éternelle indifference ?
Angelique.
	L' invincible Roland n' a que trop fait pour moy,
	fay-moy resouvenir de ce que je luy doy.
Temire
	pourriez-vous oublier l' ardeur dont il vous aime ?
Angelique
	je songe, autant que je le puis,
	à sa rare valeur, à son amour extréme :
	mais malgré tous mes soins dans le trouble où je suis
	je crains de m' oublier moy-mesme.
	Je crains que ma fierté ne succombe en ce jour.
Temire
	aimez Roland à vostre tour,
	il n' est point de climats où sa gloire ne vole.
	Du moins, la fierté se console
	quand la gloire l' oblige à ceder à l' amour.
	Roland reverse tout par l' effort de ses armes
	son bras sçait affermir un trosne chancelant...
Angelique
	helas ! Helas ! Que Medor a de charmes !
	Ah ! Que n' a-t' il la gloire de Roland !
Temire
	Medor !
Angelique
	ma foiblesse t' estonne.
	Ne me déguise rien, parle, je te l' ordonne,
	represente à mon coeur la honte de son choix.
Temire
	Medor d' un sang obscur a receu la lumiere.
	Pourroit-il estre aimé d' une reyne si fiere ?
	D' une reyne qui sous ses loix
	ne voit qu' avec mespris les heros et les roys ?
Angelique
	mon coeur estoit tranquille, et croyoit toûjours
	l' estre,
	quand je trouvay Medor, blessé, prés de mourir.
	La pitié dans ce lieu champestre
	m' arresta pour le secourir.
	Le prix de mon secours est le mal que j' endure ;
	la pitié pour Medor a sçeu trop m' attendrir.
	Ma funeste langueur s' augmentoit à mesure
	qu' il guerissoit de sa blessure,
	si je suis en danger de ne jamais guerir.
Temire
	esloignez de vos yeux ce qui peut trop vous plaire.
Angelique
	ma gloire le demande, il faut la satisfaire :
	il faut bannir Medor... bannir Medor ? Helas !
	C' est me condamner au trépas.
	Il n' importe, il le faut, qu' il parte, qu' il me
	quitte.
Elle aperçoit Medor.
	Il resve, il tourne icy ses pas.
	Que je suis interdite !
	Ne m' abandonne pas.
Angelique et Temire se retirent.

ACTE 1 SCENE 3

Medor
	ah ! Quel tourment
	de garder en aimant
	un éternel silence !
	Ah quel tourment
	d' aimer sans esperance !
	J' aime une reyne, helas ! Par quel enchantement
	ay-je oublié son rang et ma naissance,
	et combien entre nous le sort met de distance ?
	Malheureux que je suis, j' aime un objet charmant
	que tant de roys ont aimé vainement !
	Je doy cacher un amour qui l' offence ;
	il faut me faire à tout moment
	une cruelle violence.
	Ah ! Quel tourment
	de garder en aimant
	un éternel silence !
	Ah quel tourment
	d' aimer sans esperance !

ACTE 1 SCENE 4

Medor, Angelique, Temire
Medor
	de la part de Roland, on vient jusqu' en ces
	lieux
	vous offrir un don precieux.
	Il vous aime, il vous sert, son amour peut paraistre,
	et tout absent qu' il est, il vous le fait connaistre :
	ses travaux quels qu' ils soient sont trop
	recompensez,
	ô trop heureux Roland !
Angelique
	Roland sera peut-estre
	moins heureux que vous ne pensez.
	Plus son amour éclate, et plus il m' importune,
	j' ay honte de luy trop devoir.
	Non, n' enviez point sa fortune.
Medor
	il est vray qu' il n' a pas le plaisir de vous voir.
Angelique
	je le fuis, et sans luy desormais je n' aspire
	qu' à retourner dans mon empire.
	Enfin, Medor, enfin, je veux sçavoir
	si j' ay sur vous un absolu pouvoir.
Medor
	vous estes de mon sort maistresse souveraine.
	Je servois un grand roy, javois suivy ses pas
	des rivages du nil jusqu' aux bords de la seine.
	Il est mort en cherchant la gloire et les combats ;
	sans vous j' allois le suivre au delà du trépas.
	Vous servir est ma seule envie,
	j' en fais mon espoir le plus doux ;
	vous m' avez conservé la vie,
	heureux si je la pers pour vous !
Angelique
	Medor, vous avez lieu de croire
	que je m' interesse en vos jours :
	j' en ay pris soin, le ciel a beny mon secours,
	à la fin il est temps d' avoir soin de ma gloire.
	Par pitié, prés de vous, j' ay voulu demeurer,
	tandis que mon secours vous estoit necessaire :
	ma pitié n' a plus rien à faire,
	il est temps de nous separer.
	Partez Medor.
Medor
	ô ciel !
Angelique
	partez sans differer.
Medor
	helas ! Ay-je pû vous déplaire ?
Angelique
	non, non, je n' ay point de colere...
	laissons des discours superflus.
	Partez.
Medor
	je ne vous verray plus !
Angelique
	choisissez ou vous voulez vivre,
	je prendray soin de vostre sort.
Medor
	vous me deffendez de vous suivre,
	je ne veux chercher que la mort.
Angelique
	vivez, conservez mon ouvrage,
	songez que c' est me faire outrage
	de voir vos jours avec mespris,
	apres le soin que j' en ay pris.
Medor
	vous voulez que je vive, et vostre arrest me chasse,
	mes jours à vous servir ne sont pas reservez.
	Eh que voulez-vous que je fasse
	de ces jours malheureux que vous m' avez sauvez ?
Angelique
	puissiez-vous loin de moy joüir d' un sort paisible.
Medor
	loin de vous ! Ciel ! Est-t' il possible ?
	Ah ! Falloit-t' il me secourir ?
	Que ne me laissiez-vous mourir ?
Angelique
	terminons des regrets qui pourroient trop s' étendre :
	ne me dites plus rien, je ne veux rien entendre.
	Il est temps de nous separer ;
	partez Medor.
Medor
	ô ciel !
Angelique
	partez sans differer.

ACTE 1 SCENE 5

Angelique, Temire
Angelique
	je ne verray plus ce que j' aime.
	Conçois-tu bien l' effort extréme
	que pour bannir Medor je me fais aujourd' huy ?
	Il part desesperé, tu vois où je l' expose :
	il va mourir, j' en suis la cause,
	je mourray bientost apres luy.
	Non, un trop tendre amour dans ses jours m' interesse.
	Non, qu' il ne parte point, allons le rappeller...
	infortunée ! Où veux-je aller ?
	Je vais trahir ma gloire, et montrer ma foiblesse.
	Ciel ! Quel est mon malheur !
	S' il faut que l' amour me surmonte,
	je doy mourir de honte ;
	s' il faut l' arracher de mon coeur,
	je mourray de douleur.
Temire
	le secours de l' absence
	est un puissant secours.
	C' est l' unique esperance
	des coeurs qui veulent fuïr les funestes amours.
Angelique
	le secours de l' absence
	est un cruel secours.
	Ah ! Quelle violence
	de fuïr incessamment ce qui charme tousjours.
Temire et Angelique.
	Le secours de l' absence
Temire
	est un puissant, cruel secours.
Angelique
	est un puissant, cruel secours.
Angelique
	quoy ! Medor pour jamais d' avec moy se separe !
	Devois-tu m' inspirer un dessein si barbare ?
	Temire, j' ay suivy tes conseils rigoureux.
	Fay revenir Medor ; que rien ne te retienne,
	va, cours... mais s' il revient... n' importe, qu' il
	revienne...
	attend... je veux... helas ! Sçai-je ce que je veux ?
Temire
	voyez ces estrangers, contraignez-vous pour eux.
Angelique
	ne puis-je en liberté soupirer et me plaindre ?
	Faudra-t' il tousjours me contraindre ?
	Sans Medor, tout me semble affreux.
	Va le voir, et du moins console un malheureux.

ACTE 1 SCENE 6

Ziliante. Troupe d' insulaires orientaux.
Ziliante presentant un brasselet à Angelique.
	Au genereux Roland je doy ma delivrance ;
	d' un charme affreux sa valeur m' a sauvé ;
	il n' a voulu de ma reconnoissance
	que ce present qu' il vous a reservé.
	Je viens, pour vous l' offrir, du rivage où l' aurore
	ouvre la barriere du jour.
	Vous embrasez Roland d' un feu qui le devore,
	mais qui peut voir la beauté qu' il adore
	voit sans estonnement l' excez de son amour.
	Triomphez, charmante reyne,
	triomphez des plus grands coeurs.
	Ce n' est qu' aux plus fameux vainqueurs
	qu' il est permis de porter vostre chaîne.
	Triomphez, charmante reyne,
	triomphez des plus grands coeurs.
Le choeur des insulaires chante ces derniers vers
dans le temps que Ziliante presente le brasselet à
Angelique, et les autres insulaires dansent à la
maniere de leur païs.
Le Choeur des insulaires.
	Triomphez, charmante reyne,
	triomphez des plus grands coeurs.
	Ce n' est qu' aux plus fameux vainqueurs
	qu' il est permis de porter vostre chaîne.
	Triomphez, charmante reyne,
	triomphez des plus grands coeurs
deux insulaires.
	Dans nos climats
	sans chagrin on soûpire,
	l' amour dont nous suivons l' empire
	n' a que des appas.
	Fuyons les belles
	cruelles,
	craignons leur pouvoir,
	que sert-t' il de les voir ?
	Ah ! Gardons-nous d' un amour sans espoir.
	Quelle peine !
	Quel tourment !
	D' estre amant
	d' une inhumaine !
	Si nous devenons amoureux
	aimons pour estre heureux.
	Sans les amours
	on s' ennuiroit de vivre,
	mais nous devons cesser de suivre
	qui nous fuït tousjours.
	Fuyons les belles
	cruelles, etc.

ACTE 2 SCENE 1

Le theatre change, et represente la
fontaine enchantée de l' amour, au milieu
d' une forest.
Angelique, Temire, suite d' Angelique.
Temire
	un charme dangereux dans ces bois vous attire,
	il faut en détourner vos pas
	l' amour regne en ces lieux, évitez ses appas,
	heureux qui peut fuïr son empire !
Angelique
	je porte au fond du coeur mon funeste martire.
	Helas ! Où puis-je aller ? Où puis-je fuïr ? Helas !
	Où l' amour ne me suive pas ?
	Ah ! J' ay banny Medor, ma tristesse est mortelle,
	que ne le pressois-tu de me desobeïr ?
Temire
	je devois vous estre fidelle.
Angelique
	pour empescher ma mort n' osois-tu me trahir ?
	ô fidelité trop cruelle !
	Le trouble de mon coeur ne peut plus se calmer,
	non, je n' espere plus de remede à mes peines.
	Merlin, dans ces forests enchanta deux fontaines
	dont l' une fait haïr, et l' autre fait aimer.
	C' est la fontaine de la haine
	que je veux chercher en ce jour ;
	helas ! Que me sert-t' il de prendre un long détour !
	Je m' égare en ces bois, et ma recherche est vaine :
	tousjours un sort fatal malgré-moy me rameine
	à la fontaine de l' amour.
Temire
	vous devez vous guerir du mal qui vous possede,
	nayez rien à vous reprocher.
	Vous en trouverez le remede
	si vous le voulez bien chercher.
Angelique
	non, je ne cherche plus la fontaine terrible
	qui fait d' un tendre amour une haine inflexible ;
	c' est un secours cruel, je n' y puis recourir.
	Je haïrois Medor ! Non, il n' est pas possible,
	par ce remede affreux je ne veux point guerir,
	je consens plustost à mourir.
Temire chante avec un suivant et une suivante
d' Angelique.
	Non, on ne peut trop plaindre
	un coeur qui se laisse enflammer :
	ah ! Quel tourment d' aimer !
	Que le feu d' amour est à craindre !
	Qu' il est aisé de l' allumer !
	Qu' il est malaisé de l' esteindre !
	Non, on ne peut trop plaindre
	un coeur qui se laisse enflammer ;
	ah ! Quel tourment d' aimer !
Angelique
	quelqu' un vient, c' est Roland.
Temire
	ce guerrier invincible
	abandonne tout pour vous voir.
Angelique
	il se flatte d' un vain espoir.
	Cet anneau quand je veux peut me rendre invisible
Angelique met dans sa bouche un anneau dont
la puissance magique la rend invisible.

ACTE 2 SCENE 2

Roland, Angelique devenuë invisible. Temire.
Suite d' Angelique.
Roland
	belle Angelique, enfin, je vous trouve en ces
	lieux
	ciel ! Quel enchantement vous desrobe à mes yeux !
	Angelique, charmante reyne.
	Mes cris font vainement retentir ces forests.
	Angelique, ingrate, inhumaine.
	Quel plaisir trouvez-vous dans mes tristes regrets ?
	Angelique, ingrate, inhumaint,
	quel barbare plaisir trouvez-vous dans ma peine ?
Roland parle à Temire.
	Quelle cruauté ! Quel mespris !
	Tu sçais ce que j' ay fait pour elle,
	tu connois mon amour fidelle,
	et tu vois quel en est le prix.
	Quelle cruauté ! Quel mespris !
Temire
	peut-on vous mepriser sans crime ?
	La valeur vous a fait un merite esclatant.
	Si vous n' aviez jamais voulu que de l' estime,
	quel mortel seroit plus content !
Roland
	que devient ma vertu ? Ma force est inutile.
	Eh ! Que me sert-t' il aujourd' huy
	d' avoir les dons du ciel qu' eust autrefois Achille ?
	Je laisse mon roy sans appuy.
	Il n' a plus desormais que Paris pour azile ;
	les cruels affriquains vont triompher de luy.
	Je voy le sort affreux de ma triste patrie ;
	elle est preste à tomber sous de barbares loix :
	j' entends sa gemissante voix :
	mais c' est vainement qu' elle crie,
	un malheureux amour m' enchante dans ces bois.
	Angelique. En vain je l' appelle ;
	elle est sans pitié la cruelle,
	eh ! Pourquoy tant souffrir ! Pourquoy
	n' aurai-je pas pitié de moy ?
	C' en est fait, et je veux que l' ingrate le sçache :
	c' en est fait pour jamais, mes liens sont rompus ;
	non, je ne la chercheray plus,
	c' est vainement qu' elle se cache.
	Non, je ne veux plus voir sa fatale beauté,
	il ne m' en a que trop cousté.
	Le dépit esteint ma flâme :
	heureuse la cruauté
	qui rend la paix à mon ame !
	Heureuse la cruauté
	qui me rend la liberté !
	Malheureux ! Je me flate, et ma colere est vaine.
	Lasche ! Ne puis-je rompre une honteuse chaine ?
	Que je sens de troubles secrets !
	Mon coeur suit malgré-moy de funestes attraits,
	je cede au charme qui m' entraine.
	Angelique, ingrate, inhumaine,
	quel plaisir trouvez-vous dans mes tristes regrets ?
	Angelique, ingrate, inhumaine,
	quel barbare plaisir trouvez-vous dans ma peine ?
	Angelique voyant Roland esloigné oste son
	anneau magique de sa bouche, et se montre à
	Temire.

ACTE 2 SCENE 3

Angelique, Temire
Temire
	ou dois-je aller ? ... je vous revoy.
Angelique
	je ne me cache pas pour toy.
Temire
	Roland vous cherche en vain dans ce lieu solitaire
Angelique
	mon coeur est engagé, Roland ne peut me plaire,
	quel espoir luy pourrois-je offrir ?
	Je le fuis par pitié, je ne sçaurois mieux faire
	que de l' aider à se guerir.
	Où peut estre Medor ? Le desespoir le presse.
	Que ne puis-je le retrouver !
	Au moins j' y veux songer sans cesse.
Temire
	vostre coeur pour Roland devoit se reserver...
Angelique
	parle-moy de Medor, ou laisse-moy resver.
	C' est l' amour qui prend soin luy-mesme
	d' embellir ces aimables lieux ;
	mais je n' y voy pas ce que j' aime,
	rien n' y sçauroit plaire à mes yeux.

ACTE 2 SCENE 4

Medor, Angelique, Temire
Medor
	agreables retraites,
	l' amour qui vous a faites
	vous destine aux amants contents.
	Je trouble vos douceurs secretes,
	mais dans mon desespoir mes plaintes indiscretes
	ne vous troubleront pas long-temps.
Angelique
	c' est Medor que je viens d' entendre ! Ciel !
	Temire voulant arrester Angelique.
	Quoy, vous le verrez ?
Angelique
	eh ! Puis-je m' en deffendre ?
	C' est trop suivre un cruel devoir ;
	je retrouve Medor, l' amour veut me le rendre,
	je ne puis vivre sans le voir.
Medor
	fontaine, qui d' une eau si pure
	arrosez ces brillantes fleurs,
	en vain, vostre charmant murmure
	flatte le tourment que j' endure.
	Rien ne peut enchanter mes mortelles douleurs.
	Ce que j' aime me fuit, et je fuis tout le monde :
	pourquoy traisner plus loin ma vie et mes malheurs,
	ruisseaux, je vais mesler mon sang avec vostre onde,
	c' est trop peu d' y mesler mes pleurs.
Medor tire son espée pour s' en fraper et Angelique
l' arreste.
Angelique
	vivez, Medor.
Medor
	reyne adorable,
	vous avez trop de soin des jours d' un miserable.
Angelique
	pourquoy courez-vous au trépas ?
Medor
	c' est un suplice insuportable
	de vivre et de ne vous voir pas.
Angelique
	je croyois que sur vous j' avois plus de puissance.
Medor
	helas ! Si vous pouviez sçavoir
	jusqu' à quel point je vous offense...
Angelique
	rien ne m' offense tant que vostre desespoir.
Medor
	je vivray, si c' est vostre envie ;
	je vous voy, mon sort est trop doux :
	mais s' il faut m' esloigner de vous,
	je ne repons pas de ma vie.
Angelique
	prenez soin de vos jours, Medor, vous le devez,
	il m' en couste assez cher de les avoir sauvez :
	ils me sont precieux, je vous l' ay fait connaistre.
Medor
	genereuse reyne, achevez,
	sans vous puis-je vivre ?
Angelique
	vivez
	à quelque prix que ce puisse estre.
Medor
	ô ciel ! Qu' entend-je !
Angelique
	il n' est plus temps
	que nous craignions tous deux de nous en trop
	aprendre :
	nous n' en disons que trop, Medor, je vous entends,
	et je vous permets de m' entendre.
Medor
	à vos pieds...
	levez-vous, j' ay droit de faire un roy.
	Je veux unir sous mesme loy
	vostre destinée et la mienne.
Medor
	ah ! Plus vous oubliez vostre grandeur pour moy,
	plus il faut que je m' en souvienne.
Angelique
	ma gloire murmure en ce jour,
	je voy mon sort trop au dessus du vostre :
	mais qui peut empescher l' amour
	d' unir deux coeurs qu' il a faits l' un pour l' autre ?
Medor
	tesmoins du desespoir dont mon coeur fut pressé,
	lieux ou la mort fut mon unique attente,
	qui l' auroit dit ! Qui l' eust jamais pensé
	que vous seriez tesmoins du bonheur qui m' enchante.

ACTE 2 SCENE 5

L' amour, troupe d' amours, troupe de sirenes,
troupe de dieux des eaux, troupe de nymphes
et de silvains, troupe d' amants enchantez, et
d' amantes enchantées.
Choeur Des Amours qui sont autour de
la fontaine.
	Aimez, aimez-vous.
Angelique, Medor, et les Choeurs.
	Aimons, aimons-nous.
Choeur Des Amours
	l' amour vous appelle.
	Que sa flame est belle !
	L' amour vous appelle tous.
	Aimez, aimez-vous.
Angelique, Medor, et les Choeurs.
	L' amour nous appelle,
	que sa flame est belle !
	L' amour nous appelle tous.
	Aimons, aimons-nous.
Choeur Des Amours
	il punit un coeur rebelle
	on n' évite point ses coups.
Angelique, Medor, et les choeurs.
	Quel bien est plus doux
	qu' un amour fidelle ?
Choeur Des Amours
	aimez, aimez-vous.
Angelique, Medor, et les choeurs.
	Aimons, aimons-nous :
	l' amour nous appelle.
	Que sa flame est belle !
	L' amour nous appelle tous :
	aimons, aimons-nous.
Les amants enchantez, et les amantes enchantées
dansent autour de Medor et d' Angelique.
Deux amantes enchantées.
	Qui gouste de ces eaux ne peut plus se deffendre
	de suivre d' amoureuses loix :
	goustons en, mille et mille fois,
	quand on prend de l' amour, on n' en sçauroit trop
	prendre.
Le Petit Choeur
	que pour jamais un noeud charmant nous lie.
Le Grand Choeur
	tendres amours,
	enchantez-nous toûjours.
	Triste raison nous fuyons ton secours.
Le Petit Choeur
	ô douce vie,
	digne d' envie !
Le Grand Choeur
	ô jours heureux, que l' on vous trouve courts !
Le Petit Choeur
	sans rien aimer comment peut-t' on vivre ?
Le Grand Choeur
	que de plaisirs, que de jeux vont nous suivre !
Le Petit Choeur
	tendres amours,
	enchantez-nous toûjours.
	Fermons nos coeurs à des flammes nouvelles.
Le Grand Choeur
	gardons nous bien d' esteindre un feu si beau.
Le Petit Choeur
	vivons heureux dans des chaines si belles.
Le Grand Choeur
	portons nos fers jusques dans le tombeau.
Le Petit Choeur
	ô douce vie,
	digne d' envie !
Le Grand Choeur
	tendres amours,
	enchantez-nous toûjours.
Les amants enchantez, et les amantes enchantées,
accompagnent en dansant, Medor et Angelique ;
l' amour et les amours volent, et leur servent
de guides.

ACTE 3 SCENE 1

Le theatre change, et represente un
port de mer.
Medor, Temire
Medor
	non, je n' entends vos conseils qu' avec
	peine,
	pour nuire à mon amour, vous avez tout tenté.
Temire
	vos jours sont en peril, ils sont chers à ma reyne,
	ne doutez point de ma fidelité.
	Roland est dans ces lieux, c' est un rival terrible,
	et vostre perte est infaillible
	si vous vous exposez à son fatal couroux.
Medor
	un malheureux doit voir le trépas sans allarmes.
	Vostre bonheur fera mille jaloux,
	une fiere beauté vous a rendu les armes,
	vos deux coeurs sont unis, par les noeuds le plus
	doux.
	Ah ! Si la vie est sans appas pour vous,
	pour qui peut-t' elle avoir des charmes ?
	Regardez le glorieux sort
	que la reyne avec vous partage.
	Ses plus zelez sujets, l' attendoient dans ce port ;
	avant que d' en partir, son ordre les engage
	à vous rendre un pompeux hommage.
	Comme leur souverain, ils vont vous recevoir...
Medor
	la reyne ma quitté, Roland est avec elle.
Temire
	il la verra fiere, et cruelle.
Medor
	n' importe, c' est tousjours la voir,
	mon inquietude est mortelle :
	eh ! Ne craint-t' elle point, Roland au desespoir ?
Temire
	elle le craint pour vous, c' est son unique envie
	de mettre en l' éloignant, vos jours en seureté.
Medor
	s' il faut que ma felicité
	par mon rival me soit ravie,
	c' est une cruauté
	d' avoir soin de ma vie.
Temire
	de ces sombres chagrins, il faut vous delivrer.
Medor
	je n' osois pas esperer
	le bien que l' amour me donne ;
	un si grand bonheur m' estonne,
	et j' ay peine à m' assûrer
	qu' il puisse long-temps durer.
Temire
	retirons-nous, Roland s' avance.
	S' il a de vostre amour la moindre connoissance
	rien ne vous pourra secourir.
Medor
	je le veux observer, en deussai-je perir.
Medor se tient à l' écart, et écoute Roland et
Angelique.

ACTE 3 SCENE 2

Roland, Angelique
Roland
	faut-t' il encor que je vous aime ?
	Je doy rougir de ma foiblesse extreme ;
	ingrate, vous en abusez :
	plus je vous sers, plus vous me mesprisez :
	qu' elle honte à mon coeur d' estre encor si fidelle !
	Pourquoy vous trouvai-je si belle ?
	Non, avec tant d' attraits si charmants et si doux,
	vous ne meritez pas, cruelle,
	l' amour que j' ay pour vous.
Angelique
	je n' ay point perdu la memoire
	de ce que je vous doy.
	Vous seriez delivré du trouble ou je vous voy
	si vous aviez voulu me croire.
	Vous le sçavez, c' est malgré moy
	qu' un si grand coeur s' obstine à languir sous ma
	loy,
	j' ay fait ce que j' ay pû pour le rendre à la gloire.
Roland
	ah ! Je ne sçay que trop avec quelle rigueur
	vous punissez mon lasche coeur ;
	vostre mespris éclate, il n' est plus temps de
	feindre,
	tous les déguisements sont vains.
	Je pardonne au mespris du reste des humains,
	je l' ay bien merité, j' aurois tort de m' en plaindre.
	J' abandonne ma gloire, et la laisse ternir,
	je cheris le trait qui me blesse,
	de mon égarement je ne puis revenir ;
	mais vous causez ma foiblesse,
	est-ce à vous de m' en punir ?
Angelique
	helas !
Roland
	dans ce soûpir quelle part puis-je prendre ?
	Peut-estre un soûpir si tendre
	s' adresse à quelqu' autre amant :
	me le faites vous entendre
	pour redoubler mon tourment ?
	Inhumaine ! Ah s' il est possible
	qu' au mespris d' un amour qui n' eust jamais
	d' esgal
	pour un autre que moy vous deveniez sensible,
	tremblez pour mon heureux rival.
	Dans vos yeux inquiets je lis mon infortune.
	Ma presence vous importune ?
	Vous ne songez qu' à me quitter ?
Angelique
	si je voulois vous fuïr, qui pourroit m' arrester ?
	Je vous ay déja fait connaistre
	qu' il m' est aisé de disparaistre
	aux regards importuns que je veux éviter.
Roland
	ah ! Du moins, laissez-moy le seul bien qui me
	reste ;
	laissez-moy la douceur funeste
	de voir de si charmants appas.
	C' est sans espoir que je suivray vos pas ;
	vous ne serez jamais à mes voeux favorable,
	je vous verray toûjours impitoyable,
	mais le plus grand des maux est de ne vous voir
	pas.
Angelique
	que ne puis-je vous fuïr encore ?
Roland
	pourquoy craindre qui vous adore ?
Angelique
	helas ! Pourquoy m' aimez vous tant ?
	Un heros indomptable
	n' est que trop redoutable
	avec un amour si constant.
Roland
	ciel ! ô ciel ! C' est pour moy qu' Angelique
	soûpire !
Angelique
	vous me contraignez d' en trop dire.
Roland
	vous m' aimez !
Angelique
	je ne puis l' avoüer qu' a regret.
	Vostre constance est triomphante,
	n' en faites point un esclat indiscret,
	espargnez ma fierté mourante
	contentez-vous d' un triomphe secret.
Roland
	en des lieux escartez, dans une paix profonde,
	allons jouïr du sort qui va combler nos voeux.
	Que deux coeurs unis sont heureux
	d' oublier le reste du monde.
Angelique
	laissez-moy r' envoyer des peuples empressez
	dont nous serions embarassez ;
	attendez-moy plus loin, j' iray par tout vous suivre,
	c' est pour vous seul que je veux vivre.

ACTE 3 SCENE 3

Angelique, Medor, Temire
Medor
	ah ! Je souffre un tourment plus cruel que la
	mort !
Temire
	où voulez-vous aller ? Que pouvez vous pretendre ?
Angelique
	laisse-moy calmer son transport,
	voy, si Roland ne peut point nous entendre.
Temire va du costé où Roland est passé.

ACTE 3 SCENE 4

Angelique, Medor
Medor
	se peut-t' il qu' à ses voeux vous ayez respondu ?
Angelique
	voulez-vous m' offencer quand vous devez me
	plaindre ?
	Pour esbloüir Roland je suis reduite à feindre,
	il le faut esloigner, ou vous estes perdu.
Medor
	vous le suivrez ? Non, non, que plustost je perisse.
Angelique
	helas ! Tout le pouvoir humain
	contre luy s' armeroit en vain,
	ne nous armons que d' artifice.
	Medor, je tremble pour vos jours,
	ils sont dans un peril extreme :
	à quoy n' a t' on pas recours
	pour sauver ce que l' on aime ?
Medor
	Roland va m' oster
	l' objet que j' adore,
	qu' ai-je à redouter
	que de vivre encore ?
Angelique
	c' est à vous que mon coeur pour jamais s' est donné ;
	je ne rendray Roland que trop infortuné ;
	l' amour luy vendra cher une vaine esperance.
	Je puis par cét anneau disparaistre à ses yeux ;
	bientost, vous me verrez ; bientost, loin de ces
	lieux,
	nos fidelles amours seront en assûrance,
	je veux metre en vos mains ma supréme puissance.
Medor et Angelique
	ensemble.
	Je ne veux que vostre coeur,
	c' est l' unique empire
	pour qui je soûpire,
	je ne veux que vostre coeur,
	c' est assez pour mon bonheur.
Medor
	vous me quittez, et je demeure
	troublé du chagrin le plus noir :
	ma vie est attachée au plaisir de vous voir ;
	ne vaut-t' il pas mieux que je meure
	par la main de Roland que par mon desespoir.
Angelique
	vivez pour moy, qu' il vous souvienne
	que vostre destinée est unie à la mienne,
	ma mort suivroit vostre trépas :
	evitons un destin tragique ;
	Medor ne veut-t' il pas
	vivre pour Angelique ?
Medor
	si je ne vivois pas pour vous,
	je ne pourrois souffrir la vie.
Angelique
	vivons, l' amour nous y convie,
	reservons-nous
	pour nous aimer malgré l' envie ;
	reservons-nous
	pour vivre heureux loin des jaloux.
	Je ne pourrois souffrir la vie,
	si je ne vivois pas pour vous.
Medor
	vivons l' amour nous y convie,
	reservons-nous
	pour un amour si doux.
Angelique et Medor repetent ensemble ces trois
derniers vers.
	Vivons l' amour nous y convie,
	reservons-nous
	pour un amour si doux.

ACTE 3 SCENE 5

Troupe de peuples de Catay. Sujets d' Angelique,
Angelique, Medor.
Angelique parlant à ses sujets.
	Vous qui voulez faire paraistre
	le zele ardent que vous avez pour moy,
	reconnoissez Medor pour vostre maistre,
	rendez hommage à vostre roy.
Angelique va retrouver Roland pour l' esloigner
du port ou elle veut venir s' embarquer avec
Medor.

ACTE 3 SCENE 6

Les peuples de Catay, sujets d' Angelique,
rendent hommage à Medor ; ils l' eslevent sur un
throne, et tesmoignent par leurs chants et
par leurs danses la joye qu' ils ont de le
reconnoistre pour leur souverain.
Le Choeur.
	C' est Medor qu' une reyne si belle
	a choisy pour regner avec elle.
	Plus heureux que luy ?
Un des sujets d' Angelique.
	Malgré l' orgüeil du grand nom de reyne,
	elle se rend, et l' amour l' enchaîne ;
	de mille et mille amants son coeur s' estoit sauvé,
	pour l' aimable Medor il estoit reservé.
Une des suivantes d' Angelique.
	Trop heureux un amant qui s' exempte
	des chagrins d' une ennuyeuse attente !
	Que l' amour pour Medor a fait d' aimables
	noeuds !
	à peine est-t' il amant qu' il est amant heureux.
Le Choeur
	ses rivaux n' ont plus rien à pretendre,
	que de plaintes se vont faire entendre !
	Au premier bruit d' un choix si doux
	que de roys seront jaloux !
	Nous venons tous
	vous presenter nostre hommage ;
	regner sur nous
	est vostre moindre avantage.
	L' amour donne un bonheur qui vaut mieux mille
	fois
	que la pompe qui suit les plus superbes roys.
Un des sujets d' Angelique.
	Angelique n' est plus insensible,
	sa fierté se croyoit invincible :
	elle fuyoit l' amour, et le fuiroit encor
	sans le charme puissant des regards de Medor.
Le Choeur
	heureux Medor ! Quelle gloire
	d' avoir remporté
	une entiere victoire
	sur tant de fierté !
	Quel bonheur est plus rare !
	Que vos feux sont beaux !
	Que l' amour vous prepare
	de plaisirs nouveaux !
	C' est pour vous que sont faits
	les plus doux de ses traits.
Une des suivantes d' Angelique.
	Un coeur si fier est à son tour
	sensible et tendre :
	Medor l' obtient quand son amour
	n' osoit l' attendre.
	Mais un bonheur qu' on n' attend pas
	n' en a que plus d' appas.
Le Choeur
	vous portez une riche couronne
	un objet plein d' attraits vous la donne.
Un des sujets d' Angelique.
	Qu' il est doux d' accorder l' amour et la grandeur !
	Quand on peut les unir c' est un parfait bonheur.
Une des suivantes d' Angelique.
	Tendres coeurs, puissiez vous aimer tranquillement :
	il n' est point de sort plus charmant.
Le Choeur
	que l' amour en tous lieux vous enchante.
	Qu' à jamais vostre ardeur soit constante.
	Oubliez vos grandeurs plustost que vos amours,
	vostre bonheur despend de vous aimer tousjours.
Le Choeur
	aimez, regnez, en depit de l' envie,
	goustez les biens les plus doux de la vie ;
	la fortune et l' amour, la gloire et les plaisirs,
	puissent t' ils à jamais combler tous vos desirs.
	Dans la paix, dans la guerre,
	dans tous les climats,
	jusqu' au bout de la terre,
	nous suivrons vos pas.
	Puisse l' heureux Medor estre un des plus grands
	roys.
	Puisse-t' il rendre heureux ceux qui suivront ses
	loix.

ACTE 4 SCENE 1

Le theatre change, et represente une
grotte au milieu d' un boccage.
Roland, Astolfe
Roland
	va, ton soin m' importune, Astolfe,
	laisse-moy.
Astolfe
	quel charme vous retient dans ce lieu solitaire ?
Roland
	amy, je n' ay point pour toy
	de secret, n' y de mystere.
	Angelique ne me fuït plus.
	J' estois content de voir sa rigueur adoucie,
	quand nous avons trouvé le roy de Circassie,
	et le superbe Ferragus.
	Tous deux jaloux de mon bonheur extreme,
	m' ont abordé les armes à la main :
	j' allois les en punir, mais la beauté que j' aime
	par son anneau magique a disparu soudain.
	Mes rivaux l' ont suivie envain.
	Elle avoit eû soin de m' aprendre
	le chemin qu' elle vouloit prendre.
	Nous nous sommes promis d' estre à la fin du jour
	à la fontaine de l' amour ;
	je suis venu trop-tost my rendre :
	je vais au devant d' elle, ennuyé de l' attendre,
	je parcours les lieux d' alentour.
	L' objet qui m' enchante
	ne m' a jamais tant charmé :
	que l' amour s' augmente,
	par le plaisir d' estre aimé.
Astolfe
	cét empire en vous seul a mis son esperance :
	si vous ne prenez sa deffense,
	il tombera dans peu de temps
	sous une barbare puissance.
	Songez que vous perdez de precieux instants.
Roland
	je songe au bonheur que j' attens.
	Venez couronner vostre teste
	du laurier immortel qui vous est presenté.
Roland
	je voy l' amour qui s' apreste
	à combler ma felicité ;
	je vais joüir de la conqueste
	d' un coeur qui m' a tant cousté.
	Le grand coeur de Roland n' est fait que pour la
	gloire,
	peut-t' il languir dans un honteux repos ?
	Triomphez de l' amour, il n' est point de victoire
	qui montre mieux la vertu d' un heros.
Roland
	lorsque des rigueurs inhumaines
	ont payé mon amour d' un si cruel tourment,
	je n' ay pû sortir de mes chaînes :
	puis-je me desgager d' un lien si charmant,
	quand je touche à l' heureux moment
	où je doy recevoir le prix de tant de peines ?
	Va, laisse-moy seul dans ces lieux,
	Angelique pour moy sensible,
	veut pour tout autre estre invisible ;
	va, ne l' empesche point de paraistre à mes yeux.
Astolfe se retire et Roland cherche Angelique.

ACTE 4 SCENE 2

Roland seul.
	Ah ! J' attendray long-temps ! La nuit est loin
	encore.
	Quoy le soleil veut-t' il luire tousjours ?
	Jaloux de mon bonheur, il prolonge son cours,
	pour retarder la beauté que j' adore.
	ô nuit, favorisez mes desirs amoureux.
	Pressez l' astre du jour de descendre dans l' onde ;
	despliez dans les airs vos voiles tenebreux :
	je ne troubleray plus par mes cris douloureux
	vostre tranquillité profonde :
	le charmant objet de mes voeux
	n' attend que vous pour rendre heureux
	le plus fidelle amant du monde ;
	ô nuit, favorisez mes desirs amoureux.
	Que ces gazons sont verts ! Que cette grotte est
	belle ?
Roland lit tout bas des vers escrits sur la grotte.
	Ce que je lis m' aprend que l' amour a conduit
	dans ce boccage, loin du bruit,
	deux amants qui brûloient d' un ardeur mutuelle.
	J' espere qu' avec moy l' amour bien-tost icy
	conduira la beauté que j' aime.
	Enchantez d' un bonheur extreme,
	sur ces grottes bien-tost nous escrirons aussi ?
Roland repete tout haut ce qu' il a leu tout bas.
	Beau lieu, doux azile
	de nos heureuses amours,
	puissiez-vous estre tousjours
	charmant et tranquille.
	Voyons tout... qu' est-ce que je voy !
	Ces mots semblent tracez de la main d' Angelique...
Roland lit tout bas deux vers qu' Angelique
a escrits.
	Ciel c' est pour un autre que moy
	que son amour s' explique.
Roland repete tout haut ce qu' il a leu tout bas.
	Angelique engage son coeur ?
	Medor en est vainqueur !
	Elle m' auroit flatté d' une vaine esperance ?
	L' ingrate ! ... n' est-ce point un soupçon qui
	l' offense ?
	Medor en est vainqueur ! Non, je n' ay point encor
	entendu parler de Medor.
	Mon amour auroit lieu de prendre des allarmes,
	si je trouvois icy le nom
	de l' intrepide fils d' Aymon,
	où d' un autre guerrier celebre par les armes.
	Angelique n' a pas osé
	avoüer de son coeur le veritable maistre,
	et je puis aisement connaistre,
	qu' elle parle de moy sous un nom supposé.
	C' est pour moy seul qu' elle soûpire,
	elle me la trop dit et j' en suis trop certain.
	Lisons ces autres mots ; ils sont d' une autre main...
Roland lit deux vers que Medor a escrits.
	Q' uai-je leu... ciel... il faut relire...
Roland repete tout haut ce qu' il a leu tout bas.
	Que Medor est heureux !
	Angelique a comblé ses voeux.
	Ce Medor, quel qu' il soit, se donne icy la gloire
	d' estre l' heureux vainqueur d' un objet si charmant.
	Angelique a comblé les voeux d' un autre amant !
	Elle a pû me trahir ! ... non, je ne le puis croire.
	Non, non, quelqu' envieux a voulu par ces mots
	noircir l' objet que j' aime, et troubler mon repos.
	On entend un bruit de musettes et Roland continuë.
	J' entends un bruit de musique champestre.
	Il faut chercher Angelique en ces lieux.
	Au premier regard de ses yeux
	mes noirs soupçons vont disparaistre.
	Elle s' arrestera, peut-estre,
	à voir danser au son des chalumeaux
	les bergers des prochains hameaux.
Une troupe de bergers et de bergeres, prend
part à la joye de Coridon et de Belise, qui
doivent estre mariez le lendemain, et s' aproche
de la grotte en dansant et en chantant.
Roland n' aperçoit point Angelique, et va la
chercher dans les lieux d' alentour.

ACTE 4 SCENE 3

Coridon, Belise troupe de bergers et de bergeres.
	Quand on vient dans ce boccage,
	peut-t' on s' empescher d' aimer ?
	Que l' amour sous cét ombrage
	sçait bientost nous desarmer !
	Sans effort il nous engage
	dans les noeuds qu' il veut former.
	Quand on vient dans ce boccage,
	peut-t' on s' empescher d' aimer ?
	Que d' oiseaux sur ce feüillage !
	Que leur chant nous doit charmer.
	Nuit et jour par leur ramage
	leur amour veut s' exprimer.
	Quand on vient dans ce boccage,
	peut-t' on s' empescher d' aimer ?
Un berger et une bergere.
	Vivez en paix,
	amants, soyez fidelles,
	aimez vous à jamais.
	Vos ardeurs mutuelles
	combleront vos soûhaits.
	C' est un bonheur extreme
	d' obtenir ce qu' on aime
	sans languir trop long-temps.
	Soyez constants,
	aimez toûjours de mesme
	vivez toûjours contents.
	Que les amours sont belles
	quand elles sont nouvelles !
	Quel bien à plus d' atraits ?
	Vivez en paix,
	amants, soyez fidelles,
	aimez vous à jamais.
Coridon
	j' aimeray tousjours ma bergere.
Belise
	j' aimeray tousjours mon berger.
Coridon
	mon amour est sincere,
	j' aimeray tousjours ma bergere.
Belise
	mon coeur ne peut changer,
	j' aimeray tousjours mon berger.
Coridon et Belise.
	Mon amour est sincere,
	mon coeur ne peut changer.
Coridon
	j' aimeray tousjours ma bergere
Belise
	j' aimeray tousjours mon berger.

ACTE 4 SCENE 4

Roland, Coridon, Belise,
troupe de bergers et de bergeres.
Roland n' ayant point trouvé Angelique, revient
pour en demander des nouvelles aux bergers.
Coridon
	Angelique est reyne, elle est belle,
	mais ses grandeurs n' y ses appas
	ne me rendroient point infidelle,
	je ne quitterois pas
	ma bergere pour elle.
Belise
	quand des riches pays arrosez de la Seine
	le charmant Medor seroit roy,
	quand il pourroit quitter Angelique pour moy,
	et me faire une grande reyne,
	non, je ne voudrois pas encor
	quitter mon berger pour Medor.
Roland
	que dites-vous icy de Medor, d' Angelique ?
Coridon
	ce sont d' heureux amants dont l' histoire est
	publique
	dans tous les hameaux d' alentour.
Belise
	ils ont avec regret quitté ce beau sejour ;
	ces arbres, ces rochers, cette grotte rustique
	tout parle icy de leur amour.
Roland
	ah ! Je succombe au tourment que j' endure.
Coridon
	reposez-vous sur ce lit de verdure.
	Vous paraissez chagrin ; escoutez à loisir
	de ces heureux amants l' agreable aventure,
	vous l' entendrez avec plaisir.
Roland accablé de douleur s' assied sur un gazon,
et escoute avec inquietude ce que Coridon et
Belise luy racontent.
Coridon
	en des lieux où Medor mouroit sans assistance
	Angelique adressa ses pas.
	Elle sçeut se servir d' un art dont la puissance
	garantit Medor du trepas.
Belise
	d' un grand empire Angelique est maistresse
	elle est charmante, elle avoit à son choix
	cent des plus riches roys ;
	Medor est sans biens, sans noblesse ;
	mais Medor est si beau qu' elle la preferé
	à cent roys qui pour elle ont en vain soûpiré.
Coridon
	on ne peut s' aimer d' avantage,
	jamais bonheur ne fût plus doux.
Belise
	ils se sont donné devant nous
	la foy de mariage.
Coridon
	quand le festin fût prest, il fallût les chercher ;
Belise
	ils estoient enchantez dans ces belles retraites.
Coridon
	on eût peine à les arracher
	de l' endroit charmant où vous estes.
	Roland se levant avec precipitation.
	Où suis-je ? Juste ciel ! Où suis-je malheureux.
Belise
	demeurez, et voyez nos danses et nos jeux.
Coridon
	on m' a promis cette belle bergere ;
	honnorez nostre nopce, on la fera demain.
Roland
	où vont-t' ils ces amants ?
Belise
	ils ont prié mon pere
	de les conduire au port le plus prochain.
	Le voicy. Demeurez, si vous me voulez croire,
	vous aprendrez de luy le reste de l' histoire.

ACTE 4 SCENE 5

Tersandre. Roland, Coridon, Belise, le choeur.
Tersandre
	allez, laissez-nous, soins facheux,
	esloignez-vous de nos paisibles jeux.
	Nous possedons un bien inestimable
	qui comblera nos voeux
	laissez couler nos jours heureux
	dans un loisir doux et durable.
	Allez, laissez-nous, soins facheux
	esloignez-vous de nos paisibles jeux.
Coridon, Belise, et Le Choeur.
	Allez, laissez-nous, soins facheux,
	esloignez-vous de nos paisibles jeux.
Tersandre.
	J' ay veu partir du port cette reyne si belle...
Roland
	Angelique est partie !
Tersandre
	et Medor avec elle.
	Elle en fait un grand roy, c' est son unique soin.
Roland
	ils sont partis ensemble !
Tersandre
	ils sont déja bien loin.
	Dans les climats les plus heureux du monde
	ils vont en paix gouster mille plaisirs.
	Jusqu' au vent qui regne sur l' onde
	tout favorise leurs desirs.
Roland à part.
	Ils se sont desrobez tous deux à ma vengeance !
Tersandre parle à Coridon et à Belise.
	Angelique a voulu passer nostre esperance.
	Voyez ce bracelet.
	Roland regardant le bracelet.
	Que vois-je infortuné !
	J' ay fait mettre en ses mains ce prix de mon
	courage ;
	de mon fidelle amour c' est un precieux gage.
Tersandre
	pour le prix de nos soins elle nous la donné.
Roland
	ciel !
Coridon et Belise.
	ô ciel !
Tersandre
	j' ay reçeu ce don de sa main mesme
	nous fumes les tesmoins de son bonheur extreme
	elle a voulu nous rendre heureux.
Roland
	ciel ! Puis-je estre accablé par un coup plus
	affreux !
Tersandre
	mais quel est ce guerrier ? Aisément on devine
	qu' il sort d' une illustre origine.
Coridon
	nous l' avons trouvé dans ces lieux.
Belise
	le trouble de son coeur se montre dans ses yeux.
Coridon
	il s' agitte.
Belise
	il menace.
Coridon
	il pâlit.
Belise
	il soûpire.
Tersandre
	son coeur souffre peut-estre un amoureux martire
	je suis touché de ses douleurs.
Belise
	quels terribles regards !
Roland
	la perfide !
Tersandre
	il murmure.
Coridon
	il fremit !
Belise
	il respand des pleurs.
	Tant de serments ! Ah la parjure !
Tersandre
	ne l' abandonnons pas dans un chagrin si noir.
Roland
	elle rit de mon desespoir.
	Je l' aimois d' une amour si tendre, si fidelle.
Tersandre
	ses regards sont plus doux.
Coridon
	il est moins agitté.
Roland
	j' ay crû vivre heureux avec elle
	helas ! Qu' elle felicité !
Tersandre
	non, je n' en doute point c' est l' amour qui le blesse.
Belise
	l' amour peut-t' il causer cette sombre tristesse ?
	On a veu des amants si contents dans ces bois.
Tersandre
	qui suit les amoureuses loix
	s' expose à des maux redoutables.
	Pour deux amants heureux qu' amour fait quelquefois,
	il en fait tous les jours plus de cent miserables.
Coridon
	son trouble est apaisé.
Tersandre
	j' espere qu' à la fin
	nous pourrons adoucir son funeste chagrin.
	Benissons l' amour d' Angelique,
	benissons l' amour de Medor.
	Dans le riche sejour d' une cour magnifique,
	puissent-t' ils sur un throsne d' or
	s' aimer comme ils s' aimoient dans ce sejour
	rustique.
Coridon Belise et Le Choeur.
	Benissons l' amour d' Angelique
	benissons l' amour de Medor.
Roland
	taisez-vous, malheureux ; oserez-vous sans cesse
	percer mon triste coeur des plus horribles coups ?
	Malheureux, taisez-vous.
	Rendez grace à vostre bassesse
	qui vous desrobe à mon couroux.
Tersandre, Coridon, Angelique et Le Choeur.
	Ah ! Fuyons, fuyons tous.

ACTE 4 SCENE 7

Roland seul.
	Je suis trahi ! Ciel ! Qui l' auroit pû croire !
	ô ciel ! Je suis trahi par l' ingrate beauté
	pour qui l' amour m' a fait trahir ma gloire.
	ô doux espoir dont j' estois enchanté,
	dans quel abisme affreux m' as-tu precipité !
	Tesmoins d' une odieuse flame
	vous avez trop blessé mes yeux.
	Que tout ressente dans ces lieux
	l' horreur qui regne dans mon ame.
Roland brise les inscriptions, et arrache des
branches d' arbres, et des morceaux de rochers.
	Ah ! Je suis descendu dans la nuit du tombeau !
	Faut-t' il encor que l' amour me poursuive ?
	Ce fer n' est plus qu' un vain fardeau
	pour une ombre plaintive.
Roland jette ses armes, et se met dans un grand
desordre.
	Quel gouffre s' est ouvert ! Qu' estce-que j' aperçoy !
	Quelle voix funebre s' escrie !
	Les enfers arment contre moy
	une impitoyable furie.
Roland croit voir une furie : il luy parle, et
s' imagine qu' elle luy respond.
	Barbare ! Ah ! Tu me rends au jour ?
	Que pretens-tu ? Parle... ô suplice horrible !
	Je doy montrer un exemple terrible
	des tourments d' un funeste amour.

ACTE 5 SCENE 1

Le theatre change, et represente le palais
de la sage fée logistille.
Astolfe, Logistille
Astolfe
	sage et divine fée à qui tout est possible,
	vous dont le genereux secours
	pour les infortunez se declare tousjours,
	au malheur de Roland serez-vous insensible ?
	Ce heros que l' amour a rendu furieux
	traîne une deplorable vie :
	son sort qui fût si glorieux
	fait autant de pitié qu' il avoit fait d' envie.
Logistille
	vos justes voeux sont prevenus ;
	déja par des chemins aux mortels inconnus
	j' ay fait passer Roland dans cét heureux azile.
	Le charme d' un sommeil tranquille
	suspend le mal de ce heros ;
	mais il est difficile
	de luy rendre un parfait repos.
Astolfe
	je sçay vostre pouvoir, il faut que tout luy cede.
	Vostre soin m' a sauvé de cent perils affreux.
	N' offririez vous qu' un vain remede
	au trouble fatal qui possede
	le plus grand des heros et le plus malheureux ?
Logistille
	je puis des elements interrompre la guerre,
	ma voix fait trembler les enfers.
	J' impose silence au tonnerre,
	et j' esteins le feu des esclairs.
	Mais je calme avec moins de peine
	les vents eschapez de leur chaîne,
	et j' apaise plustost l' ocean irrité
	qu' un coeur par l' amour agité.
Astolfe
	j' attens tout pour Roland de vos soins salutaires.
Logistille
	nos efforts vont se redoubler :
	allez, esloignez-vous de nos secrets mysteres,
	vos regards pourroient les troubler.

ACTE 5 SCENE 2

Logistille. Roland endormy. Troupe
de feés.
Logistille
	par le secours d' une douce harmonie
	calmons ce grand coeur pour jamais.
	Rendons-luy sa premiere paix,
	puisse-t' elle chasser l' amour qui la bannie.
	Heureux qui se deffend tousjours
	du charme fatal des amours !
	Le choeur des feés repete ces deux derniers vers.
	Heureux qui se deffend tousjours
	du charme fatal des amours !
Les feés dansent autour de Roland, et font des
ceremonies mysterieuses, pour luy rendre la
raison.
Logistille
	rendez à ce heros vostre clarté celeste,
	divine raison, revenez.
	Qu' un coeur est malheureux quand vous l' abandonnez
	dans un égarement funeste.
Logistille et le choeur des feés.
	Heureux qui se deffend tousjours
	du charme fatal des amours !
Les feés continüent leurs danses autour de Roland,
et logistille évoque les ombres des anciens
heros, pour l' aider à faire sortir Roland
de son égarement.
Logistille
	ô vous dont le nom plein de gloire
	dans la nuit du trepas n' est point ensevely,
	vous dont la celebre memoire
	triomphe pour jamais du temps et de l' oubly.
	Venez, heroiques ombres,
	venez seconder nos efforts :
	sortez des retraites sombres
	du profond empire des morts.
	Les ombres des anciens heros paroissent.

ACTE 5 SCENE 3

Logistille. Troupe de feés, troupe d' ombres
de heros.
Logistille
	Roland, courez aux armes.
	Que la gloire a de charmes !
	L' amour de ses divins appas
	fait vivre au delà du trepas
Logistille et le choeur des ombres des heros.
	Roland, courez aux armes.
	Que la gloire a de charmes !
	à la voix des heros, Roland sort de son sommeil,
	et recommence à se servir de sa raison.
Roland
	quel secours vient me desgager
	de ma fatale flame ?
	Ciel ! Sans horreur puis-je songer
	au desordre où l' amour avoit reduit mon ame !
	Errant, insensé, furieux,
	j' ay fait de ma foiblesse un spectacle odieux ;
	quel reproche à jamais ne dois-je point me faire ?
	Malheureux ! La raison m' esclaire
	pour offrir ma honte à mes yeux !
	Que survivre à ma gloire est un suplice extreme !
	Infortuné Roland, cherche un antre escarté,
	va, s' il se peut, te cacher à toy mesme
	dans l' eternelle obscurité.
Logistille arrestant Roland.
	Moderez la tristesse
	qui saisit vostre coeur :
	quel heros, quel vainqueur
	est exempt de foiblesse ?
Le choeur des ombres des heros.
	Sortez pour jamais en ce jour
	des liens honteux de l' amour.
Logistille
	allez, suivez la gloire.
Roland
	allons, courons aux armes.
	Que la gloire a de charmes !
Le choeur des feés et le choeur des ombres des heros.
	Roland, courez aux armes
	que la gloire a de charmes.
Les fées, et les ombres des heros, tesmoignent par
des danses, la joye qu' elles ont de la guerison de
Roland, la gloire suivie de la renommée et
precedée de la terreur vient presser Roland
d' aller délivrer son pays.

ACTE 5 SCENE 4

La gloire, la renommée, la terreur, suite de
la gloire, Roland, Logistille, troupe de feés,
troupe d' ombres de heros.
La Gloire
	Roland il faut armer vostre invincible
	bras.
	La terreur se prepare à devancer vos pas
	sauvez vostre pays d' une guerre cruelle
	ne suivez plus l' amour c' est un guide infidelle
	non, n' oubliez jamais
	les maux que l' amour vous a faits.
Roland reprend ses armes que les fées et les
heros luy presentent, il tesmoigne l' impatience
qu' il a de partir pour obeïr à la gloire, et la
terreur vole devant luy. Les fées et les heros
dansent pour tesmoigner leur joye ; et
Logistille, le choeur de la suite de la gloire,
les choeurs des fées et des heros chantent
ensemble.
Logistille et Les Choeurs.
	La gloire vous appelle,
	ne soûpirez plus que pour elle,
	non, n' oubliez jamais
	les maux que l' amour vous a faits.
	
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